**Journal intime Une surprise inattendue**
*10 novembre*
On prend un verre en terrasse ? Une bière, une petite discussion ? proposa Nicolas en fin de journée.
Désolé, je rentre. Regarde. Eugène sortit une petite boîte de sa poche et louvrit.
Tu tes enfin décidé ? dit Nicolas en examinant la bague. Je pensais que tu ne te marierais jamais. Il donna une tape amicale sur lépaule de son ami.
Ça fait quatre ans que je suis avec Victoire, il est temps de formaliser les choses. Elle ne sait rien, cest une surprise. Si je ne le fais pas maintenant
Tu ne le feras jamais, acheva Nicolas. Tu doutes encore ? Laisse tomber, Victoire est une belle fille. Je tavoue que je suis un peu jaloux.
Bon, je file. Eugène rangea la boîte dans sa poche. Je lui ai promis de rentrer tôt. Il se précipita vers lascenseur.
Sur le chemin, il sarrêta chez un fleuriste et acheta un bouquet de roses rouges. Victoire les adorait. Dans la voiture, il posa les fleurs sur le siège passager. Aux feux rouges, il répéta mentalement sa déclaration : *« Ma chérie, tu attends cette demande depuis si longtemps Victoire, je taime, veux-tu mépouser ? Non, ce nest pas ça »*
Il narrivait pas à trouver les mots. Après sêtre garé, il prit le bouquet et se dirigea vers lentrée de limmeuble. Sa main sur la poignée, son téléphone sonna dans sa poche.
Eugène, mon fils
Rien quà la voix de sa mère, il sut que quelque chose nallait pas.
Quest-ce qui se passe, maman ?
Tout va bien pour moi. Cest Hélène Elle est morte, mon fils.
Mon Dieu Eugène lâcha la poignée sans ouvrir la porte.
Cétait incompréhensible. Hélène, quil connaissait depuis lenfance, était morte. Comment ?
Une voiture la renversée. Morte sur le coup. Le chauffeur a pris la fuite. Lenterrement est demain. Tu viendras ? Elle taimait tant Sa mère sanglota. Anastasia reste seule. Il faut décider Jai peur quon la place dans un foyer
Daccord, jessaierai dêtre là, promit-il.
Viens, mon fils
*Hélène nest plus.* Ces mots résonnaient dans sa tête.
Il ne lavait jamais aimée comme elle laimait. Elle ne méritait pas ça
Il monta les marches comme un automate, se retrouva devant la porte de lappartement sans savoir comment. Le bouquet lui pesait. Où le poser ? La nouvelle lavait bouleversé. Faire sa demande maintenant lui semblait déplacé.
Cest pour quelle occasion, ces fleurs ? demanda Victoire en sortant du salon. Lodeur dun bon dîner flottait dans lair. Autrefois, il se serait réjoui à cette pensée, mais ce soir, tout lui paraissait superflu.
Victoire le fixait, attendant quil lui offre les roses. Mais il hésitait, comme sil avait oublié pourquoi il les tenait.
Les fleurs nont pas besoin doccasion. Réveillé de sa torpeur, il sapprocha, lui tendit le bouquet et lembrassa sur la joue.
Elle baissa les yeux, cachant sa déception, et partit vers la cuisine. Bientôt, il entendit couler leau.
Quand il la rejoignit, les roses trônaient dans un vase, et Victoire dressait la table. Il navait pas faim, mais il sassit pour ne pas la blesser.
Tu ne manges pas ? demanda-t-elle.
Je nai pas envie. Désolé. Maman a appelé Hélène est morte. Lenterrement est demain.
Hélène, cest ? Victoire sinterrompit, attendant quil précise.
Mon ex-femme. Il faut que jy aille, pour régler la situation dAnastasia. Notre fille.
Attends, tu ne mas jamais parlé dune fille. Quel âge a-t-elle ?
Douze ans, je crois.
Donc, tu veux lemmener ici, avec nous ?
Je ne sais pas. Hélène navait personne, ses parents sont morts quand elle était au lycée. Et ma mère Elle a des problèmes de santé. Excuse-moi, je dois préparer mes affaires.
Tu vas vraiment à lenterrement ? demanda Victoire, incrédule.
Oui, par le train de nuit. Jai prévenu le bureau.
Vous êtes divorcés depuis des années. Elle devait avoir quelquun
Victoire, pas maintenant. Je laisse la voiture, tu peux ten servir.
Alors, cest ça, la surprise que tu mavais préparée ? Elle se leva, à son tour.
Non. Je te dirai à mon retour. Il serra la boîte dans sa poche.
Dans le train, impossible de dormir. Allongé sur la couchette, il repensait au passé
***
Ils sétaient connus enfants. Même crèche, même école. Hélène, frêle et blonde, était souvent malade, un foulard toujours autour du cou.
Quand ses parents moururent dans un accident en terminale, sa grand-mère succomba trois mois plus tard. Les parents dEugène lavaient recueillie.
Son père plaisantait : *« Voilà une fiancée pour toi. »* Mais Eugène sénervait, refusant cette idée.
Avant le bac, ses parents partirent deux jours. Ils restèrent seuls. Il ne savait plus comment les choses avaient dérapé. Hélène tomba enceinte. Ses parents insistèrent : il devait lépouser.
