Elle a juste besoin de temps

Écoute bien. Soit tu maides à faire retirer ses droits parentaux à Victoire, soit je pars, et vous vous débrouillez sans moi.

Anaïs, pense à ce que tu dis ! Cest ta sœur ! Et ma fille ! sexclama la mère, les mains tremblantes avant de se presser le cœur.

Et moi, alors ? Je ne suis pas ta fille ? La voix dAnaïs tremblait de douleur. Parfois, jai limpression de ne même pas exister pour vous Vous ne voyez pas ce qui se passe ? Je me suis attachée à Sacha, je laime, et vous Aidez-moi, ou je le ferai seule. Mais je ne laisserai pas tomber.

La mère baissa les yeux, déchirée. Le père, sombre, continua de jouer avec sa cuillère dans son assiette. Anaïs, comprenant leur silence, se leva et marcha vers sa chambre.

Clair comme le jour. Ils navaient pas choisi elle. Ni même Sacha.

Anaïs commença à rassembler ses affaires, peu nombreuses. Une douleur sourde lui étreignait le cœur, mais elle savait quelle navait pas le choix.

Mais comment tenir bon quand un enfant se jette contre ses jambes en sanglotant ?

Maman, ne pars pas supplia le petit Sacha, les yeux pleins de larmes en la voyant faire sa valise.

Maman Ce mot lui transperça le cœur une fois de plus. Anaïs soupira, sagenouilla et essaya de sourire.

Je ne pars pas de toi, mon chéri, murmura-t-elle en lenlaçant. Je pars pour quun jour, tout soit mieux pour nous. Je reviendrai. Pour toujours.

Sacha pleurait, incapable de comprendre pourquoi sa tante adorée, celle quil appelait « maman », voulait sen aller. Il saccrocha à elle avec tant de force quelle ne put partir quune fois endormi. Ce ne fut que tard dans la nuit quelle sortit, sur la pointe des pieds.

À cet instant, Anaïs détesta Victoire. Cétait elle qui les avait tous plongés dans ce dilemme insupportable.

Victoire avait sombré dans une vie de débauche dès ses seize ans. Dabord, elle rentrait tard, puis elle « passait la nuit chez des amies ». Tout le monde savait ce que cachaient ces « amies ».

Elle revenait souvent ivre, le maquillage brouillé, parfois en larmes. Et les parents la couvraient de soins, comme si elle était une pauvre victime.

Une grossesse était inévitable. À dix-sept ans, Victoire tomba enceinte. Elle ne connaissait même pas le nom du pèrejuste un « type rencontré en soirée ».

Sacha naquit. Très vite, Victoire comprit que soccuper dun enfant nétait pas pour elle. Dabord, elle le laissait la nuit, puis elle disparut complètement.

Je suis trop jeune. Je ne veux pas gâcher ma vie, avait-elle dit à Anaïs au téléphone, quand celle-ci avait exigé des explications.

Le « fardeau » retomba sur Anaïs. Le grand-père sintéressait à peine à son petit-fils, se contentant de lui offrir un hochet de temps en temps. La grand-mère aidait, mais travaillait trop pour sen occuper pleinement.

Anaïs avait dix-huit ans. Elle passa en études à distance pour soccuper du bébé. Depuis, elle était devenue sa mère, ou presque. Elle lavait même tenu sur les fonts baptismaux.

Ce fut dur. Très dur. Les nuits sans sommeil, les biberons, les escaliers avec la poussette, les examens passés les yeux rougis. Elle étudiait le soir, une fois Sacha endormi. Et elle gérait tout le reste, car ses parents travaillaient.

À six mois, Anaïs commençait à shabituer. Mais bien sûr, la mère indigne revint, en larmes, suppliant ses parents.

Pardonnez-moi, jétais stupide Tout va changer

Ils crurent tous. Même Anaïs. Pendant un mois, Victoire joua les mères exemplaires. Puis elle disparut de nouveau, emportant cette fois les bijoux de sa mère.

Elle a besoin de temps, se justifia la mère. Elle reviendra.

