Véronique mavait invitée à passer chez elle. Puis, sans préavis, elle ma expulsée.
« Je tai déjà dit : sors de ma maison, immédiatement ! », a grondé Véronique, les bras croisés, la voix tremblante de colère.
« Questce qui se passe ? », a demandé Léa, lair perdu. « Cest toi qui mas appelée, qui mas demandé de loger chez toi pendant »
« Jai changé davis ! », la interrompue Véronique. « Assez ! Rassemble tes affaires et tiretolà ! »
Léa a balbutié vers son sac, posé près du canapé. Elle nétait arrivée que trois heures plus tôt, à peine le temps de déposer ses effets personnels.
« Expliquemoi au moins ce qui sest passé, », a insisté Léa, tentant de rester calme, mais sa voix vibrait.
« Il ne sest rien passé. Tu nes tout simplement plus la bienvenue. Jai pensé pouvoir supporter ta présence, mais je me trompais. Prends un taxi, je le commanderai. »
Léa a ramassé son sac à pas lents, les mains comme engourdies, la gorge nouée. Elles ne sétaient vues depuis presque deux ans, depuis lenterrement de leur mère. Un appel chaleureux, une invitation, puis léjection sans explication.
« Je pars vite, », a murmuré Léa, refoulant les larmes.
Véronique tapotait nerveusement le cadre de la porte, observant chaque geste de sa sœur. Son visage restait impassible, à lexception de deux fossettes crispées trahissant la tension.
Léa sest arrêtée dans lembrasure, a scruté la sœur qui lui ressemblait comme deux reflets : mêmes yeux noisette, mêmes pommettes hautes, même menton obstiné. Mais Véronique paraissait désormais étrangère.
« Adieu, », a dit Léa en franchissant le seuil.
« Adieu, », a résonné le cri de Véronique avant que la porte ne claque.
Descendant les escaliers, Léa repensait aux derniers mots de la conversation téléphonique, une semaine plus tôt.
« Léa, viens chez moi, », avait murmuré une Véronique dune voix étonnamment douce. « Reste tant que tes travaux se terminent. Il est grand temps de réparer nos liens, non ? »
« Tu en es sûre? », avait demandé Léa, hésitante. « Après tout ce qui sest passé »
« Lâche! Nous sommes sœurs. Oui, il y a eu des désaccords, mais il faut y mettre un terme. Viens ce samedi, je tattendrai. »
Et voilà le tableau. Sur le trottoir, sac à la main, Léa tentait de reconstituer les trois heures qui avaient tout changé. Véronique lavait accueillie avec chaleur, dressé la table, interrogée sur sa vie puis, soudain, sest retirée dans une autre pièce pour répondre à un appel. Elle est revenue, comme changée.
Le téléphone vibrait dans la poche : « Le taxi arrive dans 7minutes, attends au hall. »
Léa a soupiré, a posé le sac sur le trottoir pluvieux et a sorti son portable, cherchant désespérément une issue.
Il ne lui restait plus quun seul recours : Paul, un ancien camarade de classe avec qui elle échangeait souvent. Il vivait seul dans un deuxpièces du 11ᵉ arrondissement et ne refuserait sûrement pas de lhéberger quelques jours.
« Allô, Paul? », a lancé Léa. « Je suis dans une impasse »
Paul a écouté son récit confus, a noté ladresse sans poser de questions.
« Je tattends, ne ten fais pas, », a conclu dune voix apaisante, et Léa sest sentie légèrement soulagée.
Dans le taxi, les larmes ont enfin jailli. La rancœur brûlait. « Quaije fait à ma sœur pour mériter cela? » sinterrogeaitelle. Les vieilles querelles sur lhéritage refaisaient surface : après la mort de leur mère, Véronique voulait vendre lappartement familial, tandis que Léa tenait à le garder, chargé de souvenirs. Léa avait fini par racheter la part de sa sœur, senfonçant dans le crédit pour préserver le toit.
Le taxi sest arrêté devant limmeuble de Paul. Léa a payé, est sortie. Paul lattendait au hall, souriant.
