Henri Martin marchait depuis plusieurs heures à travers la forêt de Fontainebleau. Il affectionnait ces excursions solitaires: le silence feutré, lodeur résineuse des sapins, lair frais qui fouette les narines, le chant lointain des pinsons. Tout était paisible, jusquà ce quun craquement sec se fasse entendre derrière lui, comme le claquement dune branche sous le poids dun secret.
Il se retourna, figé. Une rangée de loups surgit des sous-bois, huit silhouettes grises glissant sans un bruit sur le tapis de feuilles mortes, se dirigeant droit vers lui. Son cœur se refroidit. Il se précipita vers le chêne le plus proche. Le sac à dos glissa de ses épaules, sécrasant dans lherbe, tandis quil sagrippait à lécorce, sentant ses mains trembler.
Les loups encerclèrent larbre, leurs grognements sourds se mêlant en un chœur menaçant. Lun deux bondit, saisit sa botte entre les dents et la projeta au sol. Henri poussa un cri, se dégagea de justesse, le souffle coupé, le cœur battant comme sil voulait séchapper de sa poitrine.
Il savait que son salut ne tiendrait pas longtemps. Son portable était resté dans le sac, et laide se trouvait à des dizaines de kilomètres. Soudain, un grondement sourd sortit des profondeurs de la forêt, un bruit si épais quil fit frissonner chaque cheveu. Ce nétait pas le hurlement des loups; cétait un grondement plus bas, semblable à la terre ellemême qui se réveille.
Les loups se figèrent, leurs oreilles se dressèrent, leurs corps se raidirent. Quelques instants plus tard, une silhouette massive émergea de lombre des arbres. Un ours brun savance lentement sur la clairière, chaque pas résonnant comme un tonnerre dans la poitrine dHenri.
Il sarrêta à quelques pas de la meute, leva la tête et poussa un rugissement. Le cri fut si puissant que les feuilles frémirent et les oiseaux senvolèrent en panique. Les loups, pris de frayeur, se serrèrent les queues, reculèrent, puis, en un instant, disparurent dans les fourrés comme sils navaient jamais existé.
Lours resta seul, son museau levé vers Henri, le regard lourd mais non hostile. Ils se fixèrent mutuellement pendant plusieurs secondes, un échange muet déternité. Puis le géant séloigna doucement, se fondant à nouveau parmi les troncs.
Henri, encore suspendu à la branche, ne pouvait bouger. Il avait échappé à la mort uniquement parce quun autre prédateur était intervenu. Le danger satténuant, il descendit, reprit son sac et regarda la direction où lours avait disparue.
«Merci», murmura-t-il, la voix à peine audible.
La forêt resta silencieuse, seule la brise faisait tanguer les branches et, au loin, le cri rauque dun hibou perça la nuit.
Depuis ce jour, Henri revient souvent dans la forêt, déposant sur la clairière un morceau de baguette et un filet de miel. Et chaque fois que le brouillard sétend sur le sol, il a limpression de sentir des yeux chaleureux et intelligents le regarder depuis les arbres.
Peutêtre nétaitce quun hasard. Ou peutêtre que, dans ces bois, quelquun veille réellement sur lui.







