Claire prit une profonde inspiration pour calmer le tremblement incontrôlable qui parcourait ses genoux. Son cœur battait comme un oiseau emprisonné. Cet entretien chez «AcierBât», une entreprise renommée, représentait bien plus quune opportunité : cétait une lueur despoir dans un tunnel sans fin de difficultés. Un salaire décent, des avantages sociaux et surtout un bureau à quinze minutes à pied de la crèche de sa fille. Pour elle, cétait le rêve ultime de stabilité.
Elle avait tout organisé à lavance. Sa petite fille de quatre ans, Élodie, devait rester chez leur voisine, une femme gentille et attentionnée. Mais le destin en décida autrement. Au moment de partir, son téléphone sonna. La voisine, la voix brisée, lui annonça quelle devait partir durgence auprès de sa mère malade. Claire neut pas le choix. Serrant son portfolio dune main et la petite main tiède dÉlodie de lautre, elle franchit le seuil du luxueux bureau aux surfaces luisantes et aux décorations élégantes.
Élodie se blottit contre la jambe de sa mère, ses grands yeux curieux scrutant le sol brillant, les hommes en costumes impeccables et les plantes vertes dans leurs pots massifs.
La responsable des ressources humaines, Valérie Dufour, une femme au visage impassible et froid, jeta un regard désapprobateur sur lenfant et pinça les lèvres.
Asseyez-vous, dit-elle dun ton sec.
Lentretien commença. Claire se concentra, répondit avec assurance, citant des exemples convaincants de son expérience. Tout se passait bien, même très bien. Mais Élodie, fatiguée de rester immobile, sortit un cahier de coloriage froissé et un crayon.
Maman, je peux dessiner un peu ? chuchota-t-elle.
Doucement, ma chérie, répondit Claire à voix basse.
Valérie Dufour interrompit aussitôt son discours, lançant un regard glacial à lenfant.
Claire, nous menons ici des affaires sérieuses. Ce comportement est inacceptable.
Je vous prie de mexcuser, cétait imprévu bredouilla Claire, les joues brûlantes de honte.
Malheureusement, nous navons pas de place pour des employés qui ne savent pas séparer vie professionnelle et personnelle, trancha Valérie. Je pense que nous en resterons là.
Les jambes de Claire faillirent céder sous elle. Sa seule chance senvolait comme de la fumée. Elle commença à rassembler ses affaires, évitant les regards. Élodie, sentant son trouble, murmura :
Maman, on part ? Pourquoi tu as les yeux tristes ?
À cet instant précis, la porte du bureau souvrit silencieusement. Un homme grand et élégant, vêtu dun costume impeccable, entra. Il avait lair tout droit sorti dun magazine. Valérie changea immédiatement dattitude, un sourire mielleux aux lèvres.
Monsieur Laurent ! Quelle surprise !
Mais le directeur, un homme influent et accompli, ignora Valérie. Son regard se posa sur Élodie, qui, effrayée par le ton sec de la responsable, avait laissé tomber son crayon. Celui-ci roula jusquaux chaussures impeccables du directeur.
Claire retint son souffle, sattendant au pire
Mais Monsieur Laurent se pencha, ramassa le crayon et le tendit à Élodie avec douceur.
Tiens, ma petite princesse. Tu dessines quelque chose de beau ?
Élodie, rassurée, sourit largement.
Jessaye de dessiner un chat, mais ça ressemble à rien !
Les chats sont des modèles difficiles, dit-il sérieusement, saccroupissant pour être à sa hauteur. Puis il leva les yeux vers Claire, remarqua ses yeux rougis, et se tourna vers Valérie.
Quel est le problème ici, Valérie ?
Rien dimportant, Monsieur Laurent. La candidate sest présentée avec son enfant, ce qui va à lencontre de nos règles.
Monsieur Laurent se redressa, imposant.
Savez-vous, Valérie, que jai grandi dans une famille modeste où ma mère, seule, a élevé trois enfants ? Elle a dû accepter des emplois précaires parce quon lui refusait des postes à cause de ses «problèmes familiaux».
Il prit le CV de Claire.
Vous avez un parcours impressionnant, Claire. Une expérience solide, dexcellentes références. Et vous, Valérie, vous voulez priver cette entreprise dune collaboratrice talentueuse à cause dun enfant ?
Valérie pâlit.
Je ne faisais que respecter les règles
Les règles qui excluent les talents sont obsolètes, coupa-t-il. Claire, au nom dAcierBât, je vous propose le poste de responsable de projet. Nous avons une crèche dentreprise, et je suis sûr quÉlodie sy plaira.
Claire, les larmes aux yeux, ne put que hocher la tête.
Un an plus tard, Claire était devenue une manager respectée. Un jour, en préparant une présentation cruciale, elle découvrit une erreur subtile dans les coûts des matériaux une erreur qui aurait coûté des millions à lentreprise. Elle soupçonna Valérie dy être pour quelque chose.
Lors de la réunion, Claire exposa calmement les deux versions. La salle resta silencieuse. Monsieur Laurent la remercia pour sa vigilance. Valérie démissionna peu après. Claire rentra ce soir-là plus tôt que prévu. Élodie, désormais scolarisée en maternelle, lattendait à la crèche de lentreprise, un dessin à la main : deux femmes main dans la main sous un soleil aux couleurs vives.
Cest toi et moi, maman, dit-elle fièrement. Parce que maintenant, on na plus peur.
Claire la serra fort, le cœur léger, sachant quenfin, le tunnel avait trouvé sa lumière.







