La Fille d’Autrui

28octobre2025

Aujourdhui, je me retrouve à écrire ce qui me pèse depuis trop longtemps. Le divorce nest plus une inconnue dans mon pays, mais je pensais, lorsque jai épousé Léa, que cétait pour la vie. Elle incarnait à mes yeux la grâce et la douceur dune femme française, et jétais fou delle. Peu après, nous avons eu notre petit garçon, Lucas, que jaimais à la folie. Avant même la naissance, je naurais jamais cru pouvoir aimer quelquun davantage que mon épouse, mais la vie ma prouvé le contraire.

Notre bonheur a duré peu. Trois ans après, quand Lucas est entré à la crèche, Léa a repris le travail. Cest à ce moment-là quelle a croisé Sébastien, lhomme qui allait bouleverser notre existence. Elle est tombée amoureuse, profondément, même si elle aimait encore, à sa façon, mon mari. Un jour, elle ma annoncé quelle partait avec un autre :

«Pierre, ne pense pas que je tai trahi. Jai vraiment espéré que cela passerait, mais ce nest pas le cas. Sébastien maime énormément. Je suis désolée»

Je nai rien pu dire. Pourquoi insister? Elle était déjà décidée, et il valait mieux ne pas se quereller. Nous avions un fils, et il fallait garder de bonnes relations pour lui. Nous nous sommes donc séparés. Léa ma assuré que je finirais par rencontrer quelquun qui saurait apprécier mes qualités, mais après cette première brûlure, je ne voulais plus prendre de risques.

Lucas grandissait, et je le voyais régulièrement. Léa et moi nous entendions, nous réglions tout à lamiable. Elle na même pas demandé la pension alimentaire, disant simplement: «Si tu peux, donnemoi de largent.» Elle devait sûrement se sentir coupable. De mon côté, je savais combien il faut deuros chaque mois pour subvenir aux besoins dun petit garçon: les frais de crèche, les activités extrascolaires, la nourriture qui nest plus bon marché. Jenvoyais donc chaque mois ce que je pouvais, souvent environ 300.

Un jour, Lucas, venu me chercher, ma annoncé que Léa était enceinte. Jai ressenti un mélange démotions que je ne saurai nommer: amertume, jalousie, douleur, peutêtre un brin de joie que tout aille bien pour elle. Mais la joie était de courte durée. La petite fille née de Sébastien a abandonné sa mère dès la naissance, la laissant seule avec son bébé. Léa, aveuglée par lamour, ne voyait pas les signaux dalarme.

Jai aidé financièrement le père de la petite, mais il était peu présent. Quand je récupérais Lucas, je pouvais aussi accompagner la petite fille, Élise, chez le pédiatre ou lemmener à lhôpital pendant que Léa devait sabsenter quelques heures. Nous ne cherchions pas à nous remettre ensemble; je savais que rien ne redeviendrait comme avant, et Léa craignait de me trahir à nouveau. Nous restions simplement des amis pour le bien de nos enfants.

Lorsque Élise a eu deux ans et que Lucas est entré à lécole, le drame sest abattu: Léa a été heurtée par un conducteur ivre, au feu rouge, devant larrêt de bus. Laccident a fait trois victimes, dont elle, qui na même pas atteint lhôpital. Cette nouvelle a été un choc. Malgré le temps qui sétait écoulé, je gardais un sentiment daffection pour Léa, même si ce nétait plus de lamour. Il fallait tout de même organiser les funérailles et rassurer Lucas.

Cest alors que le père dÉlise, Claude, a refusé de reprendre sa fille. Avant les obsèques, il ma dit:

«Ma fille ne mintéresse pas. Jai une autre famille, elle ira ailleurs.»

«Mais cest ma fille, comment pouvezvous?», aije rétorqué.

Il a même suggéré que la sœur de Léa, une alcoolique vivant dans une maison en ruines à la campagne, sen occupe. Je savais que ce nétait pas une solution. La voisine qui gardait la petite en attendant la décision a aussi décliné la garde, prétextant son âge (près de cinquante ans) et ses propres enfants.

