Un chien épuisé émergea de la forêt, un sac à dos sur le dos. Son contenu allait bouleverser la gendarmerie.
Tempête, viens ! appela-t-il son fidèle compagnon.
Le chien agita la queue avec joie. Ces promenades en forêt étaient leur bonheur à tous deux : Jacques cueillait des champignons, tandis que Tempête explorait de nouvelles odeurs et poursuivait les écureuils.
Ce matin-là était particulier frais mais ensoleillé, avec une brume légère flottant au-dessus des cimes des pins. Un temps idéal pour la « chasse silencieuse », comme les mycologues appellent souvent leur passion. Jacques se prépara rapidement : un thermos de thé, quelques sandwiches, un couteau, un panier. Au dernier moment, il glissa dans son sac un vieux carnet et un crayon une habitude darpenteur, toujours avoir de quoi noter.
Les deux premières heures furent merveilleuses. Le panier salourdissait de cèpes robustes et de girolles dorées. Tempête tantôt courait devant, tantôt revenait vers son maître, aboyant joyeusement pour signaler ses découvertes.
Alors, mon vieux, encore une heure et on rentre ? Jacques caressa le chien derrière les oreilles en sortant son téléphone pour photographier un magnifique bolet.
« Pas de réseau », indiqua lécran avec indifférence.
Peu importe, on sera bientôt en zone couverte, murmura-t-il en rangeant lappareil.
Ils saventurèrent dans une partie inconnue de la forêt. Les vieux arbres y poussaient si serrés que leurs cimes laissaient à peine filtrer la lumière. Des troncs moussus gisaient çà et là sous leurs pas.
Tempête, reste près ! ordonna Jacques, sentant une vague inquiétude lenvahir.
Puis linattendu se produisit son pied glissa sur un tronc humide. Une douleur aiguë lui traversa la cheville, ses yeux sobscurcirent. Il tomba, tentant de se rattraper, ne réussissant quà éparpiller le contenu de son sac mal fermé.
Sa-per gémit-il en essayant de se relever. Sa jambe refusait de répondre.
Tempête gémissait près de lui, poussant son museau contre le visage de son maître.
Du calme, mon vieux, du calme Jacques essaya de sourire, mais ne parvint quà grimacer.
Les heures passèrent Le soleil déclinait lentement. Ses tentatives pour se lever ou même ramper échouaient lune après lautre chaque mouvement lui arrachait un tel cri de douleur quil voyait noir.
Connaissez-vous ce sentiment dimpuissance, quand on comprend quon ne sen sortira pas seul ? Cest exactement ce que ressentit Jacques.
Allez, réfléchis, Jacques, réfléchis chuchota-t-il, sefforçant de garder les idées claires.
Son regard tomba sur les affaires éparpillées le carnet, le crayon, le téléphone inutile. Et Tempête, fidèle, qui ne le quittait pas dune semelle. Une idée lui vint soudain
Tempête, viens ! Sa voix tremblait, mais lordre était ferme.
Le chien sapprocha, les yeux pleins de loyauté.
Dune main tremblante, Jacques arracha une page du carnet. « Si vous trouvez ce message, aidez-moi ! » Ses lettres tremblaient, mais il sefforça décrire lisiblement. « Je suis dans la forêt, jambe cassée, pas de réseau. Coordonnées approximatives : secteur 25-26, près de la vieille parcelle » Après quelques lignes, il relut sa note avec satisfaction.
Tempête attendait patiemment que son maître fixe le sac sur son dos.
Écoute bien, mon vieux. Jacques attira le museau du chien contre son visage. Le plus important, cest de rentrer ! Compris ? Ren-trer !
Tempête gémit doucement, refusant de le quitter.
Chez nous, Tempête ! Vite !
Le chien fit quelques pas hésitants, se retourna.
Va ! La dernière commande fut rauque.
Et Tempête partit. On dit que les chiens ressentent notre souffrance. Peut-être est-ce pour cela quils sont capables de tels exploits ? Ou est-ce simplement lamour qui nous rend plus forts tous, quelles que soient nos pattes ?
Jacques sadossa à un pin. Le crépuscule tombait. Au loin, une chouette hulula. Sa jambe le brûlait, mais il ne pensait quà une chose : Tempête réussirait, il devait réussir. Il ne restait plus quà attendre et croire.
Les pattes fatiguées glissaient sur lherbe mouillée. Tempête haletait, mais courait sans relâche, portant le sac usé. Une heure entière sans pause, sans eau, sans repos. Rien que lurgence datteindre les hommes, dobtenir de laide.
« Chez nous, Tempête, chez nous ! » résonnait dans sa tête la voix rauque de son maître. Et le chien avançait, surmontant la douleur de ses coussinets écorchés, traversant broussailles et branchages, la fatigue et la peur.
