15mai2025
Cher journal,
Ce soir, je me suis retrouvé à la cuisine, observant ma belleépouse Manon qui, silencieuse, surveillait Véronique Dubois, ma mère, trancher des pommes pour une tarte aux pommes. Elle parlait à voix haute, comme si elle racontait une histoire à un auditoire imaginaire. Manon ne lécoutait pas. Cela fait maintenant un mois que ma mère vit avec nous, et je sens que la tension monte depuis longtemps. Notre mariage, avec Manon depuis cinq ans, a été heureux, mais ces dernières semaines jai vu ma femme douter de la décision quelle a prise en épousant le fils de Véronique.
«Manon!sexclama ma mère, interrompant son monologue.Tu ne mécoutes même plus! Il faut que Cyril trouve un autre emploi. Sa boîte actuelle nest pas sérieuse! Jai parlé à mon amie, elle est prête à lembaucher dans son entreprise de construction. Le salaire y serait plus élevé et les perspectives meilleures. En un an, il pourrait même être promu. Et toi, tu pourrais rester à la maison! »
Jai senti le sang bouillonner en Manon lorsquelle a repris son souffle, essayant de contenir lirritation. «Véronique, cest à Cyril de choisir son travail. Il est déjà adulte.»
«Évidemment quil est adulte! Mais toi, sa femme, tu dois le guider, le conseiller! Ce design, ces plans ce nest pas un métier dhomme!», sest emportée ma mère.
Manon a répliqué, les yeux presque au bord des larmes: «Cyril est architectedesigner, il est très talentueux, il aime son poste et lentreprise est excellente.»
«Aime?a rétorqué Véronique, les mains agitées.Et largent? On ne paie que des cacahuètes làbas! Et les enfants? Vous allez les devoir élever!»
«Nous nenvisageons pas denfants pour le moment,» a murmuré Manon, bien que le sujet ait déjà été longuement débattu. «Nous avons assez déconomies.»
«Pas denfants?a répliqué ma mère, posant le couteau.Alors, que faire de vous deux? Cinq ans de mariage et toujours pas denfant! Jai moi-même élevé Cyril à ton âge!»
Manon est restée muette. Elle désire des enfants, mais pas maintenant. Elle vient tout juste de soutenir sa thèse de doctorat et a décroché un poste de maîtreassistant à la faculté de ParisSorbonne. Elle a expliqué tout cela à Cyril, qui a soutenu son choix. Elle ne lui reste plus que trois années pour consolider sa carrière avant de songer à fonder une famille.
Ma mère, semblant penser que le silence équivaut à laccord, a continué: «Ma chère Sophie, la fille de mon amie, a déjà trois enfants et son mari, un charpentier, a construit une belle maison pour eux.»
«Véronique, nous déciderons nousmêmes de notre avenir. Je vous respecte, mais», a tenté de dire Manman.
«Questce que «nous déciderons»?a rétorqué Véronique, indignée.Je suis sa mère, je sais ce qui est bon pour lui et pour vous aussi! Ah, Manon! Vous êtes encore jeune, inexpérimentée. Une mère ne donne jamais de mauvais conseils.»
Manon a secoué la tête et a quitté la cuisine. Discuter était vain. Elle est montée à létage de notre modeste mais accueillante maison, achetée il y a deux ans avec un crédit immobilier de centmille euros. Allongée sur le lit, elle ferme les yeux, épuisée par son travail universitaire, la préparation des cours, la correction des copies et les incessantes remontrances de ma mère.
Le soir, je suis rentré, fatigué mais le sourire aux lèvres. «Tu ne devineras jamais! On ma nommé chefdesigner sur un nouveau projet!», mestelle annoncé en membrassant.
«Félicitations, mon amour!», aije répondu, sincèrement ravi.
«Cyril!Quel projet?Quel salaire?», a immédiatement sauté ma mère dans la conversation.
«Maman, cest un mandat très intéressant,» aije expliqué, enthousiasmé. «Nous allons concevoir le design dun nouveau quartier résidentiel de standing. Le salaire augmentera naturellement.»
«Et combien?», a insisté Véronique.
«Maman, ça na pas dimportance! Nous en avons assez,», aije rétorqué, un brin agacé. «Et lhypothèque? La voiture? Ta vieille berline ne tiendra pas la route longtemps!»
