Épousant le beau-père

Cher journal,

Aujourdhui jai repensé à tout ce que ma femme, Amandine, a traversé depuis quelle a quitté notre petite ferme du Cotentin pour sinstaller à Paris. Si lon mavait un jour prédit que notre union deviendrait la source de disputes entre mon père et moi, je laurais certainement fait revenir sur ses paroles. Amandine, bien quelle soit simple et issue dun milieu rural, sait se défendre. Néanmoins le destin a décidé autrement et elle na jamais imaginé quelle devrait franchir sept cercles denfer pour être heureuse.

Elle est partie peu avant lété, malgré ses suppliques à notre mère de ne pas lenvoyer chez sa tante. Au conseil de famille, il a été décidé que cétait Amandine qui irait chez Madeleine Leclerc, car il ny avait plus personne dautre. Mon père, Henri, travaillait autrefois comme conducteur de tracteur, et aujourdhui les champs sont surchargés de travail. Ma mère tenait la petite exploitation familiale, tandis que nos frères et sœurs étaient soit à lécole, soit à la crèche.

Avec un modeste sac à main contenant lessentiel, Amandine a pris le train pour Lyon où navait vu Madeleine quune fois, lors dun baptême. On racontait que Madeleine, à cause de son caractère bourru, navait jamais réussi à sentendre avec ses trois maris. Elle navait pas denfants, donc aucun héritier, et nos parents espéraient secrètement quelle léguerait son appartement à sa nièce. Cest bien ce qui sest passé, mais Madeleine traitait Amandine avec une certaine distance. Elle ne sintéressait pas à sa vie et ne laissait personne pénétrer son intérieur. Pourquoi donc laccueillaitelle ? Simplement parce quelle avait peur de mourir seule, abandonnée, sans que quiconque remarque son départ. Elle craignait de finir à labri de la police, que lon découvre son corps grâce à une odeur insupportable dans limmeuble.

Depuis longtemps, Madeleine luttait contre une maladie incurable, consciente quelle navait plus dannées devant elle. Pour elle, Amandine était le garant dun enterrement à lheure et dune veillée digne. Sans poser de questions, Amandine faisait le ménage, la lessive, la cuisine, les courses ; elle accomplissait tout ce qui était attendu. Sans amies, elle passait ses soirées seule, assise sur le balcon à observer les jeunes mamans aux poussettes ou les vieilles dames qui discutaient devant limmeuble. Sa vie était divisée en deux temps : les moments pénibles où elle courait comme une bonne à la rescousse de sa tante malade, et les moments plus doux, lorsque Madeleine sendormait après ses antidouleurs. Alors Amandine préparait un café parfumé et profitait du calme du balcon.

Un jour, elle a croisé le regard de notre voisin, Julien, qui sortait également sur le balcon à la même heure. Dabord un simple hochement de tête, puis quelques salutations, et bientôt un petit flirt semblable à celui des jeunes amoureux. Tous deux se hâtaient de rejoindre le balcon, espérant se surprendre. Au moment où Madeleine est décédée, Julien et Amandine étaient déjà très proches, sétant avoués leurs sentiments. Après les funérailles, Amandine a décidé de ne pas retourner au Cotentin, affirmant à mes parents quelle voulait poursuivre ses études, même sils savaient que la raison était différente, mais ils ne se sont pas opposés.

Confiants dans nos sentiments, nous nous sommes mariés. La cérémonie était modeste mais joyeuse, et nous étions les plus heureux du monde, prêts à partager le reste de nos jours côte à côte. Julien, mon beaupère, avait après son divorce épousé une Américaine qui était partie vivre aux ÉtatsUnis. Son père, le Dr. Marcel Dupont, travaillait comme médecin en Côte dIvoire, ne revenant quune fois par an, pendant ses vacances. Notre mariage a eu lieu à Paris, entourés de nos familles.

Julien a suivi les traces de son père et, après des études de médecine, est devenu chirurgien à lhôpital de la ville. Souhaitant être à la hauteur, Amandine sest inscrite à une formation dinfirmière et a rapidement intégré le service. Elle rêvait de travailler main dans la main avec son mari, de sauver des patients, mais la réalité est parfois cruelle.

«Amandine, dans une semaine mon père arrive! Préparetoi!» ma-t-elle rappelé.
«Questce quil aime? Il faut préparer le repas, faire les courses, un grand ménage»
«Relax! Ce nest pas le président du Sénégal qui vient, juste mon père, un homme simple.»

Malgré tout, Amandine était anxieuse. Elle lavait vu sur les photos : un homme bronzé, athlétique, rappelant un Espagnol ou un Turc. Mais lapparence peut tromper. Et si cétait un snob ou un perfectionniste ? Et sil découvrait quelle nétait pas à la hauteur ? Heureusement, le Dr. Dupont sest montrée très chaleureuse. Il a embrassé son fils et sa bellefille dès son arrivée, sexcusant de ne pas avoir pu assister au mariage et offrant de nombreux cadeaux. Il a même salué le repas dAmandine en affirmant que cétait le meilleur quil ait goûté. Après quelques jours, il est reparti en Côte dIvoire, laissant le couple seul.

Un soir, le Dr. Dupont a dit à Julien :
«Eh bien, bonne femme tu as trouvé! Prends soin dAmandine, aidela en tout, sinon tu perdras ton bonheur.»