Cette nuit-là, le sommeil ma échappé. Véronique, la petite, nétait pas ma fille, mais je ne voulais pas la laisser à la merci dun parent indifférent ou dun foyer inadapté. Le jour suivant, Lucas ma demandé:

«Papa, Sébastien va prendre Véro?»

«Non, mon fils, il ne le pourra pas.»

Je ne voulais jamais mentir à mon fils, alors je lui ai donné la vérité amère : elle serait probablement placée en foyer daccueil. Sa question innocente ma rappelé que même les enfants voient le monde avec une pureté désarmante.

«Papa, elle ira en foyer? On lui racontera une histoire le soir? Elle naime pas la bouillie, on pourra lui donner autre chose? Et on pourra lui rendre visite?», a-t-il ajouté.

Son désir de protéger sa petite sœur ma touché. Jai alors proposé: «Et si elle venait vivre avec nous?»

Après avoir traversé toutes les démarches administratives, jai obtenu la garde de Véronique. Le jour où je lai récupérée à la voisine, elle sest jetée dans mes bras, me serrant fort, comme si elle mavait enfin trouvé. Elle connaissait mieux mon parfum que celui de son père biologique. Quand elle a vu Lucas, elle a souri immédiatement. Bien quelle ne comprenne pas encore que sa mère nest plus, le fait dêtre avec son frère a rendu le choc plus supportable.

Quelques mois plus tard, elle mappelait «papa» et je ne la corrigeais pas. Après tout, jen avais pris la responsabilité. Son père biologique nest plus jamais intervenu, envoyant de temps à autre de maigres versements. Mais je navais plus besoin de son aide.

Véronique a grandi, ressemblant de plus en plus à sa mère. Lucas et elle saimaient profondément, et chaque jour je sentais que javais fait le bon choix. Jai fini par laimer comme ma propre fille, même si, aux yeux des autres, elle nétait pas de mon sang. Parfois, je pensais même quelle avait un peu de mon visage.

À six ans, jai rencontré la femme qui allait devenir mon véritable amour. Je métais juré de ne plus jamais me remarier, de ne plus laisser personne entrer dans ma vie. Mais le destin en a décidé autrement. Elle a accepté mes enfants, Lucas et Véronique, et Véronique, avec le temps, a commencé à lappeler «maman», car elle nen gardait aucun souvenir. Lucas, quant à lui, a respecté la nouvelle épouse de son père avec la politesse dun fils bien élevé. Je nexigeais rien de plus de mon fils.

Je nai jamais menti à Véronique, ni à Lucas. Elle savait que je nétais pas son père biologique, mais elle ma accepté comme tel. En grandissant, elle a compris pourquoi javais pris ce risque: après la tragédie, jai adopté non seulement mon fils, mais aussi une petite fille étrangère, que jai élevée comme la mienne.

Une soirée, alors quelle venait de finir le lycée et se préparait à entrer à luniversité, elle sest approchée de moi et a dit :

«Merci, Papa.»

«Pour quoi, ma petite?», aije répondu avec un sourire.

«Pour ne pas mavoir abandonnée. Pour mavoir offert une enfance heureuse. Pour ne pas mavoir séparée de mon frère. Pour être devenu mon vrai père et mavoir présenté ma mère.»

Les larmes ont perlé dans mes yeux, mais jai souri :

«De rien, Véronique. Et merci à toi dêtre entrée dans ma vie. Jai finalement découvert ce quest une fille que lon aime vraiment.»

Ce que jai retenu de tout cela, cest que lamour ne se mesure pas au sang, mais à la présence, aux choix que lon fait et aux sacrifices que lon accepte. La vraie famille se construit au quotidien, avec patience et dévouement. Aujourdhui, je sais que la vie peut surprendre, mais quil ne faut jamais renoncer à ouvrir son cœur.

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