Ne vous aventurez pas, enfants…

Mais où esttu allée, ma petite? sécria sa mère en voyant Camille revenir de sa promenade.
Camille se jeta un coup dœil dans le miroir : une petite toile daraignée ornait ses cheveux. Elle traîna son jean, et dune poche séchappa un gland. Elle le ramassa, le glissa sous son oreiller et se hâta vers la salle de bains.

Va te laver, ton père arrive, on dîne bientôt! lança la mère.

Camille se jeta dans la baignoire, sans vraiment avoir faim.
«Je suis collée à mon portable, je sors encore un désastre», pensatelle en soupirant.

Sa mère, entendant ses pensées, lança depuis la cuisine:
Quand on se promène civilisé, on ne revient pas avec des toiles daraignée!

Camille fit mousser leau, et se dit que la mère avait raison. Mais se balader toute seule, sans compagnie, cétait un peu nul. Dautant plus quelle venait dentendre deux vieilles dames chuchoter à lépicerie du coin.

Madame Lefèvre, dans CETTE maison, il y a encore des fantômes! murmura la première.

Le mot «cette» fut prononcé avec une intonation intrigante. La seconde dame, que Camille nentendit pas, rétorqua à la caissière:

Il faut prévenir la gendarmerie!

La caissière, un habitué du quartier, hocha la tête et fit signe à la cliente den faire autant.

Ah! la gendarmerie? Questce quils peuvent faire contre des esprits? sexclama le groupe derrière Camille.

Elle rangea ses courses, sortit du magasin et, sur le perron, vit les deux dames gesticuler vivement. Elle haussa les épaules: «Encore ces histoires de fantômes au 21ᵉ siècle!» et chassa le sujet de son esprit.

Le soir, elle monta sur le balcon de son immeuble récent, perché au bord dun quartier de cinq étages datant de trente ans, avec une petite boutique au rezdechausée où les vieilles dames discutaient des esprits. Autour, les travaux daménagement nétaient pas terminés, mais ses fenêtres offraient une vue sur une rangée darbres majestueux, à peine dérangée par le bruit des camions du chantier voisin.

Le terrain, prévu à lorigine pour un parc, avait été redéveloppé: quelques peupliers bordaient les nouvelles tours, tandis que danciens bâtiments, pourtant classés monuments, étaient entourés dune haute clôture.

Camille scruta la cime des arbres et distingua, à travers le feuillage, les toits dune vieille bâtisse.

Peutêtre une ancienne demeure davantrévolution? se demandat-elle.

Elle se rappela alors la rumeur du magasin.

Ça doit être les fantômes! Pas le genre à sinstaller dans les tours modernes, jimagine.

La première image qui lui vint fut celle de la sorcière des bois. Elle imagina la sorcière garer sa soucoupe sur le toit et ricana.

Camille, on dîne! lappela sa mère.

Après le dîner, le film, et une petite dispute avec ses parents à propos du déménagement scolaire, Camille sut quils voulaient la faire changer détablissement pour éviter les longs trajets. Elle voulait rester dans son ancienne école, où toutes ses copines lattendaient.

Tu auras de nouvelles amies, et tu pourras dormir plus tard, répliqua sa mère. Mais Camille poussa un long gémissement, et ils finirent par la laisser se coucher, promettant dy réfléchir.

Avant de dormir, elle revint sur le balcon, leva les yeux vers les arbres obscurs, et vit trois éclats de lumière clignoter au même endroit où elle avait aperçu les toits anciens. Elle tenta de regarder de plus près, mais lobscurité lavala à nouveau.

Camille, au lit! lappela sa mère.

Jy vais, maman, répondit-elle, puis resta cinq minutes supplémentaires, sans rien voir.

Le lendemain matin, les parents déjà partis au travail, Camille soupira: une autre journée longue. Elle aurait aimé rendre visite à ses copines, mais aucune nétait en ville: certaines étaient à la mer, dautres chez leurs grandsparents. Le déménagement avait tout gâché.

Après le petitdéjeuner, elle sortit sur le balcon, cherchant une occupation. Les immeubles voisins ne la fascinaient pas, et les rues aménagées étaient loin. Elle repensa à la rumeur du magasin: «Fantômes! » Et se demanda si elle ne devrait pas aller explorer cette vieille maison.

Sans trop réfléchir, elle chaussa ses baskets usées, enfila son jean, et, comme dans une petite danse, dévala les escaliers du vingtetunᵉétage. Lascenseur était en panne, mais cela ne la dérangeait pas.

Elle sortit du bâtiment, contourna rapidement la cour et se dirigea vers les arbres.

Où vastu, petite? lappela une voix.

Elle se retourna. Derrière elle se tenait la sorcière des bois.

Camille sarrêta, secoua la tête, et regarda la vieille femme, qui semblait rajeunir sous ses yeux.

Moins dhistoires de vieilles femmes à lépicerie, ça ferait du bien, pensa Camille.

Où vastu? redemanda la sorcière.

Je me promène! répliqua Camille avec un brin dirritation.

Fais attention à ne pas te perdre, ma petite, conseilla létrangère dune voix étrange.

Camille, perplexe, répondit: «Je ne me perdrai pas», puis sengagea sur le sentier étroit. La sorcière lobserva, un sourire en coin.

