12 octobre 2025
Je reviens du travail, lesprit encore embrouillé par la réunion de ce matin. Alors que je minstalle à mon bureau, un bouquet de roses fraîches apparaît soudainement sur le coin de ma table. En levant les yeux, je croise le regard de Léon, le nouveau collègue du service informatique, qui me sourit timidement.
«Pour vous, Élodie», ditil en rougissant légèrement.
«Merci, mais ce nétait vraiment pas nécessaire», répondsje, essayant de garder un ton neutre.
Depuis quelques semaines, Léon se montre attentif : il mapporte parfois un café, lance un compliment de temps en temps. Jessaie de faire comme si je ne remarquais pas ses avances. Il na rien de séduisant à mes yeux, un type plutôt banal.
À la pause déjeuner, Marion, une collègue, se penche vers moi.
«Élodie, pourquoi tu repousses Léon? Il semble pas mal du tout.»
«Marion, ce nest pas mon genre. Il est trop calme à mon goût.»
«Mais cest fiable. On ne trouve plus ce genre de personnes aujourdhui. En plus, il a déjà un appartement à Paris. Pas tout le monde à son âge peut se vanter dun tel toit.»
«Un appartement, distu», murmureje, perdue dans mes pensées. Posséder un logement, pouvoir subvenir à ses besoins, voilà des critères essentiels quand on imagine un futur à deux.
Le soir même, je reste tard au bureau pour finir un rapport important. Alors que je mapprête à partir, Léon sapproche.
«Élodie, je peux vous raccompagner?» proposetil.
«Merci, mais je prends un taxi.»
«Alors laissezmoi au moins vous accompagner jusquau taxi,» insisteil.
Sur le chemin, il parle de ses passions, de son travail, de ses projets. Soudain, il me propose un rendezvous. Malgré mon hésitation, jaccepte, pensant que ce sera loccasion den savoir plus sur lui, surtout après les remarques de Marion sur son logement.
Notre premier rendezvous se déroule dans un petit café du Marais. Léon savère être un interlocuteur agréable, cultivé, plein desprit.
«Et où habitezvous?» lui demandaije, sans vouloir montrer mon intérêt.
«Dans mon propre appartement,» répondil fièrement. «Mes parents mont aidé à lacheter après la fin de mes études à luniversité.»
«Cest formidable», disje sincèrement.
Au fil des rencontres, je découvre chez Léon des qualités que je navais pas perçues auparavant : attention, fiabilité, capacité découte, honnêteté. Mes parents et mes amis lapprouvent rapidement.
Un jour, je linterroge sur son avenir.
«Léon, à quoi rêvestu?»
«Je rêve dune famille, denfants, dune maison chaleureuse où nous pourrions vivre ensemble.»
«Une maison, cest beau, mais il faut dabord une bonne base, comme un appartement.»
«Nous avons déjà lappartement,» répondil en souriant, «alors nous pouvons commencer à penser à la maison»
Un an plus tard, nous nous mariâmes. La cérémonie était simple, mais pleine démotion. Nous emménageâmes dans lappartement de Léon à Paris. Je nai jamais cessé de ressentir de la joie: jétais mariée à un homme bien, nous avions notre toit.
Deux ans après, notre fils Thomas est né. Léon sest montré un père dévoué, aimant. Nous vivions en parfaite harmonie, et je nai jamais douté de mon choix.
Un soir, alors que nous bordions Thomas, je lui ai confié mon désir davoir un deuxième enfant.
«Léon, je pense quil est temps davoir un autre bébé.»
«Encore un? Mais pourquoi, notre petit Thomas nestil pas encore assez grand?»
«Je voudrais une petite fille, et nous avons les moyens: largent, lappartement Pourquoi pas? Nous pourrions vendre notre deuxpièces, en acheter un plus grand»
Léon a vacillé.
«Largent, oui, mais lappartement»
«Quen estil de lappartement?»
«Ce nest pas vraiment le mien.»
Je suis restée sans voix.
«Comment ça? Tu mavais dit que tes parents tavaient aidé à lacheter!»
«Oui, mais il est au nom de mon père. Ils ont décidé ainsi pour que je ne le perde pas en cas de séparation.»