Sa réponse était piquée dun ton résolu. «Regarde la fille de Sophie, son fils»
«Maman, je ne suis pas le fils de Sophie,» aije interrompu. «Et maintenant, laissemoi dîner.»
Lors du repas, ma mère na cessé de donner des leçons. Je me suis enfoncé dans le silence, sentant une boule de frustration grandir en moi. Après le dîner, seuls Manon et moi, elle a éclaté:
«Cyril, je nen peux plus! Ta mère simmisce partout! Dans ton travail, nos projets, notre vie! Quand partiratelle?»
«Manon, elle veut simplement ce quil y a de mieux,» aije soupiré. «Elle est toujours comme ça.»
«Je sais,» a acquiescé Manon. «Mais cest différent quand elle vient le weekend et pire quand elle vit avec nous en permanence!»
«Cest temporaire,» aije tenté de la rassurer. «Sa chambre subit des travaux.»
«Depuis quand?Un mois déjà!»
«Tu connais ma mère,» aije souri. «Elle veut que tout soit parfait. Un peu de patience.»
Elle a hoché la tête. Que pouvaitelle faire dautre? Lexpulser était impensable. Sa patience était à bout.
Le lendemain matin, alors que je me préparais à partir au travail, Véronique est apparue dans notre chambre.
«Manon, il faut quon parle,» a-telle dit, sasseyant au bord du lit.
«Véronique, je suis pressée. Peutêtre ce soir?», aije tenté desquiver.
«Non, cest urgent,» a insisté ma mère. «Il faut que tu quittes ton emploi.»
«Quoi?Pourquoi?», aije été interpellée, ma brosse à cheveux en main.
«Pour avoir des enfants! Tu ne peux pas les remettre à plus tard indéfiniment! Hier, jai parlé à Cyril, il veut aussi un enfant.»
«Cyril?Il la vraiment dit?», aije demandé, le cœur battant.
«Pas clairement, mais je le sens. Cest mon fils, je le vois dans les yeux!»
Jai posé ma brosse, regardé ma bellemère. «Véronique, nous apprécions votre souci, mais nous avons déjà planifié davoir des enfants dans trois ans. Ce nest pas le bon moment maintenant.»
«Pas le bon moment?Quand seratil bon?Quand aurastu quarante ans?Jai eu Cyril à vingtdeux ans, cétait parfait.»
«Je sais,» aije rétorqué. «Vous avez élevé Cyril, mais les temps changent.»
«Exactement! Avant, la famille était première, aujourdhui tout le monde court après sa carrière!», sest exclamée ma mère.
Jai jeté un regard à lhorloge. «Il faut que jy aille,» aije déclaré. «Nous reprendrons la discussion ce soir avec Cyril.»
La journée a filé entre cours, consultations, réunion du département. Je pensais à la discussion du matin, à la crainte que Véronique ait raison. Et si Cyril voulait vraiment un enfant maintenant, mais nosait pas le dire?
En rentrant, jai trouvé ma mère en train de préparer un dîner festif, comme si elle annonçait une fête.
«Quelque chose se passe?», aije demandé, étonné.
«Oui! Nous avons une réunion de famille importante!», a annoncé Véronique, enthousiaste.
Nous nous sommes assis, et elle, en versant du vin, a déclaré dun ton solennel: «Jai parlé à Maud Martin, directrice dune grande société de construction. Elle veut tembaucher, Cyril, comme chef de département!»
Je suis resté sans voix. «Maman, questce que tu racontes?»
«Ton nouveau poste!», a insisté ma mère. «Cest le département de conception, le salaire sera doublé. Tu vois?»
«Je suis content où je suis,», aije répliqué fermement. «Je ne cherche pas à changer de travail.»
«Mais cest une opportunité à ne pas manquer!», a pressé Véronique, me tendant des documents.
Jai repoussé les papiers. «Merci, mais je suis satisfait.»
«Tu dois penser à lavenir, à la famille!», a continué ma mère, élevant la voix. «Quand aurezvous des enfants avec ce salaire?»
«Nous navons pas denfants pour le moment,», a rappelé Cyril, mon frère, qui venait darriver.
«Pas encore!», a crié ma mère, regardant Manon. «Mais ça arrivera bientôt!Tu comptes démissionner, Manon?»
«Quoi?Je ne quitte pas mon poste!», aije protesté. «Je nai jamais dit ça!»