Julien, songeur, répondait que Amandine ne quitterait jamais, même si tout sécroulait. Il savait que, même blessée, elle pardonnerait toujours et continuerait sa vie comme si de rien nétait. Dans les campagnes, on vit simplement pour les enfants et on endure tout.

Lorsque lune des infirmières a tenté de le séduire, Julien sest jeté dans une liaison secrète. Il ne se souciait pas que je rentrais tard, que ma femme souffrait dun toxique gravissime, incapable de préparer quoi que ce soit. Il dînait à ma place, conduisait Karine chez elle, puis rentrait, épuisé, à la maison. Amandine, absorbée par ses nouvelles sensations, ne remarquait pas les changements chez son mari. Dun côté elle fêtait lidée dune future maternité, de lautre, la peur de ne pas être à la hauteur. Mais elle avait un mari attentionné, ou du moins elle le pensait.

Puis la naissance est arrivée. Les nuits sans sommeil, le manque de lait, les pleurs incessants. Julien, irrité, exigeait quelle calme la petite, puis sen retirait dans le salon. Lorsque le Dr. Dupont est revenu, il ne reconnaissait plus Amandine : la joyeuse fille était devenue pâle, maigre, comme un fantôme. Son fils, au contraire, avait perdu du poids, rentrait tard, négligeait la maison.

«Aidetoi un peu!» lui aije lancé.
«Papa, elle passe ses journées à la maison, laissela au moins soccuper du bébé.»
«Tu as un nouveau compagnon?»
«Pourquoi cette question?»
«Je vois bien que tu te réjouis quand je pars, et que tu tirrite quand je rentre.»
«Rien de grave, papa.»
«Assuretoi que rien de grave ne devienne une catastrophe.»

«Amandine, cest ta faute; tu nas plus lair dune femme! Regarde tes cheveux, ton visage!»
«Cest de ta faute! Amandine ne se repose jamais.»

Malgré tout, le Dr. Dupont restait présent, veillant sur le petitenfant, le nourrissant, le berçant pendant que ma femme était débordée. Elle le remerciait chaque jour, priant Dieu de lui offrir une compagne qui la rendrait heureuse. Elle se rendait compte quelle dépendait de plus en plus de lui, quil était devenu père, frère, ami, confidente. Elle craignait son départ éventuel.

Un jour, il me lança de largent : «Va au salon, faistoi une beauté: coupe, coloration, maquillage, manucure. Achètetoi quelque chose, je moccupe de la petite.» Elle, ravie, le remercia dun baiser et partit, fleurie, vers les boutiques.

En rentrant, elle décida de surprendre Julien en passant à lhôpital où je travaillais. «Bonjour, je cherche le Dr. André», annonçat-elle. On la fit entrer. Sur le lit de mon cabinet, une jeune infirmière aux vêtements à moitié ouverts était assise, et je compris que quelque chose nallait pas. Terrifiée, elle senfuit en taxi, rentra chez elle et éclata en sanglots.

«Que sestil passé, ma chérie?»
«Julien me trompe»
«Qui ta le dit?»
«Je lai vu de mes propres yeux»

Le Dr. Dupont la prit dans ses bras, la caressa la tête et la poussa à pleurer. «Pleure, ma fille, je parlerai à ton mari, il reviendra!»

Je lui proposai de partir avec notre petite, mais il me répondit : «Tu ne peux pas partir, la vie à la campagne nest pas facile, tu dois rester pour le bébé.»

Ces mots mont touché ; je navais jamais senti une telle chaleur. Julien, ému, la serra dans ses bras et lemmena à la chambre, la couvrant de baisers. Ce secret partagé restait entre nous, et Julien ne sexcusait jamais, feignant que rien ne sétait passé. Ma femme, honteuse de ce bref écart, ressentait à la fois la gêne et la joie dêtre aimée. Elle comparait Julien au Dr. Dupont et, à son grand regret, Julien perdait toujours.

Puis elle découvrit quelle était à nouveau enceinte. Elle ne savait que faire, car nous nétions ensemble que depuis trois ou quatre mois. Julien aurait vite suspecté linfidélité.

«Questce qui tinquiète? Cest une bonne nouvelle! Je nai jamais pensé pouvoir être père à cinquante ans. Tu veux mépouser?»
«Et Julien?»
«Quy atil de plus? Nous avons tous les deux fautes, mais cest lui qui partira un jour. Moi, je taime et je ne pourrai plus vivre sans toi.»

Après le divorce, le Dr. Dupont et Amandine se sont mariés et sont partis en Côte dIvoire. Nos parents ne comprenaient pas notre choix, les villageois murmuraient que nous ne faisions que jouer les modestes. Julien, quant à lui, racontait à qui voulait lentendre combien il avait été trahi par sa femme et son père. Peu importait, nous avions trouvé le bonheur lun avec lautre, profitant de chaque instant partagé.

En repensant à tout cela, jai compris que la vie nest jamais linéaire : les détours, les trahisons et les retrouvailles forment le tissu de notre existence. Ce que jai le plus retenu, cest que la gratitude envers ceux qui nous soutiennent, même au détour dun balcon, transforme le chaos en sérénité.

Оцените статью
Épousant le beau-père
Le bonheur est possible