Je me rappelle quune semaine de solitude aurait pu la rendre souple comme de la soie, mais à la vue de ce qui sétait passé pendant ce temps, il resta figé dès quil franchit le seuil.
Marjolaine, ces derniers temps, nétait plus elle-même. Des fissures sérieuses sétaient ouvertes dans son couple avec son époux, Antoine Dupont, et elle ne savait que faire face à cette situation pénible. Tout avait commencé par de petites choses, comme cest souvent le cas.
Après le travail, Antoine ne cessait de la surprendre avec des remarques venimeuses. Ses plaisanteries étaient chargées de rancœur, chaque mot la blessait plus fort quun coup. Chaque jour, son comportement se dégradait davantage. Même pendant les congés, il ne lui laissait aucun répit.
«Tu ressembles à une vieille!», lançaitil sans lâcher son téléphone. «Chez les autres, les femmes sont leurs épouses, et la mienne nest quune prune ridée!»
En effet, Marjolaine paraissait plus vieille que son âge. Son travail était dur, épuisant, et laissait des traces sur son visage. Mais le plus douloureux était dentendre ces mots de la bouche de son propre mari. Elle travaillait pour la famille, gagnant deux fois plus que lui, et il navait donc aucune raison de se plaindre.
Antoine dépensait son argent comme bon lui semblait, sans consulter personne: «Où je veux, jy mets mon argent! Pas denfants pour épargner!»
Marjolaine supportait cela aussi. Leur quotidien suffisait. Ils nétaient pas officiellement mariés, mais vivaient comme tels et ne se pressaient pas pour organiser les noces. Cependant, la mère dAntoine, Madame Dupont, appelait Marjolaine sa bru, et elle la prenait pour bellefille.
La bellemère était envahissante et insatisfaite de la vie. Elle intervenait sans cesse dans les affaires du jeune couple, et la plupart des reproches retombaient sur Marjolaine.
Le couple habitait une maison de campagne près de Lyon. Bien quils soient en ville, la demeure demandait un entretien constant. Souvent, Marjolaine suppliait son mari daider:
«Je ny arrive pas, je suis au travail du matin au soir!»
«Et alors, questce que ça me regarde?», rétorquait Antoine. «Cest ta maison, tu en es la maîtresse, moi je ne suis quun invité!»
En hiver, la maison était ensevelie sous la neige jusquà ce que Marjolaine prenne la pelle. En été, lherbe poussait jusquaux fenêtres. Elle devait engager des ouvriers pour remettre de lordre, puis, après son service, finir ellemême le travail.
Pendant ce temps, Antoine restait affalé sur le canapé, ne sortant que de temps à autre pour jeter un œil au chantier.
Marjolaine pardonnait beaucoup, mais la goutte deau qui fit déborder le vase fut ce quelle vit en rentrant chez elle après une journée de travail épuisante. Elle était si fatiguée quelle peinait à traîner ses pieds, et, en passant par le magasin, son sac lourd faisait pulser sa paume.
Elle espérait quAntoine la rencontreraitelle lappela, mais il ne répondit pas. Soufflant et sessuyant le front, Marjolaine entendit une musique séchapper du jardin.
Déposant son sac près de la clôture, elle se précipita dans la maison où résonnait une joyeuse discothèque. À lintérieur, la rancœur et la colère bouillonnaientaujourdhui, elle allait tout dire.
La fête battait son plein! La musique forte faisait vibrer les vitres. Sur la table, des amusebouches et un repas préparé à lavance par Marjolaine, afin de ne pas perdre de temps le soir. Antoine, indifférent à sa femme, dansait avec une femme qui avait clairement trop bu et qui affichait une tenue très provocante.
Sans un mot, Marjolaine traversa la salle et coupa la musique.
Antoine, lair embrouillé, demanda dune voix tremblante: «Questce que tu fais?»
«Je voulais justement te le demander!Questce qui se passe?Qui est cette femme?»
Sa compagne poursuivait sa danse comme si rien navait changé.
«Et alors?», ricana Antoine. «Jai retrouvé une ancienne camarade de classe, on célèbre. Ou bien je ne peux pas me détendre chez moi?»
«Si tu te souviens, cest moi qui possède cette maison, tu ny as aucun droit. Alors rangetoi tout de suite, fais sortir ton invitée, et on en reparlera!»
«Je ne le ferai pas!», tentatil de se lever, mais il vacilla.
Marjolaine ressentait déjà du dégoût envers lui. Il nétait plus un homme à ses yeux, pas plus un soutien quun fardeau. Vivre avec lui par peur de la solitude? Non, plus jamais.
Dun geste décidé, elle saisit la femme par le bras et la poussa hors du portail: «Il est temps que vous partiez!»
Puis, retournant dans la maison, elle lança: «Tu sors ou tu ten vas tout seul?»
Antoine haussa les épaules, prit une salade et une bouteille, et, titubant, se dirigea vers la sortie.
«Tu vivras sans moi, tu mappelleras, petite hystérique!», lançatil en partant.
«Oh, mon Dieu!», sexclama la mère dAntoine, se tenant la tête. «Ma tête va exploser!»
«Maman, ne crie pas! Marjolaine ma renvoyé. Elle na pas aimé que je ne laie pas accueillie,», mentit le fils, sachant que sa mère le soutiendrait.
«Et pourquoi laccueillir?», sétonna la femme.
«Qui le sait!Elle me critique toujours: ce nest pas ça, ce nest pas ça! Jen ai assez! Peutêtre que je suis fatigué du travail? Tu penses que cest facile? Pourquoi devraisje aider dans une maison qui nest pas la mienne?»
