L’anneau de maman déclenche une querelle familiale

Je me souviens, au temps où les rues pavées de Bordeaux résonnaient du bruit des fiacres et où les souvenirs se moulaient comme la cire dune bougie. Ce fut ce que le vieux anneau de ma mère fit naître une querelle qui, pendant longtemps, resta gravée dans mon esprit.

«Non, maman, je ne vous rendrai pas cet anneau!», sécriait Clémence, la voix tremblante de colère. «Cest vous qui me lavez offert à mes dixhuit ans!»

«Ma fille, comprendsmoi, ce nest pas quun simple bijou,» répondait Élise Dubois, les doigts jouant nerveusement les plis de son pull en laine. «Il appartenait à ton grandmère, et maintenant il doit aller à Camille.»

«Camille? Mais questce que ma sœur a à voir avec ça?», répliqua Clémence en ouvrant dun geste vif le tiroir supérieur de la commode. «Pourquoi voudraitelle soudain mon anneau?»

Élise se laissa tomber lourdement sur le bord du canapé. Le dialogue prenait une tournure désagréable, mais elle navait pas lintention de reculer.

«Camille se marie bientôt, tu le sais. Maxime la demandée en fiançailles, et ils nont pas les moyens dacheter une alliance. Je leur avais promis quon les aiderait.»

«Nous?», sécria Clémence, tirant dun tiroir une petite boîte de velours quelle serra fort dans sa paume. «Et moi, tu mas oubliée?»

«Ma petite,» la voix dÉlise se fit suppliée, «cest un héritage familial. Lanneau doit passer à celle qui se marie. Camille fonde sa famille, et toi»

«Alors je suis la vieille demoiselle, nestce pas?» ricana amèrement Clémence. «Quel est le problème si, à plus de trente ans, je ne suis toujours pas mariée? Cet anneau est la seule chose précieuse que tu maies vraiment offerte, du fond du cœur. Je me souviens de tes mots: «Prendsen soin, ma fille, il tapportera le bonheur.»»

Élise savança, voulut poser une main sur lépaule de sa fille, mais Clémence recula.

«Tu as toujours choisi Camille,» murmura Clémence en ouvrant la boîte. Lanneau dor, avec un petit grenat au centre, scintillait faiblement sous les rayons du soleil couchant qui filtraient à travers les rideaux. «Tout le meilleur lui revenait: belles robes, joujoux coûteux, ton attention»

«Ce nest pas vrai!» sindigna Élise. «Je vous aime toutes les deux à parts égales!»

«Vraiment?» Clémence glissa lanneau à son annulaire sans nom. «Souvienstoi quand je suis allée à la fac et que Camille participait à un concours scolaire? Qui astu couru soutenir? Qui astu consolée après son premier chagrin?»

Élise baissa les yeux. Il y avait une part de vérité dans les paroles de sa fille, mais lavouer la mettait mal à laise.

«Camille a cinq ans de moins que toi, elle demandait plus dattention.»

«Bien sûr,» acquiesça Clémence. «Et maintenant elle veut mon anneau.»

Le carillon de la porte retentit. Clémence frissonna, nattendant personne. Élise, les larmes essuyées, alla ouvrir.

«Camille! Entre, ma chérie,» la voix dÉlise devint douce comme du miel.

Clémence serra les dents. Elle aurait voulu senfuir dans sa chambre, fermer la porte et ne plus entendre ce théâtre. Mais elle resta, les poings crispés, au milieu du salon.

«Salut, petite sœur!», sexclama Camille, entrant comme une petite tornade. Fine comme un roseau, aux cheveux roux en boucles et aux taches de rousseur sur le nez, elle paraissait bien plus jeune que ses vingtcinq ans. «Questce qui se trame ici?Tu as lair davoir mordu un citron!»

«Nous parlions de lanneau de grandmère,» répliqua sèchement Clémence.

«Ah, maman ten a déjà parlé?» sinstalla Camille dans un fauteuil, croisant les jambes. «Je suis aux anges! Maxime ma demandé en mariage! Nous voulons nous unir à la fin du printemps, mais les alliances nous navons pas les moyens.»

«Et tu veux prendre mon anneau?», demanda Clémone, le regard perçant.

«Ce nest pas le mien, mais celui de grandmère,» haussa les épaules Camille. «Maman a dit que, par tradition, il doit aller à la première qui se marie. Tu ne ty opposes pas?»

Clémence tourna les yeux vers sa mère, qui restait en retrait, les doigts jouant sur le col de son pull.

«Je my oppose,» affirma Clémence dune voix ferme. «Cet anneau ma été offert, je ne le rendrai pas.»

«Mais, ma chérie,» intervint Élise, «nous sommes une famille! Il faut sentraider.»

