Mon père sortait de la maison deux fois par semaine pendant quelques heures. Il rentrait plein dénergie et de bonne humeur. Bientôt, le secret de mon père fut révélé.
Javais dix ans à lépoque, et mon grand frère, douze. Lui, il passait ses journées à jouer dans la cour. On ne sentendait pas vraiment. Moi, jaidais maman aux tâches ménagères. Papa travaillait à lusine et rentrait tard le soir. Maman mettait la table, on sasseyait et on dînait. Ensuite, papa enfilait ses chaussures en cuir verni, restait longtemps devant le miroir et partait sans un mot. Après son départ, maman lançait des regards noirs vers la porte. Je me demandais où il allait et pourquoi maman réagissait comme ça. Plus tard, papa revenait dans une humeur radieuse. Curieuse, jai fini par demander à maman pourquoi elle se fâchait quand il sortait.
Elle ma répondu que papa avait une maîtresse. Je ny croyais pas. Je voyais bien à quel point il aimait ma mère, il était incapable de ça. La fois suivante, quand il est parti, je lai suivi. Il a marché jusquà lOpéra Garnier et est entré. Jhésitais à franchir le seuil quand soudain, une main sest posée sur mon épaule. Je me suis retournée et jai reconnu une artiste célèbre. À ses côtés, jai pénétré à lintérieur. La salle était pleine.
Mon père était sur scène. Je ne savais pas quil était chanteur dopéra. Et quel talent ! Il interprétait un air sans me remarquer dans le public. Assise au dernier rang, javais les larmes aux yeux. À la fin, les applaudissements ont duré des minutes. On lui a offert des fleurs. Après le spectacle, on est allés se promener dans le jardin des Tuileries et on est rentrés joyeusement. Jai chuchoté à maman : « Papa na pas de maîtresse, il va à lopéra. » Elle ma répondu en souriant : « Je le sais. Mais je voulais quil te le montre lui-même.» Puis elle a ajouté : « Parfois, les secrets les plus beaux sont ceux quon découvre les yeux ouverts.» Ce soir-là, pour la première fois, nous avons ri tous les quatre autour de la table, comme une vraie famille.