«Exactement!», confirma la mère. «Quil régularise dabord la propriété, quil partage la part, puis il pourra demander!Sinon, quelle importance! Que je laccueille! Elle est en bonne santé, elle doit se débrouiller!»
«Je le lui ai dit!Et elle sest vexée!»
«Quelle se venge!Ne céde pas! Aucun compromis! Si elle veut se marier, elle devra supporter! Ce nest plus une gamine pour faire la tête!»
«Et maintenant, que doisje faire?», demanda Antoine, la tête baissée.
«Tiens bon, mon fils!Elle reviendra toute mignonne, te supplier de revenir! Une semaine seule lui fera comprendre ce quelle a fait! Et ne cède pas: quand elle reviendra, réclame le bail. Sinon, elle sera sans toi!»
Ainsi, la mère prodiguait ses conseils à son fils, qui écoutait attentivement, hochant la tête au rythme de ses paroles.
«Tu as raison, maman!Je ne subirai plus ses caprices! Qui estelle pour me commander? Je ne suis pas son esclave, je suis un homme adulte, le maître de ma maison!»
Suivant les instructions de sa mère, Antoine décida réellement dagir. Il ne revint pas à la maison, ne lappela pas, et attendit exactement une semaine.
Sa mère, de son côté, navait pas une vie facile non plus. Elle le harcelait constamment: fais ceci, fais cela. Quand il essaya de protester, elle lui rappela les vieilles méthodes déducation, le frappant dun bâton de noyer dans le dos:
«Tu nes pas chez ta femme, mais chez ta mère! Si tu ne travailles pas, tu seras privé du déjeuner!»
Clairement, sans détour. Ne discutez surtout pas avec elle.
Enfin, après avoir enduré ces sept jours, Antoine décida de rentrer: «Jy vais, maman! Je veux voir comment elle se porte sans moi. Elle devra ramper à genoux et supplier mon retour!»
«Va, va! Mais nabandonne pas! Disle clairement: tu ne reviendras que selon tes conditions!»
Il sortit de la maison avec lallure dun vainqueur, le menton levé, le dos droit, le pas assuré, presque arrogamment.
Il sapprocha du portail, entra dans la cour et sarrêta net.
Quelque chose clochait.
Il se retourna: la cour était impeccable, le gazon taillé à la règle, les fenêtres étincelantes, les massifs de fleurs bien alignés, les allées nettes, sans la moindre trace denvahissement.
Et ce nétait pas tout: tout semblait vivant, coloré, bien entretenu.
Même le portail était nouveaupas ce vieux portail grinçant, mais un solide portail en fer forgé.
Antoine sortit la clé, mais réalisa quelle ne servait plus. Il hésita un instant, puis, résolu, frappa à la porte.
Les pas à lintérieur sarrêtèrent, la porte souvrit.
Mais ce nétait pas Marjolaine. Ce nétait pas la femme au regard sombre et aux cernes. Devant lui se tenait une femme fraîche, souriante, les yeux pétillants.
«Je pensais que tu étais seule à pleurer ici Au moins, tu aurais pu mappeler!»
«Pourquoi?», répliqua doucement Marjolaine, inclinant la tête en souriant.
«Comment dire pourquoi?Ton mari disparaît une semaine, et tu ne fais rien?»
«Je nai pas de mari,», réponditelle calmement.
«Et doù sortiraitil?», ricana Marjolaine. «Il ny a eu quun seul «visiteur», et il était raté. Pas besoin den parler!»
Antoine pâlit: «Cest à mon sujet?! Tu vas prendre ça à la tête et parler autrement! Tu aurais dû être éduquée!»
Il fit un pas en avant, mais Marjolaine ne bougea pas.
Un homme grand sortit de la porte, posa la main sur son épaule et déclara fermement: «Homme, tourne le dos et pars. De préférence en paix.»
«Et qui estce?Un amant? Si tu le chasses, je te pardonnerai et reviendrai! Je promets même de ne plus frapper!», déclara Antoine, se sentant généreux et magnanime.
Puis, quelque chose détrange se produisit. Le temps ou la gravité semblaient vaciller: il venait à peine de se tenir là, et soudain il courait, comme sil fuyait des démons, poussé par une force invisible.
Marjolaine, sur le perron, riait aux larmes en voyant son frère aîné chasser lancien compagnon du jardin. Celuici fonçait vers le portail, tandis que le frère le repoussait de deux coups bien placés.
Dès quAntoine franchit le seuil, le frère claqua le portail et revint auprès de sa sœur:
«Marjolaine, ne reprends jamais ce fou! Honnêtement, je ne comprends pas comment tu as pu le supporter!»
Marjolaine soupira profondément: «Je suis une idiote, cest pour ça que je le supportais. Je pensais quil changerait.»
«On ne change pas, on les écrase! Si tu as besoin daide pour la maison, appellemoi, je viendrai. Et quil comprenne bien quil na plus sa place ici.»
«Et sil ne comprend pas?»
«Je le répéterai,», fit le frère clin dœil et, avec la sœur, pénétra dans la maison.
Là, les invités continuaient à festoyer, observant la scène depuis la fenêtre.
«Alors, ma chère, à ta santé!»
«À la tienne!», retentit la réponse, les verres tintèrent.
Marjolaine esquissa un sourire. Comme il était bon davoir un frère aîné, attentionné, fort et toujours présent.







