La jeune sans-abri volait de la nourriture à un mariage et le marié lui dit : « Attends, je te connais ! »
Le garde lavait saisie par le bras avec une telle force quil faillit déchirer sa chemise. Mais Élodie ne broncha pas. Elle navait jamais pleuré. Ni lorsque ses parents étaient morts. Ni après avoir passé trois ans à dormir dans les rues de Lyon. Et encore moins maintenant. Comment cette jeune fille sans logis en était-elle venue à voler lors dun mariage huppé ? Voyons cela ensemble.
« Lâchez-moi », murmura-t-elle dune voix rauque. Ses yeux sombres brillaient dune colère qui fit reculer le gorille qui la retenait. Sous le chapiteau nuptial, le silence se fit. Deux cents invités bien habillés, leurs costumes coûteux et leurs bijoux étincelants, tournèrent la tête vers cette fille frêle aux jeans déchirés et au sweat-shirt taché. Dans sa main libre, elle tenait une assiette de coq au vin quelle venait de prendre au buffet. « Une voleuse ! » cria quelquun. « Quon appelle la police ! » hurla une autre.
Mais soudain, une voix trancha lair comme une lame. « Attendez. » Tous regardèrent. Cétait le marié, Théo, grand et élégant dans son costume noir impeccable. Ce devait être le jour le plus heureux de sa vie, mais quelque chose dans son regard semblait différent. Triste. Ou furieux.
« Lâchez-la », ordonna-t-il au garde. « Mais monsieur, elle a volé », balbutia lhomme. Théo regarda Élodie vraiment, au-delà de ses vêtements sales, au-delà de sa maigreur. Et quand leurs yeux se rencontrèrent, son cœur fit un bond.
« Comment tappelles-tu ? » demanda-t-il, presque à bout de souffle.
« Élodie », répondit-elle, droite comme un i. Elle navait pas honte. Elle avait faim, elle avait mangé. Un point, cest tout.
« Élodie », répéta-t-il, comme si ce nom lui brûlait les lèvres. « Quel âge as-tu ? »
« Vingt-quatre ans. »
Alors apparut Camille, la mariée, dans sa robe de dentelle de Calais, le visage rouge de colère. « Théo, quest-ce que tu fais ? Cest notre jour. Quelle rende la nourriture et quelle parte. » Mais Théo ne lécouta pas. Il continua de fixer Élodie.
« Doù viens-tu ? » insista-t-il.
« Quest-ce que ça change ? » répliqua-t-elle, bien que quelque chose chez cet homme lui parût étrangement familier.
« Ça change tout », murmura-t-il. « Plus que tu ne le crois. »
Mme Dupont, la grand-mère de Théo, une femme menue mais dont la présence remplissait la pièce, sapprocha. « Théo, parlons de ça à lintérieur »
« Non », coupa-t-il. « Élodie, te souviens-tu de quelque chose davant la rue ? »
Le cœur dÉlodie battit plus fort. Pourquoi cette question ?
« Jai été dans un orphelinat à Bordeaux. Mes parents sont morts dans un accident de voiture quand javais six ans. Quel rapport ? »
Camille lui agrippa le bras. « Théo, tu me fais peur. Quest-ce qui se passe ? » Mais il se dégagea et savança vers Élodie. Si près quelle vit ses mains trembler.
« Montre-moi ton épaule gauche », demanda-t-il.
« Quoi ? » recula-t-elle.
« Sil te plaît. »
Quelque chose dans sa voix la convainquit. Lentement, Élodie baissa le col de son tee-shirt. Là, sur son épaule, une petite cicatrice en forme de croissant de lune. Théo pâlit comme sil avait vu un fantôme.
« Mon Dieu », murmura-t-il. « Cest toi. »
Camille cria. « Quest-ce qui se passe ?! » Mme Dupont porta les mains à sa bouche. « Ce nest pas possible »
« Si », dit Théo, des larmes coulant sur son visage. « Grand-mère, regarde-la. Regarde-la bien. »
La vieille femme observa Élodie : ses yeux sombres, sa posture de défi malgré les étrangers autour delle, cette cicatrice
« Quelquun va mexpliquer ce qui se passe ? » exigea Élodie, bien que sa voix tremblât désormais aussi.
Théo se tourna vers les invités. « Ce mariage ne peut pas continuer. Parce quelle est ma sœur. »
Le scandale fut immédiat. Camille seffondra en sanglots, mais Élodie resta figée. « Impossible. Mon frère est mort avec mes parents. On me la dit. »
Mme Dupont secoua lentement la tête. « On a dit à Théo que tu étais morte. Et à toi, quil était mort. Mais la vie nous a tous trompés. »
Théo se jeta sur Élodie. « Je me souviens de toi. Nous jouions dans le jardin de la maison à Nice. Je tapprenais à grimper aux oliviers »
Élodie sentit un vertige. Des images floues lui revinrent : une cour avec des pots de fleurs, lodeur de la lavande, des rires Mais elle ne pouvait en être sûre.
« Je je ne men souviens pas. »
Mme Dupont intervint. « Après laccident, les services sociaux vous ont séparés. Les dossiers ont été perdus. Nous tavons cherchée pendant des années »
« Je nai jamais cessé de te chercher », chuchota Théo, prenant sa main. « Jamais. »
Élodie regarda autour delle : le chapiteau luxueux, les invités bouche bée, Camille en larmes Et soudain, elle sentit le sol se dérober sous ses pieds. Était-ce possible ? Après dix-huit ans ?
« Et maintenant ? » demanda-t-elle, la voix brisée.
Théo esquissa un sourire triste. « Maintenant le meilleur commence. »
Les choses se compliquèrent lorsque Camille apprit que son mariage était annulé à cause dune sœur perdue. Mais avec le temps, même elle finit par accepter que parfois, la famille apparaît quand on sy attend le moins.
Mme Dupont offrit à Élodie son ancienne chambre, toujours décorée daffiches du Petit Prince. Théo passait ses après-midis à lui raconter des souvenirs de leur enfance, essayant de réveiller sa mémoire. Peu à peu, Élodie cessa de dormir dans la rue pour dormir entre des draps propres, cessa de voler pour manger à une table avec une nappe.
Ce ne fut pas facile. Il y eut des nuits où elle rêvait de la rue, de la liberté amère de navoir personne. Des jours où elle se disputait avec Théo parce que tout lui semblait trop parfait, comme si elle ne méritait pas dêtre là.
Mais un an plus tard, alors quelle aidait Mme Dupont à préparer des madeleines pour Noël, Élodie comprit une chose : la famille nest pas seulement celle avec laquelle on naît, mais aussi celle que lon trouve quand on nattend plus rien. Et parfois, juste parfois, la vie offre des secondes chances quand on a le plus faim.
Même si on doit dabord les voler.