Un poids glacé sest abattu sur moi. Je me suis assise sur le lit, tentant dassimiler la révélation.
«Tu mas menti tout ce temps? Pourquoi?»
«Je nai pas menti, jai simplement omis. Mes parents mont demandé de ne pas en parler, de peur que je ne lépouse que pour lappartement. Aujourdhui, je sais que tu maimes réellement.»
«Et maintenant?», demandaije, les larmes au bord des yeux. «Que faisonsnous, Léon?»
«Rien ne change. Nous nous aimons, nous avons Thomas. Mes parents ne prendront jamais lappartement ; il restera à nous.»
«Et si jamais ils décidaient de le donner à ma sœur?»
«Ils ne le feront jamais.»
«Comment le saistu?»
«Faistoi confiance, Élodie.»
Il a tenté de me prendre dans ses bras, mais la colère et la trahison étaient trop fortes. La soirée sest terminée en dispute. Léon a fini la nuit sur le canapé du salon, moi, dans la chambre, refusant de le laisser entrer.
Trois jours se sont écoulés sans que nous ne parlions. Léon continue daller travailler, je prépare ses repas, je repasse ses chemises, le tout en silence. Il tente à plusieurs reprises dengager la conversation, mais je lignore, le figeant dans mon indifférence. Même notre fils, lorsquil sapproche de Léon, je le prends immédiatement et léloigne.
Je rêve toujours de vendre notre deuxpièces pour acheter un troispièces, voire une petite maison en banlieue. Mais Léon ne revient jamais avec les bonnes nouvelles de la notaire.
Un aprèsmidi, la mère de Léon, Madame Dupont, vient sans prévenir, profitant de labsence de son fils.
«Questce qui se passe ici?», demandetelle. «Mon fils semble troublé, racontezmoi.»
«Rien, Madame Dupont, tout va bien,» je réponds, tentant de rester calme. «Je ne sais pas pourquoi Léon est si maussade.»
«Tu mens, ma chère. Pourquoi cherchestu à prendre cet appartement qui nest pas le tien? Vous vivez paisiblement, personne ne vous chassera, pas moi, pas mon fils, pas votre petitenfant.»
Je serre les poings, puis réponds le plus sereinement possible :
«Je ne cherche pas à prendre votre appartement, Madame Dupont. Cest simplement que Léon ma toujours dit que lappartement était à lui, alors quil appartient à votre mari. Jai peur pour mon avenir. Si quelque chose arrivait, nous ne pourrions rien faire avec cet appartement. Jaimerais un deuxième enfant, mais dans un deuxpièces il ny a pas assez de place. Nous avons économisé, mais il nous manque encore pour un troispièces. Vendre le deuxpièces et réunir les fonds nous permettrait de le faire, mais je ne veux pas devoir vous supplier pour obtenir votre accord. Nous sommes une famille, nous avons un enfant, donc je pense que nous devrions décider nous-mêmes de notre logement.»
Elle ricane :
«Cest grâce à des filles comme toi que je protège mon fils. Tu ne penses pas que je suis naïve, comme Léon? Je vois clair dans tes intentions. Tu espères quun programmeur modeste se marie avec une belle et brillante femme comme toi. Ne me dis pas que tu laimes pour la vraie raison. Lappartement ne sera jamais vendu, quoi quil arrive. Il restera la propriété de mon mari. Alors, que comptestu faire? Vendre pour gagner de largent et divorcer, histoire dobtenir la moitié? Ce nest pas possible. Économisez, achetez ce que vous voulez, mais participez au budget familial, alors vous aurez le droit de décider.»
Elle ajoute, dun ton sec :
«Je ne veux pas me disputer avec toi. Vis tranquillement, je te promets que personne ne vous chassera dici. Mais si tu tobstines, jobtiendrai le fils de mon mari pour le forcer à divorcer. Réfléchis bien, ma chère.»
Après son départ, je prépare le dîner, le cœur lourd. Je me dis que, malgré tout, Léon est un bon mari, il gagne correctement. Lappartement restera là, même si cela mécrase. Nous économiserons, nous achèterons notre troispièces. Peutêtre que, avec le temps, il finira par accepter que nous contribuions davantage à la trésorerie familiale. En attendant, je garde lespoir que la patience finira par payer.







