Lex-belle-mère est arrivée en visite. Elle ignorait que nous étions divorcés.
Tu te rends compte, Nina Pavlovna ne sait pas quArcadie et moi avons divorcé, murmura Lydie. Elle arrive chez nous à linstant.
Elle éteignit son téléphone et jeta un regard anxieux à son amie.
Quoi ? sexclama Bérénice. Ici, vraiment ? Dans cet appartement ?
Cest bien ça, répondit Lydie en fronçant les sourcils. Elle est persuadée que son fils et moi sommes toujours ensemble. Elle dit quelle sennuie de ses petites-filles.
Pourquoi as-tu si peur ? Elle nest plus rien pour toi. Alors, respire.
Facile à dire. Tu ne la connais pas. Cest une femme redoutable. Elle a des relations, tu imagines ? Elle va croire que je lui ai caché la vérité exprès. Et elle soupçonnera le pire. Elle me fera payer.
Elle ne ta pas appelée une seule fois depuis ? sétonna Bérénice.
Nous étions fâchées. La dernière fois quelle est venue de Saint-Pétersbourg, il y a deux ans, nous nous sommes disputées.
À cause dArcadie ?
Pas que, soupira Lydie. Nina Pavlovna na rien trouvé à son goût ici. La façon dont nous lavions reçue, notre éducation des enfants, tout Bref, tout y est passé.
Et alors ?
Quoi « et alors » ? Elle a déballé ses griefs. Jai répliqué. Mot pour mot. La dispute a éclaté. Elle a juré de ne plus jamais me parler. Elle est partie. Depuis, elle ne communiquait plus quavec Arcadie.
Et lui ?
Lui ? Ça larrangeait bien. Une raison de plus de maccuser. Il a dit que si je ne respectais pas sa mère, cest que je ne laimais pas non plus. Que cétait pour ça quil avait des problèmes au travail. Puis il est parti. Une semaine sans nouvelles. Ensuite, il ma appelée pour mannoncer quil avait rencontré quelquun dautre et quil fallait nous séparer.
Donc Arcadie na rien dit à sa mère, conclut Bérénice, pensive.
Apparemment non.
Et il ne lui a pas mentionné quil tavait pris la moitié de lappartement. Quavec tes deux enfants, ton chat et ton chien, tu vivais dans une colocation ?
Exactement. Elle croit que tout va bien. Elle ma dit quelle avait une affaire urgente à Paris et quelle resterait une semaine chez nous.
Chez toi, donc ?
Iui, répondit Lydie en désignant la pièce dun geste vague.
On sonna à la porte.
Cest elle, murmura Lydie, paniquée. Que faire ? Comment lui expliquer ?
Dis-lui la vérité, tout simplement.
Elle va encore tout me reprocher. Elle va hurler. Jai peur. Et si je nouvrais pas ?
Ce serait pire. Elle soupçonnerait quelque chose.
On sonna de nouveau.
Ouvre, ordonna Bérénice, ferme. Naie pas peur. Quelle crie tant quelle veut. Tu nas rien à te reprocher. Je suis là.
Lydie ouvrit la porte.
Bonjour, Nina Pavlovna, murmura-t-elle.
Pourquoi as-tu mis si longtemps ? gronda la vieille dame en entrant avec deux valises. Tu cachais quelquun ?
Personne, répondit Lydie. Je parlais avec une amie.
Quelle amie ?
Bérénice apparut dans lentrée.
Bonjour, dit-elle. Je suis Bérénice. Une amie de Lydie.
Nina Pavlovna la toisa avec mépris.
Arcadie est au travail ? demanda-t-elle à Lydie.
Peut-être, répondit celle-ci.
« Peut-être » ? Tu ne sais pas où est ton mari ?
Lydie haussa les épaules, embarrassée.
Il nest plus son mari ! lança Bérénice, provocante.
Nina Pavlovna la fixa, intriguée.
Comment ça ?
Au sens propre, répliqua Bérénice, fière et déterminée.
*Jai toujours rêvé de dire ça à mon ex-belle-mère*, pensa-t-elle. *Dommage que je naie pas pu avec la mienne. Au moins, je me rattrape avec celle-ci.*
Lydie et votre cher fils ont divorcé il y a un an, poursuivit-elle, sarcastique. Et ils ont dû se partager leur deux-pièces. Arcadie a vendu sa moitié. Résultat : Lydie vit ici, en colocation, avec ses deux enfants, son chat et son chien. Dautres questions ?
Nina Pavlovna regarda Lydie.
Cest vrai ?
Oui, confirma-t-elle. Nous avons divorcé lautomne dernier.
Pas ça. Il ta pris lappartement ?
Oui. Il en avait le droit. Cétait notre propriété commune. Et puis, il est remarié maintenant.
Remarié ?
Arcadie dit quelle attend un enfant. Il ma demandé de ne pas insister pour la pension. Il promet de tout rembourser plus tard. Il a des soucis au travail.
Et tu las cru, intervint Bérénice. Naïve. Arcadie ne te rendra rien. Ses problèmes au travail ? Probablement inventés. Et lenfant ? Une excuse pour tattendrir.
Pourquoi ne ma-t-il rien dit du divorce ? murmura Nina Pavlovna, songeuse.
Peut-être ne voulait-il pas vous blesser ? suggéra Lydie, craintive.
Peut-être, admit la vieille dame.