Camille acquiesça. «Et puis, il ne te sert à rien. Depuis des années il dort dans ce tiroir.»

Un nœud monta à la gorge de Clémence. Les mots restèrent coincés. Elle sortit, claquant la porte dun geste brusque.

Dans sa chambre, elle se jeta sur son lit, le visage contre loreiller. «Ils décident toujours pour moi, sans me demander mon avis.» Elle se sentait comme une pièce de rechange, un accessoire invisible.

Elle revit le jour où, à ses dixhuit ans, elle avait reçu cet anneau. Elles étaient dans un petit café du VieuxPort, entourées damies, pour fêter son anniversaire. Avant de partir, sa mère lavait appelée.

«Ma fille, jai quelque chose de spécial pour toi,» avait dit Élise en sortant la petite boîte. «Cest lanneau de ma mère, ta grandmère. Il passe de mère en fille. Il porte bonheur et aide à trouver le véritable amour.»

Clémence navait pas accordé beaucoup dimportance à ces paroles, mais elle était heureuse davoir reçu enfin un cadeau réellement précieux, alors que tout le reste allait à Camille.

Un coup de porte retentit.

«Clémence, je peux entrer?», demanda une voix douce.

«Non,» grogna-t-elle, mais la porte sentrouvrit, laissant passer la tête rousse de Camille.

«Ne sois pas fâchée,», glissa Camille en sasseyant sur le bord du lit. «Je ne savais pas que cet anneau comptait tant pour toi.»

Clémence, les yeux embués, sassit et essuya ses larmes.

«Ce nest pas lanneau, Camille. Cest que vous décidez tout avec maman, sans jamais me consulter. On dirait que mes sentiments nexistent pas.»

Camille se raidit.

«Ce nest pas vrai, on taime.»

«Aimezvous?Alors pourquoi maman te donne toujours tout? Pourquoi elle trouve toujours du temps, de largent, de lattention pour toi, et elle ne me donne que les miettes du banquet?»

Camille soffusqua.

«Maman ne fait jamais de distinction!»

«Vraiment?» Clémence brandit la main où lanneau brillait. «Et maintenant tu veux me prendre la seule chose qui me reste.»

Camille baissa les yeux.

«Je ne savais pas que tu y tenais tant.»

«Ce nest pas une tradition!Cest une invention pour te plaire, comme dhabitude.»

Élise entra, le visage pâle.

«Mes filles, ne vous disputez pas, sil vous plaît. Camille, va mettre la bouilloire. Je veux parler à Clémence en privé.»

Camille sortit. Élise sassit près de sa fille.

«Clémence, pardonnemoi,» pritelle la main. «Je nai jamais voulu te blesser.»

«Tu las fait,» répondit Clémone, libérant sa main. «Comme dhabitude.»

«Pensestu vraiment que jaime Camille plus?» demanda Élise, les yeux brillants de douleur.

«Je le sais,» répliqua Clémence, se levant pour regarder par la fenêtre. «Toute ma vie, je me suis sentie secondaire. Toujours Camille, Camille, Camille Et maintenant tu veux me priver de lunique rappel dun instant où je me suis sentie aimée.»

Élise resta silencieuse, la tête baissée, puis murmura :

«Tu as raison. Jai donné plus dattention à Camille, non pas parce que je laimais davantage, mais parce que tu étais toujours si indépendante, si forte. Tu as grandi trop tôt, tandis que Camille a toujours besoin dêtre choyée.»

Clémence secoua la tête.

«Ce nest pas une excuse.»

«Je sais,» soupira Élise. «Je veux que tu saches que je vous aime toutes les deux de la même façon, même si je le montre différemment.»

Un silence lourd sinstalla. Clémence ne voulait pas se tourner vers sa mère. Finalement, Élise, dune voix presque un murmure, dit :

«Lanneau est à toi. Je nai aucun droit de le reprendre. Pardonnemoi.»

«Maman,» demanda Clémence, «cest vrai que cet anneau porte le bonheur en amour?»

Élise esquissa un faible sourire.

«Ta grandmère y croyait. Quand elle me le donna, je nétais pas encore mariée. Elle disait: «Portele, et il taidera à rencontrer le véritable amour.» Un mois plus tard, jai rencontré ton père.»

Clémence fixa lanneau; le grenat, éclairé par la lampe, ressemblait à une goutte de sang figée.

«Mais vous avez divorcé,» observatelle.

«Oui, mais cela ne signifie pas que je nai pas été heureuse. Nous avons eu de belles années, et vous, mes deux filles, êtes mon plus grand bonheur.»

Camille entra avec un plateau de thé et de biscuits.

