Grand-mère n’en a plus pour longtemps, il est temps de vendre sa maison…

**Journal dun homme 15 octobre**

La grand-mère nen avait plus pour longtemps, il était temps de vendre la maison Quand, à vingt-quatre ans, Élodie décida de sinstaller dans la vieille demeure familiale, certains crurent quelle avait perdu la raison.

Jeune, en bonne santé, elle pourrait trouver du travail en ville ! Ici, cest la campagne, la pauvreté, les vieux, murmuraient les clients à lépicerie.

Mais Élodie, silencieuse, faisait ses courses et rentrait à pied par le chemin de terre. Tout le monde la connaissait ici : la petite-fille de Michel et Geneviève, létudiante venue en vacances qui était finalement restée. Le grand-père, affaibli, oubliait souvent où étaient ses lunettes ou sil avait nourri les poules. Geneviève tenait bon, mais sa tension et son essoufflement trahissaient lâge.

Élodie cuisinait, nettoyait, emmenait Michel à lhôpital, veillait Geneviève la nuit quand celle-ci « avait un coup de pompe ». La maison seffritaittoit qui fuyait, cheminée qui sécroulait. Avec ses petits revenus en télétravail et la modeste pension de Michel, Élodie commença les réparations. Les voisins aidèrent parfois. On refit le toit. Puis quelquun reconstruisit la cheminée. Lannée suivante, elle installa une petite maison préfabriquée au fond du jardin pour y vivre. Les jours difficiles, elle caressait son chat, Croissant, se réchauffait près du feu et réfléchissait. Un jour, Michel, regardant par la fenêtre, lui dit :

Élodie, tu es comme une lumière dans cette maison. Tu ne nous abandonneras pas ?

Où irais-je, papi ? répondit-elle.

Il sortit alors une vieille chemise dun tiroir et la lui tendit :

Jai fait ce papier. La maison, le terrain. Pour quils ne viennent pas tout prendre.

Elle ouvritun testament, enregistré en mairie. Tout était en règle, avec deux témoins et le maire comme officier. Elle hocha la tête et rangea le document.

Michel séteignit début mars. Lenterrement fut simple, les voisins vinrent, pleurèrent. La mère dÉlodie, Sophie, vivait en ville et ne venait que rarement. Mais loncle Thierry débarqua à limproviste, avec sa femme et des cadeaux. Lui qui vivait dans une résidence cossue en banlieue, ne pensant à ses parents quaux fêtes, et encore

Élodie était près du potager, une bêche à la main. Thierry descendit de sa voiture, chaussures neuves, veste légère. Sa femme, Nathalie, bien coiffée, ongles vernisés, se serrait les épaules contre le froid.

Maman ! sexclama Thierry en se précipitant vers Geneviève, qui balayait le perron. Enfin nous voilà ! On narrivait pas à se libérer, mais cette fois, cétait impensable de ne pas venir.

Il embrassa sa mère, qui sourit timidement.

Entrez, on va prendre le thé.

Élodie les suivit. Thierry lui adressa un sourire condescendant.

Salut, Élo. Toujours là, hein ?

Dans la cuisine, Nathalie sassit sans retirer son manteau.

Maman, cest typique, ici. Mais il fait froid. Pas de chauffage central ?

La cheminée. Ça a toujours été comme ça, répondit Geneviève.

Je te lavais dit, reprit Nathalie. Comment tu vas faire, seule maintenant ? Cest dur, non ?

Élodie maide, dit Geneviève en haussant les épaules. Elle gère tout.

Thierry regarda Élodie.

Bravo, cest vrai. Mais tu es jeune. Ça ne tennuie pas ? Ce nest même pas chez toi.

Élodie le toisa.

Ah oui ? Jai investi comme si cétait le cas. Vous, on ne vous a jamais vus.

Nathalie éclata de rire.

Élodie, tu travailles en remote. Où as-tu investi ? Acheter des courses, ce nest pas un investissement.

Jai refait le toit. La cheminée. Construit ma maison.

Sans permis, lança Thierry. Qui ta autorisée ?

Il reposa sa tasse.

Maman, je vais être franc. Ce nest pas contre Élodie. Mais cette maison est trop lourde pour toi. Et avouons-le, cest un trou. Vends. On trouverait un acheteur. Largent serait pour toi. Et tu pourrais vivre chez nous. On est ta famille.

Élodie posa lentement sa tasse.

Cinq ans sans venir. Juste des messages le jour de Noël. Et soudain, tant daffection

Thierry ricana.

Ce nest pas à toi de juger, petite. Tu es là par charité. Papi ta hébergée, dis-lui merci.

Hébergée ? Élodie se leva. Jétais là quand il étouffait de toux la nuit. Je lui changeais ses draps. Et vous ? Pas un coup de fil !

Ça ne te donne aucun droit sur la maison, compris ?

Geneviève intervint sèchement :

Assez ! Je suis encore vivante. Rien à partager.

Mais Thierry était lancé. Il fixa sa mère.

Maman, tu comprends Tout est à toi. Et Élodie Elle est gentille, mais après ?

Élodie se tourna vers Geneviève, qui baissa les yeux.

Cest mon fils. Il veut maider. Je Je ne sais plus. Ne men veux pas, Élo.

Nathalie ajouta dune voix mielleuse :

Élodie, soyons réalistes. Combien de temps vas-tu rester ? Ta jeunessepassée à soccuper de vieux et de poules ? Cest malsain. Tu veux vieillir ici ?

Élodie sortit.

Ils restèrent boire leur thé.

Quelques jours plus tard

Quest-ce que cest ? demanda-t-elle.

Les papiers. Jai vendu le terrain. Geneviève fixait ses mains tremblantes, évitant le regard dÉlodie.
Thierry avait raison Cest trop pour moi. Lacheteur arrive demain.

Élodie ne dit rien. Elle alla chercher la chemise dans le tiroir, la tendit à sa grand-mère.
Il y a un testament, mémé. En mon nom.

Le silence sétira. Puis Geneviève secoua la tête.
Je je ne savais pas.

Le lendemain, lacheteur sonna à la porte. Élodie ouvrit, debout sur le seuil, Croissant roulé en boule contre ses pieds.
Désolée, dit-elle. La maison nest pas à vendre.

Elle referma la porte, traversa le salon, alluma la cheminée. Dehors, les poules grattaient la terre. Le ciel séclaircissait.

Оцените статью