IL SUFFIT D’ÊTRE PATIENT

Mélisande le savait, elle le savait parfaitement. Elle navait plus vingt ans, ni même trente, le temps était déjà écoulé.

***

Mélisande était lasse dentendre le même refrain chaque soir, de porter ce fardeau invisible.
Léa, pourquoi toujours moi? Questce qui cloche? Suisje trop exigeante? Une odeur désagréable? Ou bien je ne donne jamais damour, de tendresse?
Questce qui ne va pas chez toi?
Tous les hommes, grands, petits, gras, maigres, beuveries, beaux, moches, semblent tous mener une vie à eux et elle, toujours seule.
Pourquoi suisje à moi?

Écoute, Mél ne ris pas, ma grandmère parlait dun vieux rite, je ne sais comment le dire la couronne du célibat.
Ah bon? sécria-t-elle en secouant la tête, on vit encore au Moyen Âge?
Tu ne crois pas? répliqua Léa en bondissant de sa chaise. Ma cousine au quatrième degré en avait, la vieille la retirée.
Quelle vieille? demanda Mél, dun ton plat, juste pour faire avancer la conversation.
Je vais appeler Nadine, ma sœur, celle qui a vu la couronne disparaître. Elle me dira tout.

Léa griffonna furieusement sur une serviette, la langue piquant le bout de ses lèvres.
Nad Nadine, merci. Alors, quoi de neuf? Tu te remaries? Encore? Et Geneviève? Oh, elle la virée. Bon, jarrive.
Léa coupa le combiné, un silence pesant sinstalla.
Il sest passé quoi?
Rien enfin, oui, il faut encore acheter un cadeau de mariage, ma sœur se marie pour la cinquième fois. Cette vieille a clairement brisé la couronne. Voici ladresse, tu viens?
Mél haussa les épaules et, malgré tout, monta dans sa voiture. Mais la grandmère, après lavoir détournée, la ramena les mains vides.
Tu nas aucune couronne.
Comment ça? je
Quoi? Tu nas pas choisi les bons hommes? Le premier, un escroc qui ta laissé un enfant, prétendait taimer, alors quil était déjà marié.
Tu ne le savais pas? Tu pensais que cétait moi qui nétais pas faite?
Il nétait quun vaurien, il a tout gâché, il est parti dans les buissons la vie sest arrangée sans lui.
Quoi?
Ce nest pas à toi den savoir plus, ce nest pas ton homme.
Le deuxième non plus? sourit mélancoliquement Mél.
Non, confirma la vieille le troisième non plus.
Le troisième? Je nai personne
Ça viendra
Et le mien? Quand arriveratil? Arriveratil?
Il arrivera quand on sy attend le moins il sera à toi, mais pas tout entier. Une fille ne peut tout contrôler, mais croislui, il est fiable, il tapportera le bonheur que tu cherches ou même tout le sien. Patiente, ne te précipite pas.
Vay Et ta copine? Dislui daller chez le médecin, prendslui ces herbes, quelle boive, quelle aille voir la gynécologue Dislui que la grandmère a demandé de transmettre.

Cette conversation remontait à des années. Désespérée de trouver son bonheur, Mél était allée voir la guérisseuse du village. Tout ce que la vieille avait dit sétait réalisé.

Le troisième a été rencontré, les paroles de la grandmère sétaient envolées. Il était bon, attentionné avec la petite fille de Mél, mais quelque chose se passait toujours, ils devenaient soudain pensifs et séloignaient, comme sils fuyaient pour toujours, sans explication.

Puis vint Yvan. Au début, Mél ne savait même pas qui il était. Lappartement voisin était vide depuis des années. Quand elle emménagea avec sa fille, aucune âme nhabitait le lieu. La voisine, Tante Katia, racontait que le propriétaire venait seulement la nuit, sarrêtait chez sa mère

Un jour, poussée par la curiosité féminine, Mél aperçut la porte entrouverte du voisin. Un homme peignait des papiers peints. Elle sortit doucement, consciente que le propriétaire était rentré. Il était revenu, vraiment revenu.

Leur première rencontre fut dans le couloir, une semaine après. Les portes des appartements étaient faites si bêtement que si lune souvrait, lautre restait bloquée, il fallait refermer la première. Mél, pressée pour le travail, tenta douvrir la sienne et échoua. Le voisin sexcusa rapidement, referma son appartement, et Mél entendit des pas légers.

Une autre fois, elle bloqua la sortie du voisin. Puis ils se croisèrent sur la terrasse, le voisin permit à Mél douvrir la porte en premier.