Après quelques mètres, rien ne se montra. Les arbres formaient un véritable labyrinthe, très différent de la haie ordonnée quelle connaissait depuis son balcon. Le sentier, qui paraissait droit, se refermait derrière elle. Elle eut limpression de disparaître sous leurs branches.

Elle se souvint à nouveau de la rumeur du magasin: «Pas de fantômes » et éclata dun rire nerveux avant de saventurer plus profondément.

Le chemin devint une vraie piste, à peine plus large quune allée. Deux minutes plus tard, un énorme tronc darbre, semblable à un baobab, bloqua sa route. Les buissons dun côté et de lautre formaient un mur épais, impossible à traverser.

Que faire? Revenir? pensa Camille.

Une voix intérieure sembla répondre: «Revenir, revenir, revenir».

«Jamais!», sécria-t-elle. «Je ne crois pas aux fantômes, pas même le jour!»

Elle se glissa sous un tronc tombé, se débattit, puis ressortit, couverte de feuilles.

Tenace, ma petite! lança une voix familière. Elle leva les yeux et vit la sorcière, accompagnée dun énorme chat noir, luisant comme une nuit sans lune.

«Bonjour,» bafouilla Camille, les yeux écarquillés.

Le chat la fixa dun regard indifférent.

Tenace, vraiment? grogna-til.

Camille, déconcertée, tenta de caresser la bête. Le chat recula, puis gronda légèrement.

Tu nas pas peur? demanda le chat.

Camille secoua la tête, intriguée plutôt que terrifiée.

Pas du tout, ditelle avec un ton espiègle.

Le chat, visiblement déçu, se tourna vers la sorcière.

Alors, que faisonsnous? demandail.

La sorcière haussa les épaules, puis, dun geste, griffonna un tronc darbre.

On continue, déclaratelle.

En avançant, ils rencontrèrent une clôture faite de troncs de cinq mètres de haut, pointus comme des épées.

Cest une forteresse! sexclama Camille.

Un décor de film? demanda le chat, en éternuant.

Allonsy, grogna le chat, et il sélança le long du mur.

Les troncs semblèrent se dissoudre devant eux, ouvrant un passage. Camille toucha lun deux, le bois était froid, et au pied du mur, un gland était posé. Elle le glissa dans sa poche.

Où est la sortie? demandatelle au chat.

Je ne sais pas, mais on peut essayer, répondit le félin, lair un peu perdu.

Ils traversèrent un jardin sombre, presque crépusculaire, malgré lheure. Le chat la guida vers une grande porte en bois sculpté, ornée de motifs floraux.

En franchissant le seuil, Camille entra dans une pièce spacieuse, éclairée par des chandelles sans aucune ampoule.

Ça te plaît, ma petite? lança un petit vieil homme à la longue barbe, assis sur un banc.

Cest magnifique! sexclama Camille.

Il ne ment pas, corroborait le chat.

Lhomme hocha la tête, souriant.

Assiedstoi, linvitatil.

Camille sassit, le banc était richement sculpté. Le chat et le vieil homme prirent place de lautre côté. Une table apparut, couverte dassiettes, de plats variés et dun énorme gâteau aux fruits inconnus.

Serstoi, proposa le vieil homme.

Camille prit une part de gâteau, le chat, dun geste, engloutit un gâteau entier. Le dessert était délicieux, et elle but un verre de jus issu dune coupe en argent finement ciselée.

Encore un peu, proposa le chat, mais elle secoua la tête.

Merci, jai assez mangé.

Tu nes pas avare, commenta le vieil homme.

En regardant par la fenêtre, lobscurité totale lentourait.

Combien de temps suisje restée ici? sétonnatelle. Ma mère doit être inquiète.

Elle se leva, remercia le vieil homme, et dittelle: «Je veux un chaton.»

Un chaton? Pas de bijoux, ni de robes, ni de miroirs magiques? plaisanta le vieil homme.

Camille rit.

Non, juste un petit félin, sil vous plaît.

Le vieil homme acquiesça, et le chat, qui semblait sêtre adouci, sapprocha delle.

Allez, on y va, grogna le chat, ouvrant la porte.

Camille franchit le seuil, se retrouva soudain sur un sentier lumineux. Des rangées darbres sécartaient, et au loin, son immeuble réapparaissait. Le chat disparut comme par enchantement.

Elle sentit le goût du jus du gâteau sur sa langue, et, en plongeant la main dans sa poche, découvrit le gland quelle avait gardé.

Quelle aventure! soupiratelle en rentrant chez elle.

Le téléphone sonna. Elle sortit précipitamment de la douche.

Papa est à la porte, sexclamatelle.

Elle sessuya, enfila son peignoir, et descendit les escaliers où son père tenait un petit chaton roux, aussi roux que les feuilles dautomne.

Je lappellerai Balthazar, déclaratelle, enchantée.

Elle passa la soirée à cajoler Balthazar, qui se comportait comme sil habitait cet appartement depuis toujours, explorant chaque recoin, grignotant son lait.

Quand il sinstalla sur son oreiller et ronronna, elle chuchota:

Bonne nuit, ma petite Camille.

Bonne nuit, maman, répondit sa mère en fermant la porte.

Le chaton continua de ronronner, et, dans le silence, une voix lointaine sembla murmurer: «Ne perds pas le gland».

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