« Ne fais pas cette tête, », a-t-il plaisanté en prenant le sac. « On sen sortira. »
Lappartement de Paul était chaleureux. Il a préparé du thé, des biscuits, et a écouté patiemment le récit de Léa.
« Je sens quil y a anguille sous roche, », a déclaré Paul après quelle ait fini. « Véronique ne ta pas appelée sans raison. Quelque chose sest passé pendant que tu étais chez elle. »
« Rien de spécial, on a bu du thé, parlé de son travail, de son voyage à la mer le mois dernier. Puis son téléphone a sonné, elle est sortie, et à son retour, elle était devenue hostile. », a haussé les épaules Léa.
« Tu ne trouves pas étrange quelle soit partie dans une autre pièce? De quoi parlaitelle? », a demandé Paul.
Léa a réfléchi. « Elle parlait à voix basse. Quand elle est revenue, elle a commencé à me questionner sur la durée de mon séjour, alors quon en avait déjà parlé au téléphone. Javais prévu de rester deux semaines pendant les travaux. »
« Qui réalise les travaux? », a demandé Paul.
« Une équipe recommandée par Véronique, les hommes de son exmari, elle disait quils étaient bons et pas chers. », a rétorqué Léa, amère.
Paul a froncé les sourcils. « Tu as vérifié lavancement? »
« Non, je leur fais confiance. Jai les clés, mais je ne suis pas allée voir depuis une semaine, depuis le début des travaux. »
« Allons voir maintenant, jai un mauvais pressentiment, », a proposé Paul. « Si tout va bien, on repartira. Sinon, au moins on saura. »
En demiheure, ils étaient déjà devant limmeuble de Léa. Elle était nerveuse, même si elle ne comprenait pas pourquoi.
En gravissant les marches, des voix étouffées et le bruit de meubles déplacés surgissaient de sous la porte.
« Il y a quelquun, », a murmuré Léa, figée.
Paul a saisi les clés et a ouvert la porte. Le hall était envahi de cartons et de sacs. Au centre du salon, entourée dun chaos de boîtes, Véronique discutait avec deux hommes costauds qui déplaçaient un placard.
« Que se passetil ? », a soufflé Léa, perçant le tableau.
Véronique a sursauté, lexpression passant de surprise à irritation.
« Léa? Que faistu ici? »
« Cest ma question! Que se passetil dans mon appartement? »
Véronique a cherché ses mots, jetant un regard aux déménageurs qui sétaient arrêtés, hésitants.
« Les gars, faites une pause, », a ordonné Véronique, et ils sont sortis, soulagés.
« Je tattends, », a rappelé Léa.
Véronique a poussé un soupir lourd et sest affalée sur le canapé.
« Je divorce dIgor. Il ma expulsée de notre foyer, je nai plus de toit. Jai pensé loger ici le temps de trouver un nouveau logement. »
« Et donc tu mas tirée du domicile, tu as menti sur les travaux, pour tinstaller chez moi? », a répliqué Léa, incrédule.
« Ce nest pas exactement ça, », a balbutié Véronique. « Au départ, je voulais vraiment nous réconcilier, passer du temps ensemble, réparer nos liens Mais jai réalisé que trop de choses sétaient accumulées entre nous. »
« Alors tu as décidé dusurper mon appartement ? », a lancé Léa, la voix tremblante. « De mexpulser de ma propre maison? »
« Je lexpliquerai plus tard ! », a crié Véronique. « Je nai nulle part où aller. Tes amis, les ouvriers, ils pourraient me loger »
« Quels ouvriers? », a interrompu Léa. « Il ny a aucun chantier ici! »
« Exactement, », a rétorqué Véronique, un sourire forcé aux lèvres. « Je lai inventé pour que tu viennes. Je pensais que tu me céderais lappartement temporairement, mais tu es trop têtue. »
« Têtue? », a explosé Léa. « Tu manipules, tu trompes ta propre sœur! Tu veux me priver de ma maison! Questce qui test arrivé? »
Véronique a sauté du canapé, le visage rouge de colère.