Un jour, Yvan aida Kristine à soulever son vélo, Mél lui offrit des pâtisseries. Plus tard, ils se retrouvèrent au parc, le fils de Yvan, du même âge que Kristine, les fit jouer ensemble sur les balançoires. Mél et Yvan discutaient gaiement.

Six mois plus tard, Yvan linvita à un rendezvous, la présenta à sa famille. Ils commencèrent à vivre ensemble, mais avant cela, Yvan raconta son histoire.

Mél je ne suis pas un gamin de vingt ans, ni un boulet, je suis un homme, un vrai. Jai mes convictions, mon caractère.
Je te promets, si tu acceptes de vivre avec moi, je ne te trahirai pas, je ferai le travail dhomme, je gagnerai, je ne bois pas, je ne fume pas. Pas de mauvaises habitudes.
Je te respecterai, je tapprécierai Mél, pardonnemoi, je ne sais aimer, je lai essayé.
Je ne suis pas une pierre, je ressens pour toi, mais ce nest pas ce que tu veux entendre. Je ne peux rien faire.
Aije besoin dune femme comme toi? Ma femme mappelait «la vieille sorcière».
Je texplique tout ça, pour que tu ne penses pas que je me joue la victime.
Jai aimé une fille quand jétais jeune, tu sais elle était chaude, près delle, je me sentais bien cela na jamais marché, elle ne voyait en moi quun ami. Jai essayé denlever ce sentiment du cœur, sans succès.
Jai eu des femmes plus belles, plus intelligentes, mais rien na fonctionné
Peutêtre auraistu dû parler avec elle? demandatil dune voix cassée.
Tu pensais que jétais un bouffon, un souffredouleur, nestce pas?

Il lui raconta comment il avait parlé à la femme qui venait de se séparer de son mari, comment il avait prouvé que peu importait quelle laime ou non, car il laimait déjà. Elle lécouta, resta silencieuse, puis demanda pourquoi il sétait séparé dInès. Il répondit honnêtement quil ne laimait plus.

Et alors? sen moquatelle, elle était belle, intelligente, joyeuse, pourquoi ne pas rester?
Il comprit alors que son cœur était vide, quil ne pouvait vivre avec une femme qui ne laimait pas, et quil avait fini par se marier par défaut.

Je ne suis pas un zombie, jai vécu, jai ri, je ne sais que dire Lamour, pour certains, est un don, pour moi, une punition. Je me sens comme blessé, incapable doffrir le bonheur à une femme. Les femmes aiment les mots doux, je ne peux mentir.

Il voulait simplement que Mél décide si elle pouvait vivre sans ces émotions flamboyantes, sans le feu dune passion. «Ne réponds pas maintenant, réfléchis.»

Mél pensa, puis, une semaine plus tard, elle rencontra la grande famille de Yvan. Joyeuse, chaleureuse, ils accueillirent Mél et sa fille comme des sœurs. Au départ, elle craignait dêtre perçue comme le remplaçant de la femme aimée, dêtre traitée avec pitié. Mais tout se passa à merveille.

Elle ne regrèta jamais davoir épousé Yvan. Il était fiable, décida rapidement les problèmes de Mél, elle sefforça de ne pas trop penser à la passion, tout allait bien. Parfois, une ou deux fois par an, elle surprenait le regard vague de son mari, peutêtre un souvenir, peutêtre un fantôme, mais cela naffectait jamais leur vie commune.

Et encore, ce regard persistant. Estce une blessure? Si elle met la main sur son cœur, elle sait que chaque femme rêve que lhomme change pour elle. Mél aussi, elle nétait pas venue au mariage par grand amour, mais elle sy était habituée, comment ne pas aimer? Il était lhomme idéal.

Ce regard brumeux il ne laimait plus vraiment.

Yvan? sécria Mél,
Il se leva, se dirigea vers la fenêtre où elle nettoyait, le soleil printanier réchauffait la vitre. Il entra dans la pièce, ladmirant, se sentant libre, vraiment libre. Il avait retrouvé celle quil aimait, rien dautre.

Questce qui se passe, Yvan?
Tout va bien, ma chérie tu ne peux imaginer à quel point tout est beau.

Il lembrassa, réalisant à quel point il aimait sa femme, à quel point elle comptait pour lui.

Mél pensa, «la vieille ne ma pas menti il suffit simplement dattendre.»

Bon matin, mes chers! Que votre amour, si vous ne lavez pas encore trouvé, souffle à votre fenêtre. Et sil est déjà là, chérissezle. Je vous embrasse, je vous envoie des rayons de bonté et de positivité. Toujours vôtre.

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Un Amour pour l’Éternité