«Tout va bien?» demandatelle, jetant un regard entre sa mère et sa sœur.

Clémence prit une tasse, but une gorgée et répondit :

«Oui, tout va bien.»

Camille, toute excitée, parla de son mariage imminent, du costume quelle avait repéré, des fleurs quelle imaginait. Clémone, le doigt tournant lanneau, linterrompit soudain :

«Quel anneau avezvous, vous deux?»

Camille baissa les yeux. «Nous nen avons pas encore. Maxime est au chômage, et je ne peux pas me permettre une alliance.»

«Cest pour cela que tu veux mon anneau?» lança Clémence.

Camille acquiesça, les larmes aux yeux. Elle comprit alors que son désir nétait pas tant lavidité que la détresse.

«Je te le prête pour le jour du mariage, seulement un jour,» proposa Clémone. «Puis tu me le rendras.»

«Vraiment?» sécria Camille, rayonnante. «Tu ne plaisantes pas?»

«Jamais,» répondit Clémone, tendant lanneau. «Essaiele.»

Camille le glissa à son doigt ; il était un peu grand.

«Il faudra lajuster,» remarquatelle.

«Ce nest pas nécessaire,» secouatelle la tête. «Cest seulement pour un jour, souviensten.»

Camille sourit, les yeux pleins de gratitude. Élise, les larmes aux yeux, les serra dans ses bras.

«Clémence, tu es mon trésor,» ditelle. «Pardonnemoi davoir été injuste.»

«Maman, ne le dis pas,» rougittelle. «Ne le mentionne pas.»

Le soir sétira autour de tasses de thé et de conversations sur le mariage. La tension satténua, la chaleur sinstalla.

Lorsque Camille se prépara à partir, elle retira lanneau et le rendit à sa sœur.

«Prendsle, je crains de le perdre avant le grand jour.»

Clémence le rangea dans la petite boîte, puis, en suivant sa mère qui débarrassait la table, reçut un câlin.

«Merci, ma fille,» murmura Élise. «Tu as montré que tu sais pardonner et partager.»

«Ce nest pas un grand geste,» plaisanta Clémence. «Je ne lai prêté quun jour, pas pour toujours.»

«Cest pourtant noble,» insista sa mère.

Cette nuit-là, le sommeil fuyait Clémence. Elle repensait à lanneau, aux paroles de sa grandmère, à ce quil devait apporter comme bonheur en amour. Treize ans plus tard, elle navait toujours pas trouvé le véritable amour. Peutêtre auraitelle dû le porter plus souvent?

Le matin suivant, le téléphone sonna. Cétait Camille.

«Sœurette, tu ne vas pas le croire!» sexclamatelle, excitée. «Maxime a obtenu un poste bien payé! Il vient de signer le contrat!»

«Félicitations,» répondit Clémone, à moitié endormie. «Je suis heureuse pour vous.»

«Et le plus incroyable?» poursuivittelle. «Hier, je lui ai parlé de ton anneau, de ta générosité. Il a reçu un appel ce matin pour le poste. Tu crois que cest le destin?Peutêtre lanneau porte vraiment chance!»

Clémence esquissa un sourire.

«Peutêtre,» concédatelle. «Je suis ravie que tout sarrange pour vous.»

«Viens nous voir ce weekend, célébrons!»

«Je verrai,» répondittelle, occupée par le travail.

Après cet échange, elle resta allongée, le regard fixé au plafond, sentant le poids du désaccord dhier salléger, comme une pierre qui se déplace enfin.

Laprèsmidi, le téléphone sonna de nouveau. Cétait sa mère.

«Clémence, jai pensé» commençatelle sans préambule. «Viens ce weekend, je préparerai ta tarte aux pommes préférée.»

Clémence haussa un sourcil, étonnée. Sa mère linvitait sans raison particulière.

«Rien de spécial,» dittelle, la voix légèrement blessée. «Juste lenvie de voir ma fille.»

«Ce nest pas bizarre,» réfléchittelle. «Très bien, jarriverai.»

Le weekend arriva. En approchant de la maison familiale, Clémence ressentit une légère excitation. Depuis quelle avait emménagé dans son propre appartement, trois ans auparavant, leurs rapports sétaient refroidis. Elles ne se voyaient que lors des fêtes, les appels étaient rares, le lien denfance seffEn repensant à lanneau scintillant posé sur le rebord, je compris que, parfois, les blessures du passé guérissent non pas en oubliant, mais en offrant humblement ce que lon possède le plus cher pour que les cœurs sunissent enfin.

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L’anneau de maman déclenche une querelle familiale
Surprise ! Maintenant, je vais vivre avec vous – a annoncé la belle-mère en faisant rouler sa valise.