Il faisait presque nuit quand des lumières apparurent. Une voiture de gendarmerie freina brusquement, évitant de justesse le chien épuisé. Le lieutenant Antoine sauta le premier :
Hé, petit, tu viens doù comme ça ?
Tempête simmobilisa, fixant lhomme en uniforme. Dans ses yeux, une supplication muette comprenez-moi, aidez-le, dépêchez-vous !
Antoine, regarde le sac ! cria son collègue. Il y a un mot dedans
Les mains du gendarme tremblaient en lisant. Les lettres dansaient sous ses yeux.
Bon sang souffla Antoine. Appelle la centrale, vite ! Et de leau pour le chien, maintenant !
Tempête lapait avidement leau dune gamelle en plastique. Chaque gorgée lui rendait des forces, mais le temps pressait. Il regardait sans cesse les gendarmes pourquoi tardaient-ils ?
Parfois, les secondes deviennent des éternités. Surtout quand on sait que là, dans lobscurité, quelquun attend le salut.
Trouve ton maître ! ordonna enfin Antoine. En avant !
Le chien sélança dans les bois sans se retourner il savait quon le suivrait. Ils coururent, trébuchèrent, jurèrent, mais ne le lâchèrent pas. Les torches balayaient lombre, les radios crépitaient Et Tempête courait, courait vers lhomme allongé sous un vieux pin, qui croyait son ami fidèle amènerait les secours.
Stop ! cria soudain Antoine. Là-bas
À la lueur des torches, une silhouette sombre apparut contre un arbre. Jacques était là, adossé au tronc pâle, à moitié conscient, mais vivant.
Je le savais murmura-t-il quand on le chargea dans lambulance. Je savais que tu y arriverais, mon vieux.
Tempête posa sa tête sur les genoux dAntoine. Plus même la force de gémir.
Tu viens chez moi, petit, dit doucement le gendarme en lui grattant loreille. Tu te reposeras en attendant ton maître. Et puis on verra.
Parfois, le destin nous donne des leçons sous les formes les plus inattendues. Pour le lieutenant Antoine Morel, ce professeur fut un chien nommé Tempête
Bon, et maintenant, je fais quoi de toi ? Antoine se tenait au milieu de son appartement de célibataire, contemplant son nouvel hôte.
Tempête, lavé et nourri, restait dans lentrée, comme sil nosait avancer. Dans ses yeux intelligents, une question : « Je peux ? »
Entre donc, héros ! fit Antoine en haussant les épaules. Cest pas un palais, mais ça ira pour un mois.
La première nuit fut agitée. Tempête gémissait, errait dans lappartement, grattait la porte.
Écoute, vieux, dit Antoine en sasseyant près de lui à trois heures du matin. Je comprends tu tennuies. Mais ton maître ira mieux, je te le promets. En attendant on peut essayer dêtre amis ?
Compréhensif, Tempête pressa son museau contre la jambe de lhomme et soupira.
Jour après jour, une nouvelle routine sinstalla. La course matinale (qui eût cru quAntoine recommencerait à courir ?), le petit-déjeuner à deux, le trajet au travail
Morel, tas adopté un chien ? sétonnaient les collègues en voyant Tempête arpenter fièrement les couloirs de la brigade.
Je lhéberge temporairement, éludait Antoine, mais une chaleur dorgueil lenvahissait pour son protégé.
Et Tempête Il semblait décidé à remercier son hôte. Chaque matin, il laccueillait avec ses chaussons dans la gueule (où les avait-il trouvés ?), rapportait les objets tombés.
Tu es incroyable, mon pote ! riait Antoine en lui offrant ses friandises préférées.
Les soirées devinrent spéciales. Avant, Antoine traînait sur son canapé avec son téléphone, mais maintenant
Tu sais, mon vieux, disait-il en grattant Tempête derrière loreille, depuis mon divorce, cest la première fois que je me sens moins seul, tu vois ?
Le chien soupirait avec compréhension et posait sa tête sur ses genoux.
Ils se promenaient au parc, où Tempête chassait les pigeons et saluait fièrement les chiens du quartier. Ils rendaient visite à Jacques à lhôpital il se rétablissait et écoutait en riant les nouvelles aventures de son compagnon.
Je reconnais bien mon élève, souriait Jacques. Merci, Antoine, de ten être occupé.
Le temps filait, et une angoisse sourde grandissait : comment ferait-il, seul, quand Tempête rentrerait chez lui ?
Le jour de la sortie de Jacques, lappartement parut étrangement vide. Tempête, fou de joie, tournait autour de son vrai maître, mais ne cessait de regarder Antoine.
Tu sais, dit soudain Jacques, il taime aussi, lui.
Oui, et moi Antoine hésita. Dis, je pourrais passer te voir parfois ?
Bien sûr ! sourit Jacques. Mais avant, va au refuge. Je crois quon ty attend.
Le lendemain, la brigade accueillit un nouveau membre un petit rouquin bouclé nommé Frisé.







