Quest-ce qui te prend ? Ça fait dix ans quon est mariés ! Quelle maîtresse ? Toi seule me suffis !
Élodie ne pouvait se maîtriser. Elle sentait, comme à fleur de peau, que son mari la trompait. Lincertitude la rongeait. Un jour, elle osa même lui parler franchement.
Elle lui demanda, point-blank, sil avait une autre femme, mais il se contenta de répondre :
Quest-ce qui te prend ? Ça fait dix ans quon est mariés ! Quelle maîtresse ? Toi seule me suffis !
À première vue, Antoine semblait sincère, honnête. Elle ne détecta aucune faille dans son sourire, ses paroles ou son regard. Pourtant, quelque chose la tourmentait.
Élodie nétait pas du genre à se fier au destin. Elle était bien décidée à découvrir la vérité, mais comment ?
Après avoir épluché des conseils sur internet, elle commença par fouiller le téléphone de son mari. Rien de suspect, à part quelques bavardages insignifiants avec danciennes camarades de classe. Rien qui ne linquiète. Et puis quoi ?
Antoine navait jamais mis de code sur son portable. « Pourquoi cacher quoi que ce soit ? » disait-il. Aucun message secret, aucune conversation effacée. Un véritable ange incarné.
Parfois, Élodie se disait quelle sinventait des chimères. Mais chaque fois quAntoine rentrait tard du travail, ce même mauvais pressentiment revenait.
Son amie Aurélie lui répétait sans cesse :
Tu te fais des idées ! Antoine taime et ne regardera jamais ailleurs ! Tes soupçons ne font que tout gâcher !
Mais Élodie nécoutait pas. Son intuition lui murmurait le contraire. Et puis, partager son homme avec une autre ? Hors de question.
Un jour, elle osa même le suivre. Elle se rendit à son bureau pour vérifier sil y travaillait vraiment ou sil courait les jupons. Quand il laperçut, il entra dans une colère noire. « Tu me ridiculises devant mes collègues ! » Il fallut des heures dexcuses pour lapaiser, mais Antoine, de nature conciliante, finit par pardonner.
En apparence, tout allait bien. Une maison pleine de vie, deux enfants qui grandissaient. Une existence à savourer. Pourtant, Élodie sobstinait à se chercher des ennuis.
Comme on dit : qui cherche, trouve. Sauf quelle, pour linstant, ne trouvait rien.
Élodie sinquiétait, comme tant de femmes de trente ans qui redoutent de se retrouver seules avec deux enfants.
Elle affichait un calme trompeur, mais intérieurement, cétait la tempête.
Rien ne trahissait Antoine. Pas de rouge à lèvres sur sa chemise, pas dodeur de parfum étranger, pas même un changement dans ses habitudes. Pourtant, elle sentait que quelque chose clochait.
Sans un coup du sort, Élodie naurait peut-être jamais découvert la vérité. Imaginaire ou réelle ? Lavenir le dirait.
Lorsque leur plus jeune fils entra en CP, Élodie décida dapprendre à conduire. Elle prit des leçons le soir après le travail. Trois mois plus tard, elle obtint son permis.
Antoine, fier delle, lui offrit une voiture. Petite, certes, mais une voiture quand même.
Élodie, menue et de petite taille, sy sentait parfaitement à laise, et le stationnement nétait plus un cauchemar.
Antoine ne lavouerait jamais, mais il avait acheté cette voiture pour quelle ne lui réclame plus la sienne. Selon lui, elle nétait pas encore assez expérimentée pour conduire son Audi.
Puis, un dimanche matin, Élodie se réveilla plus tôt que dhabitude. Elle décida de faire plaisir à sa petite famille en préparant une tarte aux aubergines et au poulet. Un régal pour tous. Elle se mit à lœuvre mais il ny avait plus de farine.
Dehors, il faisait un froid glacial, la neige recouvrait tout, mais elle avait appris à conduire en hiver. Un rapide aller-retour au magasin suffirait. Elle se dirigea vers sa voiture, mais le moteur refusa de démarrer. De retour à la maison, tout le monde dormait encore. Elle marcha sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne.
Marcher dans le froid ne lenchantait guère. Alors, elle prit le risque demprunter la voiture dAntoine sans permission. Après tout, ce nétait quà quelques kilomètres. Il ne sapercevrait de rien.
