**Pour que Grand-Mère vive longtemps**
Tout a une première fois dans la vie. La première maîtresse décole, le premier amour, le premier rendez-vous, le premier baiser. Mais Élodie se souviendra toujours de sa première prière. Ce sentiment lhabite toute sa vie, ce saint amour pour sa grand-mère Lucie et cette première parole adressée à Dieu.
Élodie est à la retraite, elle vit seule. Sa fille est mariée depuis longtemps et habite à Lyon avec sa famille. Élodie a passé toute sa vie dans un petit village, sy est mariée, et a enterré son mari il y a dix ans. Alors parfois, elle va à léglise, prier pour ses proches et allumer des cierges.
En se préparant à partir, elle se souvient soudain de son enfance et de sa première prière. Elle ne se rappelle pas ses parents, morts dans un accident de voiture alors quils rentraient de la ville. Cest sa grand-mère Lucie qui la élevée depuis quelle avait trois ans.
Un automne, quand les feuilles avaient jauni et que la pluie fine tombait, Élodie tomba malade.
« Tu as dû prendre froid, lui dit sa grand-mère. Je te répète toujours de mettre un bonnet, ta tête est mouillée, le vent a soufflé, et voilà le résultat. Lautomne »
Lucie ne lemmena pas à lhôpital, la soignant comme elle savait le faire. La première nuit, Élodie délira un peu, sa fièvre était haute, et elle fit des rêves courts et oubliables, séveillant pour se rendormir aussitôt. Elle avait huit ans.
Le matin, sa grand-mère, voyant quelle était réveillée, prit sa température.
« Dieu merci, ça a baissé. Ma petite, quest-ce qui ne va pas ? Quest-ce que tu veux ? »
« Du thé », murmura Élodie, léchant ses lèvres sèches avant de fermer les yeux.
« Tout de suite, ma chérie. Je vais écraser des baies de sureau dans une tasse, avec du miel. Cest le meilleur remède contre la maladie. Ça chasse tout le mal. »
Élodie savait que sa grand-mère la soignait toujours ainsi en hiver. Après avoir bu, elle mangeait le reste amer-doux au fond de la tasse. Ça lui plaisait. Quand Lucie était libre, elle sasseyait près delle, tricotant des chaussettes, chantonnant parfois ou racontant des histoires de sa vie. Et le soir, elle priait toujours avant de dormir, parfois même le jour, demandant à Dieu de guérir Élodie vite.
Un soir, alors quÉlodie observait sa grand-mère prier devant les icônes placées dans un coin de la chambre, une petite veilleuse brûlant doucement, une pensée la traversa comme une brûlure.
« Et si ma grand-mère mourait ? Je resterais toute seule. » Jamais elle ny avait songé avant, mais maintenant, elle eut peur.
Elle imagina Lucie dans un cercueil, comme elle avait vu enterrer la grand-mère dAntoine, leur voisin, au début de lautomne. Elle était allée avec sa grand-mère « dire au revoir à Marie », comme Lucie lavait dit.
La peur dêtre seule la submergea, et des larmes coulèrent. Sa grand-mère sapprocha.
« Quest-ce qui ne va pas, ma petite ? Pourquoi pleures-tu ? » demanda-t-elle en caressant ses cheveux.
« Mamie, tu ne vas pas mourir, hein ? »
Lucie fut surprise.
« Moi ? Un jour, oui. Tout le monde meurt, cest ainsi sur cette terre. »
« Pas bientôt ? »
« Comme Dieu le voudra. Mais pourquoi cette question ? »
« Je ne sais pas Pourquoi les gens meurent ? »
« Allons Comment faire autrement ? Tout le monde rejoint lautre monde, cest la volonté de Dieu. »
« Mais pourquoi ? »
« Ça, ma chérie, nous ne le savons pas, répondit Lucie après un silence. Et nous navons pas besoin de le savoir. Vis simplement, selon les commandements de Dieu, et cest tout. Quand lheure viendra, tu partiras comme il se doit. »
« Donc, cest Dieu qui décide de notre vie ? »
« Bien sûr, cest Lui. »
« Il peut faire en sorte que quelquun vive longtemps ? »
« Il le peut. Tout Lui est possible », répondit Lucie en se signant avant de quitter la pièce.
Une idée traversa lesprit dÉlodie.
« Je me demande ce que mamie demande dans ses prières ? Elle doit sûrement demander une longue vie. Alors, moi aussi, je vais prier pour elle. Si je demande à Dieu quelle vive très longtemps Elle dit que les prières des enfants montent plus vite. Mais comment faire pour que personne ne me voie ni ne mentende, sauf Dieu ? »
Le lendemain, Lucie partit à léglise.
Élodie réfléchit et trouva une solution. Elle prierait quand sa grand-mère sortirait, pour aller faire des courses ou chez une voisine. Loccasion se présenta dès le lendemain, quand Lucie annonça quelle allait à léglise.
