MAMAN NE VEUT PAS S’ÉLOIGNER

Maman ne veut pas partir
Nous venons de subir une perte énorme: la sœur de ma mère vient de décéder. Elle navait pas de mari, mais il reste à ses côtés sa petite fille de quatre ans, Léontine. Mon mari et moi prenons désormais soin delle. Dès que la petite apprend la mort de sa mère, elle se referme sur ellemême et ne sort plus de la maison. Elle refuse aussi catégoriquement de déménager, alors nous nous installons dans lappartement où elles vivaient avec ma mère à Lyon. Nous pensions quaprès les funérailles, Léontine accepterait de rejoindre notre logement, mais vivre dans cet appartement devient insoutenable. La nuit, leau sallume et séteint dellemême, il en va de même pour lélectricité. Les portes grincent, le parquet craque comme si quelquun courait sans cesse dune pièce à lautre. Jessaie de bénir lappartement, mais cela ne change rien.

Un soir, alors que je narrive pas à dormir et que mon mari dort profondément, jentends un murmure provenant de la chambre de Léontine. Un frisson glacé me parcourt léchine, mais je ne réveille pas mon mari. Jallume doucement la lumière, mapproche de la porte et écoute. La voix qui sort est celle de ma petite.

Je ne veux pas dormir, je veux jouer avec Maïté (cest sa poupée). Un peu plus, puis je me coucherai.

Jouvre la porte ; elle est assise dans le coin, sous le placard, serrant sa poupée contre elle, les yeux grands ouverts, méfiante comme si jétais son ennemie.

Léontine, à qui parlaistu? lui demandeje.

À maman

Un frisson me parcourt le dos. Je la couche, puis je me blottis contre mon mari et massoupis aussi. Pendant la semaine qui suit, la fillette continue de parler à quelquun. Jy prête peu dattention, attribuant tout au stress: perdre sa mère, parler à lair, cest normal. Lappartement teste toujours ma patience.

Un aprèsmidi, pendant que je prépare le déjeuner, jappelle Léontine à plusieurs reprises pour quelle mange, mais elle crie quelle na pas envie. Elle na jamais eu beaucoup dappétit, donc la faire manger est un calvaire. Sa mère était, pour le dire doucement, très impatiente, et lorsquelle refusait, elle la tirait de force à table. Alors que je linvite pour la dixième fois, jentends un fracas terrible suivi de sanglots. Je cours dans la chambre et découvre une scène inexplicable: un immense placard coulissant sest effondré sur la petite. Heureusement, il ne la pince pas; il heurte le bord du lit et laisse un espace entre lui et le sol. Léontine est terrifiée et passe le reste de la journée en crise. Cette même nuit, jentends à nouveau ses pleurs et ses supplications. En entrant pour la consoler, elle se jette dans mes bras et me serre fort, les yeux fixés sur le même coin du plafond comme si quelquun y était posté, la peur peinte sur le visage.

Léontine, qui estça? demandaije.

Maman murmuret-elle doucement.

Dis à maman que tu la laisses partir et quelle doit sen aller.

Maman ne veut pas partir!

Quarante jours après le décès, nous allons toutes les deux au cimetière, déposons des fleurs, distribuons des friandises aux enfants pour que la famille se souvienne de la défunte. Tout se calme enfin. Nous vendons lappartement, récupérons Léontine et laccueillons chez nous, où elle commence à retrouver la sérénité.

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MAMAN NE VEUT PAS S’ÉLOIGNER
Collée à moi comme une sangsue