Pour lui, elle était une amie, une sœur. Lamour, pensait-il, devait être différent, plus romantique. Pourtant, il lépousa. Hélène eut du mal à mener sa grossesse à terme. En voyant sa fille, il ne ressentit rien. La vérité était cruelle : il naimait pas Hélène, et restait indifférent à lenfant. Il nétait pas prêt. Il termina péniblement sa première année de fac, puis partit pour Paris.
Son père lui avait dit : *« Dans cette famille, on nabandonne pas ses enfants. Si tu pars, ne compte plus sur nous. Tu nes plus mon fils. »* Hélène et la petite resteraient avec eux.
Depuis, Eugène nétait jamais revenu. Même pas pour les funérailles de son père. Sa mère lui envoyait des photos dAnastasia. Plus elle grandissait, plus elle ressemblait à Hélène. Il regardait les images sans émotion.
Et maintenant, le voilà qui rentrait, douze ans plus tard. Il ne prendrait pas Anastasia avec lui. Quel père serait-il ? *« Dans cette famille, on nabandonne pas ses enfants. Quel monstre es-tu ? »* Les mots de son père le hantaient. Pourtant, cétait lui qui avait poussé au divorce, pour quHélène trouve un homme digne delle
Dommage quils ne se soient jamais réconciliés.
Puis Victoire était entrée dans sa vie. Impossible de ne pas laimer. Mais il avait toujours repoussé la demande. Et maintenant, alors quil sy était enfin décidé, Hélène le rattrapait, comme pour gâcher son bonheur une dernière fois.
Enfin, si lon pouvait parler de bonheur. La passion sétait éteinte depuis longtemps. Ils vivaient ensemble par habitude, non par amour. Il nétait même pas sûr de vouloir se marier.
Il finit par sendormir, résigné.
Sa mère laccueillit en pleurant. Anastasia, elle, resta à distance, méfiante.
Viens, ma chérie, cest ton papa, dit sa mère.
La petite fit la moue, tourna les talons et disparut dans sa chambre autrefois la sienne.
Laisse-lui du temps.
Lenterrement eut lieu dans un cercueil fermé. Comme si Hélène navait jamais existé. Anastasia ne pleura pas, les sourcils froncés, évitant son regard.
Il essaya de lui parler, mais elle lignora. Un soir, il surprit une conversation :
Anastasia, je suis trop âgée pour te garder. Va avec ton père à Paris, ne serait-ce que quelque temps.
Pourquoi ? Il na pas besoin de moi. Autant aller en foyer tout de suite.
Voyons, avec un père vivant ? Tu ne sais pas ce quest un foyer !
Où était-il avant ? Il nous a abandonnés.
Pourtant, elle accepta de partir. Dans le train, elle demanda :
Tu vis avec quelquun ?
Mamie te la dit ? Oui, il y a une femme. Je vais lui demander de mépouser. Elle te plaira.
Mais en arrivant, lappartement était vide. Victoire était partie, ne laissant que les clés.
Ta chambre est là, installe-toi.
Il tenta de lappeler en vain. Elle lavait sûrement bloqué.
Anastasia prépara des tartines et du thé. Il lui sut gré de ne pas faire dhistoires.
Les jours suivants, ils visitèrent Paris, allèrent au cinéma, firent du roller au bois de Vincennes. Peu à peu, la glace entre eux fondit.
Puis son entreprise lenvoya en Chine pour une semaine. Refuser aurait ruiné sa carrière. Et Anastasia ?
Je ne suis plus une enfant.
Oui, mais Paris te est inconnu. Je trouverai une solution.
Demande à Sylvie, ta collègue. Elle est amoureuse de toi, suggéra Nicolas.
Effectivement, la jeune fille accepta avec joie. Elles sentendirent à merveille.
En Chine, il sétonna de sennuyer dAnastasia. Il lappelait chaque jour. Elle passait le téléphone à Sylvie aussitôt. Elle ne lui avait pas encore pardonné.
À son retour, il les vit devant limmeuble, semblables, comme des sœurs. Son cœur battit plus fort. Personne ne lavait jamais accueilli ainsi.
Anastasia sapprocha. Il lenlaça maladroitement. Elle ne se déroba pas. Sylvie souriait, un peu à lécart. Il eut envie de lembrasser, elle aussi.
Montons. Je vous ai ramené des cadeaux.
Il se réjouit de leur excitation plus quelles-mêmes.
On a quelque chose à manger ?
Bien sûr ! Sylvie courut à la cuisine, suivie par Anastasia.
*Elles sont devenues amies.*
Le dîner fut joyeux, animé par leurs questions sur son voyage.
Au moment de partir, Sylvie hésita.
Pa-a-pa fit Anastasia en désignant lentrée.
Il nen crut pas ses oreilles. Cétait la première fois.
Sylvie, il est tard, reste.
Anastasia lentraîna dans sa chambre.
Cette nuit-là, il ne dormit pas. Tant de choses avaient changé. Anastasia sétait ouverte, grâce à Sylvie. Et cette dernière Elle était si douce, si naturelle. Avec Victoire, ça naurait pas marché.
Deux mois plus tôt, il aurait ri si on lui avait prédit cette vie. Pourtant, il se surprenait à penser à Sylvie, endormie dans la chambre voisine Était-ce de lamour ? Peut-être.
Pour la première fois, il se sentait heureux.