« Élodie, je reviens vite. Tu restes seule, ou je peux demander à Antoine de venir te tenir compagnie ? »
« Non, mamie, je vais bien. Antoine viendra ce soir. »
« Comme tu veux. Moi, je dois aller à léglise prier. »
Par la fenêtre, Élodie la vit sortir de la cour et tourner vers le chemin menant à léglise. Elle tira les rideaux pour que personne ne la voie prier.
Sur létagère aux icônes, plusieurs saintes figures trônaient. Elle reconnaissait saint Nicolas et la Vierge Marie, dont Lucie lui avait parlé. Elle se tint devant eux, les regardant. La maison était silencieuse. Elle choisit saint Nicolas.
« Je ne connais pas les prières », pensa-t-elle.
Les visages saints la regardaient, et elle se sentit mal à laise.
« Je veux prier pour que mamie vive longtemps, mais par où commencer ? Comment parler à un saint ? »
Elle fixa les icônes, puis une idée lui vint.
« Si je demande simplement pour elle, là-haut, on mentendra et on comprendra. Ils savent que je suis petite et que je ne connais pas les prières. Mais je vais demander à mamie de mapprendre. »
Elle regarda saint Nicolas et murmura :
« Sil te plaît, fais que ma grand-mère Lucie ne meure jamais Enfin, non, pas comme ça. Quelle vive très, très longtemps. Elle a mal aux jambes et au cœur, et si elle mourait bientôt ? Elle est vieille, et jai peur dêtre seule. Donne-lui une bonne santé Je laime tellement, alors aide-moi, fais quelle vive longtemps. Elle est gentille et prie toujours Dieu, regarde, elle est encore partie à léglise. »
Elle dit tout ce qui lui passait par la tête. Son cœur se serrait tellement elle voulait que saint Nicolas laide. Puis elle sallongea, attendant le retour de Lucie. Enfin, elle lentendit rentrer. Sa grand-mère entra dans la chambre et lui tendit une tablette de chocolat.
« Alors, comment ça va, ma chérie ? »
« Ça va, mamie Je voulais te demander, comment on prie saint Nicolas ? »
« Comme tous les saints Pourquoi cette question ? »
« Il y a une prière spéciale ? »
« Bien sûr, répondit Lucie en la regardant attentivement. Plusieurs même. Je te les montrerai ce soir. »
« Daccord, mamie. »
Lucie partit à la cuisine, songeuse.
« Quest-ce qui lui prend, à ma petite ? Elle sintéresse aux prières Cest étrange, mais cest bien. Il faut absolument lui en apprendre une. »
Ce soir-là, avant de dormir, Lucie pria encore, et Élodie observa, répétant quelques mots. Quand sa grand-mère sassit sur son lit, elle demanda :
« Mamie, si on demande quelque chose à saint Nicolas, il le transmet à Dieu ? »
Lucie sourit et lui caressa les cheveux.
« En quelque sorte. Il prie Dieu pour nous. Pour que tout aille bien, pour notre santé. »
Élodie sendormit aussitôt, cette nuit-là, elle dormit profondément, commençant à guérir. Juste avant de fermer les yeux, elle pensa :
« Donc, jai bien fait de prier pour mamie. Elle sera en bonne santé et vivra très longtemps. Ça arrivera. »
Elle dormit jusquau matin, faisant même un rêve : un vieil homme grand, à la barbe blanche, une croix sur la poitrine et un livre ouvert à la main, lui souriait avec bonté.
À son réveil, elle se sentit guérie. Son cœur était léger, paisible. Elle pensa encore :
« Là-haut, on ma entendue. Ma grand-mère vivra très longtemps. »
À ce moment, Lucie entra en souriant.
« Comment vas-tu, ma chérie ? » Elle lui toucha le front. « Pas de fièvre, mais vérifions quand même. »
« Mamie, je vais bien, je me sens comme dhabitude quand je suis en forme. Je ne suis plus malade. »
« Tant mieux. Jai vu Antoine partir à lécole, il a demandé de tes nouvelles. Il passera après les cours. Tu devrais réviser tes leçons. Aujourdhui, cest vendredi, le week-end arrive, et tu retourneras à lécole lundi. »
« Oui, mamie, jai hâte dy retourner », répondit Élodie en souriant, lui tendant le thermomètre qui affichait une température normale.
Lucie vécut jusquà quatre-vingt-huit ans. Élodie se maria, eut une fille, et quand sa grand-mère tomba gravement malade, elle prit soin delle avec amour. Mais un jour, comme Lucie lavait dit, son heure vint, et elle séteignit doucement dans la nuit.
Bien quelle naille pas souvent à léglise, Élodie y retourne parfois. Aujourdhui, elle est venue se recueillir pour ses parents et sa grand-mère adorée, car cest lanniversaire de Lucie. Sa petite-fille na jamais oublié cette date, et toute sa vie, elle porte en elle cet amour pour elle.