Elle prit les clés de son Audi et retourna dehors. Pendant que la voiture chauffait, elle décida de nettoyer les vitres. Elle fouilla dans la boîte à gants, sachant quAntoine y rangeait des lingettes. Sa main heurta quelque chose, qui tomba sur le sol.
Elle se baissa pour ramasser un téléphone. Mais à qui appartenait-il ?
Celui dAntoine, elle le connaissait. Ce smartphone nétait pas le sien. Dabord, elle pensa quil lavait pris par erreur, comme il le faisait parfois. Puis son doigt appuya sur le bouton dallumage.
Le premier message qui safficha était signé « Chloé ».
Mon amour, tu mas tant manqué ! Dépêche-toi de venir, je tattends avec impatience !
Élodie cligna des yeux, abasourdie. Pas de code, alors elle plongea dans les messages. La voiture chauffait toujours, mais elle lisait, hypnotisée.
La correspondance était longue. Interminable. Presque une vie entière.
Elle découvrit quAntoine finissait le travail à 17 heures, mais ne rentrait jamais avant 19 heures. Jamais elle naurait eu lidée de vérifier ses horaires.
Presque chaque jour, il passait une heure avec sa « chère Chloé » avant de rentrer à la maison, comme si de rien nétait. Et les mots quil lui adressait Élodie nen avait jamais reçu de semblables.
Sur les photos, une femme plus âgée. La quarantaine bien sonnée. Quest-ce quil lui trouvait ?
La colère dÉlodie monta dun coup.
Elle sapprêtait à sortir de la voiture quand elle vit Antoine quitter limmeuble.
Elle avait laissé un mot disant quelle était partie faire des courses. Il en profitait sans doute pour envoyer un nouveau message à sa « chère Chloé ».
Cest seulement maintenant quÉlodie se souvint : Antoine descendait souvent le soir « chercher quelque chose » dans sa voiture. Un portefeuille oublié, une autre babiole. Presque tous les soirs, une brève escapade dont elle ne sétait jamais méfiée.
Antoine laperçut au volant de son Audi et marcha droit vers elle.
Qui ta donné lautorisation ? On navait pas convenu de ça !
En le voyant, la rage dÉlodie redoubla.
Elle boucla sa ceinture, passa la marche arrière et appuya à fond sur laccélérateur. La voiture percuta violemment la clôture derrière elle. Un certain soulagement lenvahit.
Elle sortit de la voiture, fixant Antoine, médusé.
Va la retrouver, ta Chloé ! On verra si tu lui plais toujours sans maison ni voiture ! Va-ten ! Que je ne te revoie plus !
Pour sceller ses mots, elle lança les clés de lAudi dans un énorme tas de neige et retourna chez elle.
Les enfants sétaient réveillés. Trop jeunes pour comprendre ce qui se passait. Quelques minutes plus tard, Antoine tenta de rentrer, mais Élodie verrouilla la porte.
Va la retrouver ! Oublie le chemin de cette maison ! hurla-t-elle à travers la porte.
Antoine neut dautre choix que de partir. En pantoufles, peignoir et veste légère, il marcha jusquau domicile de sa « chère Chloé ». Il espérait un peu de réconfort, mais ce fut une autre surprise qui lattendait.
Chloé ouvrit la porte et une voix dhomme résonna depuis lappartement.
Mon cœur, tu en as pour longtemps ? Je commence à mimpatienter !
Antoine ne venait chez Chloé quen semaine. Jamais le week-end. Apparemment, elle aussi avait deux cavaliers. Pourquoi se morfondre le dimanche ?
Elle lui jeta un regard coupable et referma la porte.
Antoine, le cœur lourd, se dirigea vers la maison de sa mère, à deux rues de là.
Quand Simone le vit, elle comprit aussitôt. Elle laccueillit, le réconforta, le nourrit, écouta son histoire sur cette « méchante épouse » qui lavait chassé sans raison, puis lui dit, dun ton maternel :
Ne tinquiète pas, mon fils. Qui aurait cru quÉlodie serait comme ça ? Ton jour de gloire viendra ! Tu nas que trente-cinq ans, tu retrouveras lamour, nen doute pas !
Antoine sinstalla donc chez sa mère. Il était déterminé à recommencer sa vie. Même un peu soulagé dêtre libre jusquà ce quÉlodie réclame une pension alimentaire. Là, il comprit que tout recommencer ne serait pas si simple. Heureusement, sa mère était là. Sans elle, il aurait été perdu.







