**Le Chat Inattendu**
Aujourdhui, Élodie emménageait dans son propre appartement. Peu importait quil soit petit et en banlieue parisienne. Le rez-de-chaussée de limmeuble de trois étages était si bas quon pouvait sortir dans la cour en enjambant simplement lappui de fenêtre. La pièce de douze mètres carrés contenait un lit, une armoire à deux portes, une table basse et deux chaises. La cuisine se résumait à une table, un placard sous lévier, un tabouret et cétait tout. Rien de plus ne rentrerait. Un petit logement, mais le sien.
Élodie avait obtenu ce bien grâce à sa part dhéritage de sa tante adorée, qui lavait toujours chérie pour son caractère accommodant et sa volonté daider en toute circonstance. La somme navait suffi que pour cet appartement. Dans cette ville, à ce prix, il ny avait pas dautre choix.
Cest un bel appartement, lumineux, bien situé, avait expliqué lagent immobilier. Parfait pour une personne seule.
Pour une personne seule, oui, daccord Mais il faudrait bien caser un frigo quelque part
Toute la journée, Élodie nettoya, frotta, rangea.
Le soir venu, tout brillait, les affaires étaient en place, et la bouilloire chantait sur la plaque. La vaisselle trônait sur le large rebord de fenêtre. Élodie faisait encore le tour de son domaine, cherchant où installer le futur réfrigérateur.
La nuit tomba. Le thé fut bu, mais lemplacement du frigo restait incertain.
Élodie sauta sur son lit, sinstalla confortablement et tira la couverture sur elle.
Derrière la fenêtre ouverte, les criquets stridulaient. Bercée par leur chant, elle sendormit
Un fracas dans la cuisine la fit sursauter. Elle saisit son portable : trois heures du matin. Noir. La nuit. Des voleurs ? Un esprit frappeur ? Le vent ?
Sur la pointe des pieds, elle se glissa vers la porte et jeta un coup dœil dans la cuisine.
La vaisselle du rebord était éparpillée par terre. Son bol préféré, cassé en deux, encadrait un chat.
Un chat rayé ordinaire. Sauf quil était énorme. Il la regarda calmement.
Doù tu sors, toi ?
Le chat tourna la tête vers la fenêtre, comme pour répondre.
Alors, retourne doù tu viens ! fit-elle en agitant les mains. Dun bond, le chat la contourna et atterrit sur le lit, où il sallongea aussitôt.
Au matin, ils étaient deux : Élodie sur une chaise, le chat sur le lit. À six heures, linvité inattendu sétira, bâilla et quitta les lieux.
La journée fut consacrée aux derniers aménagements.
Ce nest quen fin daprès-midi quÉlodie repensa au chat. Prévoyante, elle rangea la vaisselle dans le placard et ferma la fenêtre, se disant que cela suffirait à tenir le matou à distance.
Mais à trois heures pile, des bruits résonnèrent dehors. Le chat était là, assis sur lappui, le front contre la vitre, le regard lourd et sévère.
Reste là, alors, murmura-t-elle en retournant se coucher.
Au réveil, une lourdeur lui pesait sur les jambes. Elle ouvrit les yeux : le chat y était installé.
Ah, toi ! Elle brandit un coussin. Le chat bâilla et se dirigea lentement vers la fenêtre entrouverte, pourtant bien fermée la veille.
La nuit suivante, Élodie décida de guetter lintrus. Elle éteignit la lumière, sassit près de la fenêtre et observa la cour. Ses yeux shabituèrent à lobscurité, distinguant les silhouettes. Les arbres se balançaient doucement, le chant des criquets formait une rumeur monotone, ses paupières salourdissaient
Elle se réveilla encore sur sa chaise, le chat ronronnant bruyamment sur ses genoux.
Bon, que faire de toi ? À défaut de te chasser, je vais devoir taccepter. Après tout, il faut bien un homme dans la maison.
Dès lors, le chat resta aussi la journée.
Quand le réfrigérateur arriva enfin, Élodie hésitait encore sur son emplacement. Le chat résolut le problème : il se posta dans langle de lentrée et miaula fermement. Après vérification, lendroit était parfait.
Le chat adopta son nouveau territoire : le frigo. Il y dormait, mangeait, se léchait, y vivait.
Un soir, il se comporta bizarrement. Il sautait, tournait autour de lappareil, remontait, recommençait Puis il se figea en position de sphinx.
Tu tes calmé ? demanda Élodie. Tant mieux. Dors. Moi aussi.
Le chat ne bougea pas.
Un hurlement déchira la nuit, arrachant Élodie à son sommeil.
Le chat, dressé sur son frigo, hurlait. Ni les ambulances ni la police négaleraient ce vacarme.
Tu es malade ?
Le chat se cambra, refusant de se laisser prendre. Soudain, il sauta et se planta près delle. Au même moment, une étincelle jaillit derrière le frigo, suivie de fumée. Le chat courut à la porte, grattant désespérément derrière, le disjoncteur. Dun geste, Élodie coupa le courant et ouvrit les fenêtres.
Demain, on appellera un électricien. Merci, mon chat. Sans toi
Au matin, le chat avait disparu.
Il ne revint pas le soir. Ni le lendemain.
Certains dirent que cétait un hasard. Dautres, que cétait sa tante qui veillait. Mais Élodie était sûre que cétait son ange gardien. Ce chat était entré dans son appartement et dans sa vie avec trop dassurance pour être un simple hasard.