En réalité, Arcadie avait gardé le silence pour une autre raison.
*Quelle croie que Lydie et moi sommes encore ensemble*, calculait-il. *Cest plus avantageux. Maman déteste Lydie, mais elle adore ses petites-filles. Grâce à elles, elle maidera à acheter un appartement.*
Chaque mois, au téléphone, il se plaignait du manque de place dans leur deux-pièces. Il envoyait des photos des enfants, sachant combien sa mère les chérissait. Tout allait bien, disait-il sauf quil leur fallait un plus grand logement.
Laînée entre à lécole bientôt, soupirait-il. Nous navons même pas la place pour un bureau. Un appartement plus grand serait idéal. Mais nos salaires ne suffisent pas. Les filles ont écrit au Père Noël pour quil leur offre un appartement près du métro VDNKh. Elles pensent souvent à toi, maman. Elles demandent : « Comment va grand-mère ? » Mais ne tinquiète pas. Nous nous débrouillerons.
Arcadie savait exactement ce quil faisait.
*Elle trouvera une solution*, pensait-il. *Je vais lui suggérer une idée.*
Bien sûr, poursuivit-il, nous pourrions vendre ta maison de campagne à Fontainebleau. Avec cet argent, acheter un quatre-pièces près du Jardin des Plantes. Jai vérifié les prix. Ce serait parfait. Les filles auraient chacune leur chambre. Mais je ne veux pas te forcer, maman. Je sais combien tu aimes cette maison.
Et maintenant, arrivée de Saint-Pétersbourg, Nina Pavlovna découvrait la vérité.
Je vois, dit-elle. Où sont les petites ?
À la crèche.
Et toi, tu travailles ?
En télétravail.
Et tes colocataires ?
Une voisine. Une femme gentille. Elle accepte le chat et le chien. Elle vient de divorcer, elle aussi. Elle est au travail.
Gentille, hein ? ricana Nina Pavlovna. Bon. Je men vais.
Elle sortit.
Ça sest bien passé, souffla Lydie en refermant la porte. Je craignais quelle ne crie.
Deux mois plus tard
*Je nai pas appelé maman depuis longtemps*, pensa Arcadie. *Il faut que je lui rappelle ma situation difficile.*
Maman, salut. Comment vas-tu ? Tout va bien ? Tant mieux. Je suis content. Ah, nous ? Toujours entassés dans notre deux-pièces. Tu sais quoi ? Si on vendait ta maison de campagne ? Comme tu lavais suggéré. Tu te souviens ?
*Comment ça, « plus de maison » ? Maman ! Quoi ? Elle a brûlé ? Non ? Ouf. Alors ? Déjà vendue ? Largent ? Dépensé ? Quoi ? Tu as acheté un quatre-pièces ? Pour qui ? Les enfants ? Quels enfants ? Les miens ? Mais ils sont trop jeunes ! Ah bon ? Pourquoi as-tu fait ça, maman ?*
*Pourquoi ne mas-tu pas consulté ? Si, je tavais dit quil leur fallait des chambres. Mais tu aurais pu men parler. Acheter pour moi, pas pour eux. Ah, tu es venue quand je nétais pas là ? Quand ? Je vois. Et lappartement est où ? Métro Alexandre Dumas ? Attends, maman Jai un voile devant les yeux Ça va mieux. Cest lémotion. Merci beaucoup.*
Le lendemain, Arcadie se présenta chez Lydie.
Il inspecta chaque recoin du nouvel appartement en silence.
*Tout cela aurait pu être à moi*, songea-t-il. *Si Lydie navait pas manipulé maman. Mais rien nest perdu. Je lépouse à nouveau, puis je la chasserai. Elle a sa chambre ? Quelle y reste.*
Maintenant, Lydie, déclara-t-il solennellement, après tout ce qui sest passé, nous pouvons recommencer. Maman ta pardonnée, sinon elle ne nous aurait pas acheté cet appartement.
Elle ne la pas acheté pour nous.
Comment ça ?
Pour nos filles.
Cest pareil. Et après tout ça, tu dois redevenir ma femme.
Je dois ?
Arcadie la foudroya du regard.
Tu nas pas compris. Je ne te demande pas ton avis. On se retrouve après-demain à la mairie. À 10h. Près du réverbère, tu te souviens ?
Bien sûr. On noublie pas ce genre de choses.
Et ne sois pas en retard. Tu sais combien je déteste ça.
Je serai à lheure.
Bien sûr, Lydie ne vint pas. Arcadie, furieux, lappela. Elle avait oublié. Ils reportèrent au lendemain. Mais elle ne se présenta pas non plus.
Comment ça, Lydie ? hurla-t-il au téléphone. Pourquoi encore ?
Désolée, répondit-elle. Jai encore oublié.
Ils repoussèrent la date à la semaine suivante. Même résultat. Arcadie ne se découragea pas.
Six mois plus tard, il persistait, fixant sans cesse de nouveaux rendez-vous. Chaque fois, Lydie trouvait une excuse. Et chaque fois, il se tenait là, ponctuel, sous la pluie, la neige, même lors de la tempête qui avait arraché les arbres.
Les employés de la mairie ladmiraient.
Voilà lamour véritable ! disaient-ils. Il est toujours là, fidèle. Quand il ne pourra plus venir, nous lui érigerons une statue. Un symbole de la détermination masculine !