«Vous avez parlé ce matin,», a affirmé Véronique, surprise. «Tu allais réfléchir à mon offre!»
«Nous avons dit que nous en parlerions ce soir,», aije expliqué. «Je ne prévois pas de démissionner et nous ne voulons pas denfants avant trois ans.»
Cyril a hoché la tête, visiblement contrarié. Les doutes saccumulaient dans mon esprit: la mère de mon frère avait-elle raison? Étaitelle vraiment prête à avoir des petits maintenant?
«Trois ans?Cest absurde!À trente ans, tout devient risqué!», sest exclamée ma mère. «Vous aurez trentetrois ans, cest dangereux!»
«Beaucoup de femmes ont des enfants après trente,», aije tenté de la raisonner. «Je lai fait à vingtdeux, mais chacun a son rythme.»
«Je veux le meilleur pour vous,», a insisté Véronique. «Je veux vous voir entourés de petitsenfants.»
«Nous le comprenons,», a répondu Cyril doucement mais fermement. «Mais cest notre vie, notre décision.»
«Votre vie!», a rétorqué ma mère. «Je veux quelle soit heureuse!»
Jai respiré profondément. «Pour moi, le bonheur, cest pouvoir choisir!»
Le dîner sest terminé dans une atmosphère lourde. Ma mère sest retirée, furieuse, tandis que Cyril restait pensif.
«Cyril, vraiment veuxtu un enfant maintenant?», aije demandé, cherchant la vérité.
«Non, mon amour, nous avons convenu de trois ans. Il faut que je termine ce projet», a-til avoué, le regard triste.
«Tu as lair contrarié.», aije noté.
«Cest à cause de ma mère,», a-til admis. «Elle est toujours si insistante, ça devient insupportable.»
«Devraiton lui parler?», aije suggéré. «Expliquer que nous apprécions ses conseils, mais que nous devons décider nousmêmes.»
«Oui, demain,», a-til acquiescé. «Ce soir, cest trop tard.»
Le lendemain, ma mère a semblé reprendre comme si rien nétait arrivé. Elle demandait nos plans du jour, sans évoquer la dispute dhier. Le soir, en rentrant, je lai surprise devant lordinateur, tapant frénétiquement.
«Bonsoir,», aije salué. «Questce que vous faites?»
«Oh! Manon, je je rédigeais un message à une amie,» a bafouillé ma mère, refermant rapidement le navigateur. Jai aperçu le titre de la page: «Comment convaincre les enfants davoir un bébé».
«Véronique, parlons,», aije dit.
«De quoi, ma chère?», a-elle répliqué, feignant linnocence.
«De ce qui se passe.» Jai été direct. «Vous avez envie de contrôler notre vie.»
«Contrôler?Je ne fais que conseiller!Je suis la mère,», sest fâchée.
«Vous êtes la mère de Cyril, pas la mienne,» aije affirmé. «Nous sommes adultes, nous prenons nos propres décisions.»
«Ah, Manon, vous ne comprenez pas. La mère sait toujours mieux,», a-telle répliqué.
«Peutêtre, mais la décision finale nous revient,», aije conclu.
À ce moment, Cyril est revenu, visiblement agité.
«Quelquun a appelé mon directeur,» a-til annoncé. «Il voulait savoir comment ça se passe chez moi, mon salaire, mes perspectives.»
«Quoi?Qui?», aije demandé.
Nous nous sommes tournés vers ma mère, qui, soudain, a été intriguée par le motif dune nappe.
«Maman?», a interrogé Cyril.
«Je voulais massurer que tout allait bien pour toi!», a rétorqué Véronique, les mains tremblantes. «Et alors?Questce quil a dit?»
«Il a dit quune femme inconnue se renseignait sur mon travail.», a répondu Cyril, la colère visible. «Maman, vous dépassez les limites.»
«Quelles limites?Je suis votre mère, il ne peut y avoir de limites!», a crié ma mère.
«Il faut bien des limites,», a répondu calmement Cyril. «Nous avons droit à une vie privée.»
«Ma vie privée?Moi qui tai tout donné!», a rétorqué ma mère, blessée.
«Oui, mais nous devons choisir notre cheminJe comprends enfin que le véritable amour consiste à laisser chacun tracer sa propre route.







