Deux ans après notre séparation, jai croisé Amandine, mon exépouse : tout sest éclairé comme un néon, mais elle na fait que me lancer un sourire amer avant de balayer ma supplique désespérée de repartir à zéro
Lorsque notre deuxième enfant, Camille, a vu le jour, Léontine a cessé de prendre soin delle comme si le temps sétait figé. Avant, elle changeait de tenue cinq fois par jour, traquant la grâce dans chaque pli, mais dès son retour du congé maternité à Marseille, on aurait dit quelle avait effacé de sa mémoire tout vêtement autre quun vieux sweat usé et un jogging aux genoux flasques, pendants comme un drapeau en berne.
Dans cet « admirable » accoutrement, ma femme ne se contentait pas de traîner à la maison elle y habitait, jour et nuit, seffondrant souvent au lit encore vêtue ainsi, comme si ces guenilles étaient devenues une seconde peau. Quand je lui demandais pourquoi, elle marmonnait que cétait plus pratique pour se lever la nuit pour les enfants. Il y avait une logique sombre làdedans, je ladmets, mais tous ces grands principes quelle me serinait jadis comme une litanie « Une femme doit rester femme, même au fond de lenfer ! » sétaient évaporés. Léontine avait tout oublié : son salon de beauté chéri à Strasbourg, la salle de sport quelle jurait être son sanctuaire, et pardonnez ma franchise elle ne se donnait même plus la peine de mettre un soutiengorge le matin, errant dans la maison avec une poitrine affaissée, comme si cela navait aucune importance.
Son corps a suivi le même chemin vers la ruine. Tout sest effondré sa taille, son ventre, ses jambes, même son cou sest avachi, devenant lombre de ce quil était. Ses cheveux ? Un désastre vivant : tantôt une masse sauvage, comme balancée par une tempête, tantôt un chignon bâclé doù jaillissaient des mèches rebelles, cris muets de désordre. Le pire, cétait quavant cet enfant, Léontine était une beauté éclatante un dix sur dix ! Quand nous flânions dans les rues de Cannes, les hommes se retournaient, leurs regards rivés sur elle. Cela gonflait mon ego voilà ma déesse, rien quà moi ! Et maintenant de cette déesse, il ne restait rien, juste une silhouette éteinte, un vestige de sa splendeur passée.
Notre maison reflétait sa chute un chaos lugubre et oppressant. La seule chose quelle maîtrisait encore était la cuisine. Je le jure sur mon cœur : Léontine était une sorcière des fourneaux, et se plaindre de ses plats aurait été un sacrilège. Mais pour le reste ? Une tragédie absolue.
Jai tenté de la secouer, je lai suppliée de ne pas se laisser sombrer ainsi, mais elle se contentait de moffrir un sourire penaud et promettait de se ressaisir. Les mois ségrenaient, ma patience se consumait voir chaque jour cette parodie de la femme que javais aimée devenait une torture insoutenable. Par une nuit dorage, jai lâché la sentence : le divorce. Léontine a essayé de me retenir, ressassant ses promesses vaines, mais elle na pas crié, ne sest pas battue. Quand elle a compris que ma décision était irrévocable, elle a poussé un soupir déchirant :
« À toi de choisir Je pensais que tu maimais »
Je nai pas cédé à un débat stérile sur lamour ou son absence. Jai rempli les formulaires, et bientôt, dans un bureau de Nantes, nous tenions chacun notre certificat de divorce la fin dun chapitre.
Je ne suis sans doute pas un père exemplaire hormis la pension alimentaire, je nai rien fait pour mon ancienne famille. Lidée de la revoir, cette femme qui mavait jadis ébloui, était comme une lame dans la poitrine que je voulais éviter à tout prix.
Deux ans ont filé. Un soir, alors que jerrais dans les ruelles animées de Rennes, jai aperçu une silhouette au loin sa démarche si familière, gracieuse, comme une danse au milieu de la foule. Elle avançait vers moi. Lorsquelle sest approchée, mon cœur sest figé cétait Léontine ! Mais quelle Léontine ! Ressuscitée de ses cendres, plus éblouissante encore que lors de nos premiers élans passionnés lincarnation même de la féminité. Elle portait des talons vertigineux, ses cheveux étaient coiffés avec une perfection irréprochable, tout en elle était une symphonie robe, maquillage, ongles, bijoux Et ce parfum, son parfum signature dantan, ma frappé comme une vague qui se brise, me ramenant à des jours enfouis.
Mon visage devait trahir tout stupeur, désir, remords car elle a éclaté dun rire tranchant, victorieux :
« Quoi, tu ne me reconnais pas ? Je tavais dit que je me relèverais tu nas pas voulu me croire ! »
Léontine ma généreusement autorisé à laccompagner jusquà sa salle de sport, me glissant quelques bribes sur les enfants ils grandissent à merveille, disaitelle, pleins de vie. Elle na pas longuement parlé delle, mais ce nétait pas nécessaire son éclat, son assurance inébranlable, ce nouveau charme irrésistible hurlaient son triomphe plus fort que nimporte quel mot.
Mes pensées mont ramené à ces jours sombres : elle, traînant dans la maison, brisée par les nuits blanches et le poids du quotidien, drapée dans ce maudit sweat et ce jogging, son chignon misérable comme un étendard de reddition. Lélégance perdue, la flamme éteinte ! Cétait la même femme que javais abandonnée, et avec elle, javais rejeté nos enfants, aveuglé par mon égoïsme et ma colère passagère.
En nous disant au revoir, jai balbutié une question pouvaisje lappeler ? Jai avoué que javais tout compris et lai suppliée de repartir de zéro. Mais elle ma offert un sourire glacial, a secoué la tête avec une fermeté inflexible et a lâché :
« Tu as compris trop tard, mon cher. Adieu ! ».