« Cest toi qui es la favorite de maman, tout ta toujours été donné! Et maintenant lappartement aussi Si on lavait vendu, jaurais pu macheter un chezmoi et ne plus dépendre dIgor toutes ces années! »
« Cest ça le problème, », a murmuré Léa. « Tu nas jamais pardonné que jaie voulu garder le logement familial. Pourtant je tai quand même versé ta part, même si ce nétait pas tout de suite. »
« Ce nest pas une question dargent! Cest que tu nas jamais pris en compte mes sentiments, tes décisions étaient toujours centrées sur toi! », sest emportée Véronique. « Tu ne pensais quà ton confort! »
« Cest faux, », a secoué la tête Léa. « Je me suis toujours souciée de toi, je le fais encore, je te donne une chance de réparer les choses. »
« Quelle chance ? », a demandé Véronique, méfiante.
« Tu as le choix. Soit tu rassembles tes affaires et tu quittes mon appartement immédiatement, soit jappelle la police et je porte plainte pour intrusion. », a déclaré Léa, ferme.
Paul, resté silencieux, a fait un pas en avant.
« Léa, peutil y avoir un compromis? Vous êtes sœurs, après tout »
« Non, aucun compromis. Jen ai assez de tes manipulations. Décidetoi: tu pars ou la police intervient. », a rétorqué Léa, implacable.
Véronique la fixée avec une haine visible, mais le regard résolu de Léa la finalement brisée.
« Daccord, je pars. Mais ne crois pas que ça sarrête là, », a lancé Véronique avant de rassembler ses affaires.
Une heure plus tard, la porte sest refermée avec fracas. Léa sest affalée sur le canapé, vidée, épuisée.
« Tu veux que je reste avec toi? », a demandé doucement Paul, sasseyant à côté.
« Si tu le peux, », a hoché Léa. « Jai besoin de quelquun à mes côtés. »
« Bien sûr, », a repris Paul, prenant sa main. « Je pense que Véronique traverse une période difficile divorce, perte de logement Ce nexcuse pas son geste, mais ça lexplique. »
« Peutêtre, », a soupiré Léa. « Mais je suis fatiguée de nos conflits. Elle croit toujours que je lui dois tout, que tout mest plus facile. Ce nest pas vrai. »
Un silence lourd sest installé. Dehors, la nuit tombait, et dans lappartement, les échos de Véronique sestompaient.
« Merci, », a fini par dire Léa. « Je ne sais pas ce que jaurais fait sans ton aide aujourdhui. »
« Cest normal, », a souri Paul. « On pourrait sortir ce weekend, aller au cinéma ou se balader, quen distu? »
Léa a esquissé un sourire, puis a acquiescé.
Une semaine plus tard, son téléphone a sonné. Lécran affichait le nom « Véronique ». Le pouce a hésité sur le bouton, puis elle a répondu.
« Allô? », a dit la voix de sa sœur, incertaine. « Léa, il faut quon parle. »
« De quoi? », a répondu Léa, froide.
« Je je voulais mexcuser. Ce que jai fait était mal. Jai vraiment honte. »
Léa est restée muette, cherchant les mots.
« Je suis dans une situation compliquée, mais ça ne justifie pas mon comportement. Je naurais pas dû agir ainsi. »
« Je comprends ta colère, tu as le droit, », a admis Léa.
« Jespère quun jour tu pourras me pardonner. Nous restons sœurs, après tout. »
« Je ne sais pas,», a répondu Léa, le souffle lourd. « Jai besoin de temps. »
« Bien sûr, je le comprends. Sache juste que je suis sincèrement désolée. », a conclu Véronique.
Après lappel, Léa a contemplé la fenêtre, songeant à la sœur qui, malgré tout, était la dernière proche quil lui restait. Peutêtre, avec le temps, le pardon viendrait. Pour linstant, elle devait soigner ses propres blessures et réapprendre à faire confiance.
Son téléphone a vibré : « Et si on allait au parc demain? Il fera beau, ma écrit Paul. »
Un sourire a traversé le visage de Léa. « Avec plaisir, », a tapéelle.
La vie continuait, peu importe les tempêtes. Un jour, peutêtre, Léa et Véronique retrouveront leurs liens. Mais pour linstant, lessentiel était dapprécier ceux qui restent réellement à ses côtés, et de ne pas saccrocher à des relations toxiques simplement parce quelles sont de sang.







