Trente jours sétaient écoulés, marqués par le calendrier comme une plaisanterie cruelle. Trente jours qui devaient mettre fin à cette histoire absurde, une farce orchestrée par lorgueil dun homme riche. Les amis de Laurent, ceux avec qui il partageait les tables des restaurants étoilés et lennui des soirées sans saveur, ne pouvaient plus contenir leur curiosité. Leurs messages, tels des mouches agaçantes, bourdonnaient dans son téléphone : « Alors, lheure des comptes a sonné ? » ou « Prépare-toi à payer, ta petite rondelette a sûrement déjà préparé sa valise pour largent ! ».
Laurent restait silencieux. Les mots lui manquaient, car sa réalité navait plus rien à voir avec leur scénario méprisant. Il vivait désormais dans une autre dimension, rythmée par des matins qui ne commençaient plus avec lamertume dun espresso commandé dans un café branché, mais par larôme enveloppant des croissants dorés quÉlodie pétrissait de ses mains dans sa cuisine, autrefois froide et vide. Les soirées, jadis bercées par les basses des boîtes de nuit et les conversations creuses, se passaient maintenant chez lui, sous la lumière douce dune lampe, accompagnées des mélodies discrètes auxquelles il apprenait, à sa propre surprise, à danser. Dabord maladroit, il imitait les mouvements gracieux dÉlodie, mais peu à peu, leurs pas se transformaient en un dialogue silencieux, une conversation dâmes sans parole.
Cest lors de ces soirées quil découvrit son histoire. Élodie avait voué sa jeunesse à la danse, mais on lui avait fermé les portes des ballets, jugeant son corps indigne des canons rigides de la « ballerine parfaite ». Alors, elle avait trouvé refuge dans la salsa, un univers où la sensibilité comptait plus que la silhouette, où chaque mouvement venait du cœur. Elle lui avait appris à écouter la musique, à ressentir le rythme, à être présent.
Le jour venu, celui qui devait clore leur pari cynique, Laurent réunit ses anciens amis dans le même restaurant où tout avait commencé. Ils arrivèrent avec des sourires narquois, sattendant à un récit moqueur de son échec.
Mais Laurent se leva, le visage empreint dune sérénité nouvelle.
Le pari est terminé, annonça-t-il dune voix claire. Je lai perdu.
Un murmure incrédule parcourut lassistance.
Comment ? Tu las vraiment épousée ! sexclama lun deux.
Javais parié que je pourrais me marier à une femme simple et men débarrasser après trente jours, répondit-il, la voix ferme. Mais je ne peux pas la quitter. Parce que je laime. Et elle nest pas une « simple fille » : cest une femme extraordinaire, celle qui ma fait me sentir, pour la première fois, plus quun portefeuille sur deux jambes. Prenez votre argent. Il ne vaut plus rien à mes yeux.
Il jeta une liasse de billets sur la table et se dirigea vers la sortie.
Attends ! linterpella Antoine, lun de ses anciens amis. Tu es sérieux ? Pour une femme ronde ?
Laurent se retourna lentement, le regard glacial.
Dabord, elle sappelle Élodie. Retiens-le. Et ensuite, si lun dentre vous manque de respect à ma femme, notre amitié sarrêtera ici. Définitivement.
Il quitta le restaurant, lair de la rue lui semblant plus léger que jamais.
Chez lui, Élodie lattendait sur le balcon, enveloppée dans sa robe dintérieur, les cheveux caressés par la brise.
Alors ? demanda-t-elle sans se retourner.
Je leur ai tout dit, murmura-t-il en lenlaçant.
Et maintenant ?
Maintenant, je suis libre. Deux. De leur argent. De lhomme que jétais.
Elle se tourna vers lui et posa une main sur son cœur.
Tu sais, jai aussi fait un pari, avoua-t-elle. Avec moi-même. Jai parié quen un mois, je pourrais faire tomber amoureux cet homme orgueilleux. Et lui faire comprendre que le bonheur ne sachète pas.
Laurent rit, un rire vrai, qui venait des profondeurs.
Qui a gagné, alors ?
Nous deux, répondit-elle en souriant.
Ils ne dansèrent pas ce soir-là. Ils restèrent enlacés, silencieux, regardant les couleurs du couchant. Deux solitaires qui avaient trouvé, non pas un prix en argent, mais une victoire bien plus précieuse : celle sur la solitude et les faux-semblants.
Et ce soir-là, sous les lumières de Paris, Laurent perdit toutes ses illusions. Mais il commença à gagner bien mieux. Il dansa. Vraiment. Et pour la première fois, il sentit son âme senvoler au rythme de la musique, unie à celle de cette femme extraordinaire.
