Salut ma puce, jai besoin de te raconter un truc qui mest arrivé, histoire de vider mon sac.
Je sais, cest tard, mais je suis encore sous le choc.
Je viens dêtre réveillée au petit matin par un appel de Sébastien, complètement bourré. Il ma balancée, haletant, quil venait dapprendre que sa femme avait eu un accident mortel. «Tu peux me parler?» a-t-il marmonné. Jai pas pu le laisser dans le vide, même si on était en froid depuis un mois. On sétait disputés, on se parlait à peine, mais le drame a tout mis à bout.
Je lai laissé entrer, à contrecoeur. Il sest jeté sur le lit, sans un mot, et je lai suivi, voulant le calmer, le consoler. Pas le moment de le juger, je me suis contentée de le tenir, de lenvelopper de chaleur. La nuit a filé, entre larmes et ronflements. Au petit matin, je lai secouée pour le réveiller. Il nen revenait pas : «Solange, pourquoi je suis chez toi? On était en froid!» Il navait aucun souvenir de la nuit dhier.
Je nai rien dit de la vraie raison de sa venue, je pensais quil avait juste vomi des rêves dalcool. Puis son téléphone a sonné, affichant «Chérie», le surnom quil lui donnait. Il a raccroché, lair confus. «Tes fou?» ai-je explosé. «Hier tu las enterrée, tu las oubliée!Comment tu oses plaisanter?Barre-toi!» Et je lai fait sortir, la porte claquée derrière lui. On na plus jamais reparlé.
Depuis mes vingt ans, je vis toute seule à Paris. Mes parents sont partis lun après lautre, je nai jamais couru au mariage, les prétendants poussaient comme des abeilles sur du miel. Certains étaient radins, dautres généreux, même mariés. Avec Sébastien, jai tenu plus longtemps que nimporte qui. Jétais folle amoureuse, même en sachant quil avait une famille. Jai compris plus tard quil était un acteur né, un vrai comédien qui pouvait inventer des histoires à la pelle. Il moffrait des roses luxueuses, des cadeaux extravagants, des nuits déchaînées, tout en gardant «Chérie» dans le cœur. Je ne serais pas surprise dapprendre quil avait plusieurs maîtresses, tant il était insatiable.
Pendant ce temps, toutes mes copines se mariaient, avaient des gosses. Moi, je restais avec Sébastien, sans aucun avenir. Il ne quitterait jamais sa femme, alors nos disputes senchaînaient pour rien et pour tout.
Finalement, sa dernière bêtise a mis un point final à ce cirque. Je me suis retrouvée libre, à la recherche dun bonheur inconnu.
Cest alors quAntoine est apparu. Il vient dun petit village de la Creuse, travaille à Lyon. On sest rencontrés dans le RER, moi je filais à chez ma tante, lui revenait du bureau. On sest assis côte à côte, on a échangé nos numéros, et ça a bien collé. Il nétait pas marié, ce qui était un gros plus. On a commencé à se voir.
Comparer Antoine à Sébastien, cest comme comparer le ciel à la terre. Antoine est très économe, pas très tendre, un peu bourru, mais javais accepté ses défauts, à mon âge, on fait des compromis. Un jour il ma invitée chez ses parents : «Maman veut te voir,» ma-t-il dit. Jétais déjà enceinte, je devais préparer le mariage, la robe, tout ça
Chez les parents dAntoine, la table débordait de plats de terroir. Moi, jarrivais à peine à avaler un morceau, le cœur me serrait. La future belle-mère, dun regard qui évaluait, a lancé à son fils : «Fils, amène la cliente sur la véranda, pose-la sur le canapé, retourne à table.» Elle ma carrément ignorée.
Le lendemain, Antoine ma raccompagnée à la gare, puis est retourné chez ses parents, qui semblaient sêtre dégoûtés de moi. Jai voulu hâter le mariage, mais rien na marché. Avant même de rentrer chez moi, je me suis retrouvée aux urgences : une fausse couche. Le médecin, dun ton doux, ma dit : «Ne tinquiète pas, ma petite, si le bébé ne pouvait pas venir, mieux vaut maintenant que de souffrir plus tard.» Jai pensé que cétait la fin de mon histoire avec Antoine, que ce nétait pas le destin. Jai accepté la rupture dun ton glacé, sans regret.
Parmi mes amours, il y avait aussi Édouard, un camarade de classe. Il me draguait depuis le lycée, jai joué avec lui en option, comme une solution de secours. Il a fini par épouser une femme avec un enfant, qui a donné un fils à Édouard. Une dizaine dannées plus tard, il a refait surface, implorant mon pardon : «Solange, désolé, je me suis précipité, je veux divorcer.» Il se plaignait sans cesse de sa femme, de leurs incompatibilités, et moi, je hochais la tête, le réconfortais. Un jour il est venu tout fier, annonçant la naissance de son deuxième fils : «Solange, il est né!» Jai crié : «Félicitations! Dites bonjour à ta femme!Pars, Édouard, jamais reviens!» Jai fondu en larmes, le cœur brisé.
À lécole, ma meilleure amie était Mylène. Tout lui réussissait : mari, fille, belle maison. Jenviais, je lavoue. Son mari, Maxime, ne mattirait pas du tout. Je passais souvent chez elle, il ny faisait jamais attention. Un jour Mylène ma lâchée : «Solange, je suis amoureuse! Il est marié, deux enfants, je ne sais plus quoi faire.» Je lui ai répondu : «Oublie ça, Mylène, ne détruis pas ta famille ni la sienne. Tu cherches quoi? Tu es déjà heureuse.» Elle a fondu en sanglots, disant quelle ne pouvait plus vivre sans Dimitri, quelle était prête à tout quitter. Je lui ai dit de sarrêter avant que ça ne dégénère. On sest séparées, elle ne ma plus jamais appelées.
Quelques mois plus tard, Maxime est venu frapper à ma porte : «Salut Solange, comment ça va? Tu nes pas mariée?» Jai demandé ce qui le poussait à revenir. Il a soupiré : «Mylène ma laissé,» Il était désespéré. On a passé la nuit à parler, et finalement on sest mis ensemble pendant six mois. Cétait un bonheur intense, même si je ne comprenais pas comment Mylène pouvait abandonner un homme aussi parfait. Maxime a fini par repartir, attiré par une nouvelle collègue plus âgée, qui avait une adolescente. Ils se sont mariés, ça fait maintenant vingt ans.
Mylène a finalement épousé Dimitri, ils semblent vivre un conte damour. Mais je ne crois pas à la chance des cœurs volés ; deux familles ont souffert à cause de ces passions.
Je nai plus revu Mylène depuis plus de vingt ans.
Tu te demandes peutêtre ce que je deviens? Jai passé ma vie à soigner les ailes brisées des autres, et chaque homme senvolait ensuite vers sa femme. Le temps filait, inexorablement. Comme disait ma grandmère : «Chaque fille a son temps, il finira par faner.» Le mien est arrivé. Les manèges de ma vie se sont arrêtés. Plus de princes qui attendent à la fenêtre. Jai adopté un beau chat de race, juste pour avoir quelquun à qui parler, sans enfants, sans mari. Voilà, cest tout. Jespère que ça téclaire un peu. Bisous.







