Reviens auprès de ta mère – ordonna le mari en posant les valises

**Journal de Pierre 12 mars**

« Retourne chez ta mère », a ordonné Théo en poussant les valises vers la porte.

« Maman, arrête de lui téléphoner », a soupiré Élodie en posant sa tasse sur la table. « Théo est au travail, il a une réunion. »

« Une réunion, bien sûr » Marguerite a serré les lèvres. « Je connais ces réunions. Hier aussi, il était en «réunion» quand il est rentré à minuit. On le sentait à trois pas, lhaleine chargée de cognac. »

Élodie sest frotté les tempes. Depuis quils avaient emménagé chez sa mère, chaque journée commençait ainsi. Temporairement, le temps des travaux dans leur appartement, avaient-ils décidé. Deux mois plus tard, rien nétait fini.

« Maman, je ten prie, » a murmuré Élodie. « Tu avais promis de ne pas ten mêler. »

« Je ne men mêle pas, » a rétorqué Marguerite en reposant son téléphone. « Je minquiète pour toi. Tu travailles comme une forcenée, pendant quil fait la fête. Quel genre dhomme est-ce là ? »

« Un homme bien, » a répliqué Élodie en se levant. « Et il ne fait pas la fête. Il avait un rendez-vous important avec des clients, je te lai expliqué. »

Marguerite a ricané, sceptique. Élodie connaissait ce regard : sa mère ne croyait pas un mot de ce quelle disait.

« Je pars travailler, » a annoncé Élodie en prenant son sac. « Je rentre vers huit heures. »

« Et le déjeuner ? Jai fait une potée. »

« Pas le temps, maman. Réunion à treize heures, puis client. »

Marguerite a hoché la tête. « Tu ne manges jamais. Comment veux-tu avoir des enfants avec un estomac vide ? »

Élodie a retenu un nouveau soupir. Le sujet des enfants était douloureux, mais sa mère y revenait sans cesse. Cinq ans de mariage, pas de petits-enfants un scandale.

« À ce soir, maman. Théo a promis de rentrer tôt, on dînera ensemble. »

« Sil rentre » a grommelé Marguerite.

Dehors, dans lescalier où traînait une odeur de chat mouillé lodeur de son enfance , Élodie sest appuyée contre le mur. Elle a appelé Théo.

« Tu as encore eu maman au téléphone ? »

« Trois fois. Je nai pas répondu. »

« Désolée, elle sinquiète. »

« Sinquiète ? » Théo a ri, amer. « Elle surveille chacun de mes pas. Hier, interrogatoire : où jétais, avec qui jai bu, pourquoi si tard. Je ne suis plus un adolescent, Élo. »

« Je sais. Tiens bon encore un peu. Le plombier a promis de finir la salle de bains cette semaine. On rentrera bientôt chez nous. »

Un silence. Puis, dune voix sourde :

« Et si je ne veux pas rentrer ? »

« Comment ça ? »

« Rien. À plus tard. »

Il a raccroché. Élodie a fixé son téléphone, la poitrine serrée. Que voulait-il dire ? Ne plus rentrer dans leur appartement ou ne plus rentrer vers elle ?

La journée a été interminable. Élodie a échoué à se concentrer, raté des chiffres en réunion, oublié un détail crucial avec un client. Théo, parti sur un chantier, nest pas revenu.

À son retour, vers vingt et une heures, lappartement était silencieux. Dans la cuisine, Marguerite et Théo se tenaient face à face, latmosphère électrique.

« Quest-ce qui se passe ? »

Théo a levé les yeux, glacials.

« Demande à ta mère. Elle me pourrit la vie depuis une demi-heure. »

Marguerite, les bras croisés, a craché le morceau : elle avait traité Théo de bon à rien, incapable de subvenir aux besoins de sa femme.

« Maman ! On a notre appartement ! »

« Une chambre de bonne dans une cité, oui ! De mon temps, les hommes bâtissaient leur foyer. Lui ? Un petit cadre »

La dispute a éclaté. Théo a explosé : il en avait assez des critiques, des reproches. Marguerite a rétorqué quÉlodie méritait mieux.

Cette nuit-là, Élodie a pleuré en silence. Le lendemain matin, Théo était parti avant son réveil. Marguerite lattendait à la cuisine, triomphante.

« Ton prince est déjà parti ? »

Élodie na pas répondu.

Le soir, en rentrant, elle a trouvé Théo et sa mère au bord de laffrontement. Théo annonçait quil emménageait seul.

« Et moi ? » a chuchoté Élodie.

« Tu choisis. Avec moi, ou ici. Je ne supporterai plus cette vie. »

Marguerite a éclaté en sanglots, accusant Théo de lui voler sa fille. Élodie, déchirée, a cédé :

« Je reste. Maman a besoin de moi. »

Théo est parti sans un regard. Deux semaines plus tard, les papiers du divorce sont arrivés.

Maintenant, lappartement rénové est vide. Élodie ne peut sy résoudre à y entrer. Elle marche, travaille, sourit. La nuit, parfois, elle pleure.

Marguerite, étrangement, sest adoucie.

Et Théo ? Peut-être aurait-elle dû le suivre. Mais la vie ne revient pas en arrière.

**Leçon :** On croit parfois choisir entre deux personnes. En vérité, on choisit entre deux parts de soi-même. Et quoi quon décide, quelque chose se brise.

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