Capucine ma appelée chez elle, et deux heures plus tard, elle me crie: «Sors de chez moi, tout de suite!». Elle se tient à la porte, les bras croisés, la voix qui claque de colère.
«Questce qui se passe?», je demande, les yeux écarquillés. «Tu mas invitée, tu mas demandé de rester tant que»
«Jai changé davis!», minterrompt Capucine. «Rassemble tes affaires et barretoi!»
Je regarde ma petite valise posée près du canapé. Je viens darriver il y a trois heures, je nai même pas eu le temps de déballer.
«Capucine, expliquemoi ce qui sest passé, sil te plaît», je tente de rester calme, même si ma voix tremble.
«Rien du tout. Tu nes plus la bienvenue ici. Jai pensé pouvoir tolérer ta présence, mais non. Prends un taxi, je le commande.»
Je mapproche lentement du canapé, je saisis la valise. Mes mains sont engourdies, un nœud me serre la gorge. On ne sest pas vues depuis près de deux ans, depuis lenterrement de maman. Et voilà que, après son appel chaleureux et son invitation, elle me chasse sans même un mot dexplication.
«Je pars vite», murmuret-elle, les larmes au bord des yeux.
Capucine tapote nerveusement du doigt le chambranle de la porte pendant que je ramasse les quelques affaires que jai pu sortir de ma valise. Son visage reste impassible, seuls les coins de ses lèvres trahissent son stress.
Je marrête dans lembrasure, je la regarde. On a les mêmes yeux bruns, les mêmes pommettes hautes et ce menton à la fois fier et têtu. Mais maintenant, elle me semble complètement étrangère.
«Adieu», disje en franchissant le seuil.
«Adieu», résonne son écho, elle claque la porte.
Je descends les escaliers, le souvenir de notre dernier appel téléphonique tourne en boucle dans ma tête, celui dil y a une semaine.
«Océane, viens me voir», mavaitelle dit, dune voix étonnamment douce. «Reste chez moi pendant que les travaux de ton appartement finissent. Il est grand temps de réparer notre relation, non?»
«Tu es sûre?», avaisje demandé, prudente. «Après tout ce qui sest passé»
«Allez, on est sœurs. Oui, il y a eu des désaccords, mais faut en finir. Viens ce samedi, je tattends.»
Et me voilà, avec mon sac à la main, à essayer de comprendre ce qui a changé en trois petites heures. Capucine ma dabord accueillie comme une reine, a mis la table, ma interrogée sur ma vie puis, dun coup, elle a disparu dans une autre pièce, prétendant répondre à un appel. Elle revient, et cest comme si elle était une autre.
Mon téléphone vibre : «Le taxi arrive dans 7minutes, attends devant limmeuble». Je sors la valise, je regarde la pluie qui commence à tomber doucement. Jai besoin de trouver un plan B.
Le seul recours qui me vient, cest Antoine Durand, mon vieux camarade de classe. Il vit seul dans un deuxp pièces à Montparnasse, il ne dira sûrement pas non à un petit hébergement durgence.
«Allô, Antoine?Jai un souci», je lance.
Il mécoute, note ladresse sans poser de questions. «Je tattends, ne tinquiète pas», me ditil, sa voix calme me soulage un peu.
Dans le taxi, les larmes coulent enfin. La rancœur me brûle la poitrine. Quaije bien pu faire à ma sœur pour mériter ça? Estce que les vieilles rancunes sur lhéritage sont si profondes?
Je me souviens : après le décès de maman, on sest disputées à propos de lappartement familial. Capucine voulait le vendre, moi je voulais le garder parce que chaque mur me rappelait notre mère. Jai fini par racheter sa part, en prenant des crédits, pour ne pas perdre la maison. Peutêtre que ça la hante encore.
Le taxi sarrête, je paie, je descends. Antoine mattend, le sourire en coin. «Ne fais pas cette tête,» me lancetil en prenant mon sac. «On sen sortira.»
Chez lui, il fait couler du thé, sort des biscuits, mécoute raconter tout ça. Après un moment, il dit :
«Je trouve que quelque chose cloche. Capucine na pas simplement appelé, il y a eu un dessous.»
«Rien de spécial, on a juste bu du thé, parlé du boulot, de ses vacances à la mer le mois dernier. Puis elle a reçu un appel, est partie dans lautre pièce, et à son retour» je réponds.
«Tu ne trouves pas bizarre quelle se retire comme ça?Quel était le sujet?»
Je secoue la tête. «Elle parlait à voix basse. En revenant, elle a commencé à me pousser à partir, alors quon sétait mis daccord pour que je reste deux semaines pendant le chantier.»
«Qui fait le chantier?»
«Une équipe que Capucine ma recommandée, les anciens du mari delle. Elle dit quils sont bons et pas chers.»
Antoine fronce les sourcils. «Tu as vérifié lavancement?»
«Pas vraiment, jai les clefs mais je ny suis pas allée depuis une semaine.»
«Allons voir tout de suite, jai un mauvais pressentiment.»
Je proteste, il insiste. On part, la nuit commence à tomber.
En arrivant devant mon immeuble, jentends des voix étouffées et le bruit de meubles qui bougent derrière la porte. «Il y a quelquun,» chuchoteje.
Antoine prend les clefs et ouvre. Le hall est plein de cartons. Au milieu du salon, au milieu du chaos, Capucine discute avec deux déménageurs musclés qui transportent un grand placard.
«Que se passetil?» je souffle, incrédule.
Capucine se retourne, surprise puis agacée. «Océane?Questce que tu fais ici?»