Anaïs ny croyait plus. Une fois, cest un accident. Deux fois, une habitude. Mais que faire ? Ses parents vivaient dans un monde où Victoire avait toujours droit à une seconde chance.

Anaïs continua. Elle étudia, soccupa de Sacha, lemmena à la crèche, chez le médecin. Elle espérait que Victoire ne reviendrait plus.

Mais quatre ans plus tard, elle était de retour.

Je Je croyais quil maimait. Je voulais reprendre Sacha. Mais il ma utilisée Jétais seule, sans travail, sans amis, dans une ville inconnue Je navais même pas de quoi rentrer.

Ça se voit que tu as souffert de la faim, ironisa Anaïs en voyant ses formes bien nourries.

Un regard noir de sa mère la fit taire. Toute lattention était à nouveau pour la pauvre Victoire.

Le pire fut quand Anaïs ramena Sacha de la crèche. La grand-mère poussa lenfant vers Victoire. Il pleura, se cachant derrière Anaïs.

Allons, cest ta maman !

Cest pas ma maman ! Elle, cest ma maman !

Anaïs est juste ta tante. Victoire, cest ta vraie mère.

Le cœur dAnaïs se brisa. Tout recommençait.

Et tout recommença.

Victoire vécut deux mois aux crochets de sa famille, refusant de travailler.

Jai Sacha. Qui membaucherait ? Je serai toujours en arrêt maladie.

Puis elle disparut à nouveau, sans un mot. Tout devint clair quand elle posta des photos avec son nouveau « petit ami », un homme bien plus âgé quelle.

« Encore un ivrogne », pensa Anaïs.

Elle en parla à son amie, Nina.

Fais retirer ses droits, cest tout, dit Nina en haussant les épaules. Les services sociaux vérifieront, et tu pourras ten occuper.

Anaïs hésita.

Et si on me le retire aussi ?

Attends-tu que Victoire revienne encore ? Quelle détruise Sacha ? Et toi ? Où es-tu dans tout ça ?

Anaïs avait oublié sa propre vie. Les garçons séloignaient dès quils apprenaient quelle avait un enfant.

Sauf Alexis, son camarade de classe. Il savait, et restait. Après sa discussion avec Nina, Anaïs osa lui donner sa chance.

Et elle ne fut pas déçue. Avec lui, elle pouvait enfin être elle-même.

Cest vers lui quelle se rendit après son ultimatum. Elle ne sattendait pas à une solution, juste à du réconfort. Mais Alexis la surprit.

On pourrait vivre ensemble.

Je ne peux pas. Et Sacha ?

Alors on vivra à trois.

Anaïs le regarda, stupéfaite.

Tu nas pas à

Anaïs, coupa-t-il. Je taime. Sil est à toi, il est à moi aussi.

Quelque chose fondit dans son cœur.

Les six mois suivants furent un enfer. Services sociaux, papiers, formations Mais le pire était de ne pas pouvoir emmener Sacha tout de suite.

Tu as volé lenfant de ta sœur ! laccusa sa mère.

Comme si elle en avait quelque chose à faire

Ses parents ne lui parlèrent plus. Seuls ses amis et Alexis restèrent.

Mais après la pluie vient le beau temps.

Des années plus tard, Anaïs observait Sacha apprendre le foot à sa petite sœur, Élise. Alexis lentoura de son bras. Elle sourit. Tout navait pas été vain.

De Victoire, elle navait plus entendu parler. Et elle sen fichait.

Ses parents ne lui pardonnèrent jamais. Tant pis. « Quils soccupent de Victoire. Moi, je prendrai soin de ceux qui comptent vraiment. Le soleil couchant teintait le jardin de rose et dor. Élise riait en courant après le ballon, ses petites jambes flageolant de joie. Sacha, presque adolescent maintenant, corrigeait sa posture avec une patience douce. Anaïs posa la tête sur lépaule dAlexis. Plus de mots. Plus de combat. Juste la paix. Et lamour, enfin, là où il devait être.

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