«Cest ma question!Questce qui se passe dans mon appartement?»
Elle essaie de sexpliquer, mais les déménageurs sarrêtent, visiblement déconcertés.
«Les gars, pause,» ordonnetelle. «Jattends.»
Je reste plantée, les bras croisés comme lautre fois.
«Je divorces dIgor. Il ma expulsée de notre logement, je nai nulle part où aller. Jai pensé rester ici le temps de trouver un toit.»
«Et donc tu as manipulé mon départ, inventé le chantier, pour tinstaller chez moi?» je réplique, la gorge serrée.
«Pas exactement,» elle répond, les yeux baissés. «Au départ, je voulais vraiment quon se réconcilie, quon vive ensemble un moment, réparer notre relation Mais jai réalisé que je ne pouvais pas. Trop de choses se sont accumulées entre nous.»
«Alors tu as décidé de prendre ma maison?» je crie, le sang qui monte à la tête. «De mexpulser de mon propre chezmoi?»
«Je le ferais bien plus tard, mais je nai nulle part où dormir. Jai menti sur les travaux pour que tu viennes.»
«Il ny a aucun chantier!»
«Oui, je lai inventé. Jai pensé que ça te ferait accepter de rester, mais tu es trop têtue.»
«Têtue?Tu joues avec ta sœur, tu voles son appartement!Questce qui tarrive?»
Capucine se lève, le visage rouge de colère. «Tu as toujours été la petite chouchoute de maman, tout test tombé dessus! Si on avait vendu lappart, je laurais acheté et je naurais pas eu à dépendre dIgor.»
«Cest ça le problème?Que je nai jamais pensé à tes sentiments?Tu ne mas jamais pardonné davoir gardé la maison pour maman. Mais je tai quand même acheté ta part, même si cétait tard.»
«Ce nest pas largent!Cest que tu nas jamais respecté ce que je ressentais!»
«Ce nest pas vrai. Jai toujours essayé de prendre soin de toi. Maintenant je toffre une chance de corriger tout ça.»
«Quel choix?»
«Soit tu repars immédiatement, soit jappelle la police pour intrusion.»
Antoine, silencieux jusquici, savance. «Il doit bien y avoir un compromis»
«Non,» répondsje dune voix ferme. «Pas de compromis. Jen ai assez de tes manipulations. Partir ou la police.»
Capucine me regarde, la haine dans les yeux, mais mon regard déterminé la fait céder.
«Daccord, je pars.» Elle ramasse ses affaires, claquant la porte avec fracas.
Je retombe sur le canapé, épuisée. Antoine sassoit à côté de moi.
«Tu veux que je reste avec toi?» demandetil doucement.
«Si ça ne te dérange pas,» je réponds. «Jai vraiment besoin de quelquun.»
«Avec plaisir,» il prend ma main. «Je pense que Capucine traverse une période très difficile: divorce, perte de logement Ce nexcuse pas son geste, mais ça aide à comprendre.»
Je hoche la tête, le cœur lourd. «Après la mort de maman, on sest éloignées. Elle voulait vendre lappart, moi je voulais garder les souvenirs. Ce lieu était mon dernier lien avec elle.»
Antoine serre ma main. «Le deuil se montre différemment chez chacun. Pour elle, cest peutêtre une façon déchapper à la douleur.»
«Peutêtre,» murmureje. «Mais mentir, me chasser Cest trop. Je ne sais pas si je pourrai lui pardonner.»
«Donnetoi du temps, et à elle aussi. Quand les émotions se calmeront, vous pourrez parler calmement.»
«Peutêtre,» je dis, incertaine. «Mais pour linstant, je dois mettre de lordre dans mes propres sentiments.»
Le crépuscule sinstalle dehors, lappartement, encore empreint de la présence de Capucine, devient plus silencieux. La vie a pris un tournant étrange: une sœur qui était mon pilier sest transformée en quasiennemi, et un ancien camarade savère plus fiable que le sang.
«Merci,» je dis enfin. «Je ne sais pas ce que jaurais fait sans toi aujourdhui.»
«Tout le plaisir est pour moi,» répond Antoine avec un sourire. «On pourrait se faire une sortie ce weekend?Cinéma ou promenade?»
Je plisse les yeux, surprise, puis je souris. «Avec joie.»
Une semaine plus tard, mon téléphone sonne. Cest Capucine. Jhésite, puis je réponds.
«Allô?»
«Océane, il faut quon parle,» ditelle, la voix tremblante. «Je je veux mexcuser. Ce que jai fait était mauvais, je suis désolée.»
Je reste muette un instant. «Je suis dans une situation compliquée,» poursuitelle. «Ce nexcuse pas mon comportement, je ne devais pas agir ainsi avec toi.»
«Je comprends que tu sois en colère,» disje finalement. «Jai besoin de temps.»
«Bien sûr,» répondelle rapidement. «Sache juste que je regrette vraiment.»
Après lappel, je regarde par la fenêtre, réfléchissant à tout ça. Capucine reste ma sœur, la dernière personne proche après la perte de maman. Peutêtre quun jour je pourrai lui pardonner, mais pas maintenant. Jai besoin de guérir mes propres blessures et de retrouver la confiance.
Mon téléphone vibre à nouveau : un message dAntoine «Parfait pour une balade au parc demain?Il paraît quil fera beau.» Je réponds «Avec plaisir». La vie continue, malgré tout. Et qui sait, peutêtre quun jour Capucine et moi réussirons à recoller les morceaux. Mais pour linstant, je me concentre sur ceux qui sont vraiment là quand ça devient dur.







