Tu pars ! — annonça la femme à son mari

« Tu pars! » dis-je à mon mari.
Marie Roussel fait le grand ménage avant le Nouvel An et découvre une clé USB.
Elle était cachée derrière le fauteuil, dans le coin droit, près du radiateur. Elle se fond dans le décor, comme une mission secrète. Mais Marie ramasse la poussière partout, alors le petit appareil surgit.
Lambiance est festive, cest la veille du Nouvel An, tout pétille: le sapin encore nu, les boules qui attendent dêtre accrochées, les guirlandes qui brillent faiblement, et une myriade de petites surprises.

Le sapin nest pas encore décoré; Marie na pas le temps. Son mari, Léon Dupont, nest pas du tout fait pour ça:
«Tu sais, ma chérie, je ne saurais pas démêler la guirlande!»
Il ne parvient même pas à placer les boules de façon symétrique.
«Pourquoi, Léon?» sétonne Marie. «Regarde, larbre sera laxe; les branches à droite et à gauche!»
«Place une boule à gauche, puis une à droite, et comble les vides», explique-t-elle.
Léon, pourtant élégant, ne voit ni axe ni déséquilibre: dun côté, il empile les décorations, de lautre, il laisse le vide. Il qualifie cela de «gêne».
«Si ça ne te plaît pas, accrocheles toimême!», réplique Léon, un brin vexé, mais il trouve cela pratique.

Le débat tourne en rond, et les variantes se multiplient comme des nuages dété: «Si ça ne te convient pas, réparetoimême!»
Marie fait tout seule, évitant de refaire le travail cent fois. Léon, quant à lui, na jamais appris de sa mère aimante, mais cela ne le rend pas critique: il reste doux, car il sait que la présence de Marie suffit à son bonheur, le reste se règle «à laide dun parapluie», comme dirait un poète urbain.

La vie de Marie est simple, loin des contes de fées: elle travaille dans une agence qui vend et loue des appartements de standing à Paris. Aujourdhui, les penthouses et les lofts à plusieurs niveaux sont très demandés. Largent circule selon le principe «on récolte ce que lon sème». Marie passe ses journées à «travailler à la sueur» pour gagner du pain, du beurre, des oranges et un petit poisson rouge: «je taime, ma puce!»

Léon a toujours eu du mal avec le travail; ses parents ne lont jamais appris à sen servir. Aucun enfant nest encore dans la maison: «On vit pour nous deux!», conclut Léon, et il commence à le mettre en pratique.

Léon est un homme beau, costaud, un vrai gaillard; il a quitté son premier emploi trois ans plus tôt:
«Imagine, on ma rétrogradé!»
«Et alors?» sétonne Marie.
«Ce nest pas une humiliation, cest une nécessité de lentreprise!» expliquetelle. «Heureusement quon a encore un travail!»

Il accepte un poste à mitemps, même si le trajet en transport en commun dure quarante minutes; Marie conduit la voiture parce que son travail le nécessite. Après deux jours de travail acharné, Léon se désintéresse et décide de rester sur le canapé.

Sa grandmère Colette, qui la vu réussir dans le passé, lance: «Alors, de nouveau sur le sofa?» Deux offres demploi sont refusées: un responsable de magasin qui ne plaisait pas, et un directeur tyrannique.

Léon aurait pu naître aristocrate, un seigneur, mais il est plutôt fait pour égayer la vie de sa femme, Marie. Elle le défend face aux critiques de Colette, qui le surnomme «général des forces du canapé».

Un jour, Marie doit ranger la clé USB, mais elle na pas le temps, car ils possèdent plusieurs appartements «au cas où un pigeon se perdrait à Lyon». Elle la glisse donc dans le cendrier. Léon ne cherche plus de clés USB; elle appartient donc à Marie, qui y stocke les dossiers de location.

Après quelques semaines, quelque chose la pousse à ouvrir la clé. Léon part se promener, profitant de lair frais. Le film quelle commence à regarder semble être un mélange de tango brûlant, de massage thaïlandais, et de cours de cuisine du matin jusquau soir, avec une touche dindécent. La vedette, cest Léon, accompagné dune femme qui semble synchronisée avec lui. Tout se passe dans son appartement, un décor qui lui est étranger.

«Ah, Pouchin, quelle surprise!», pense Marie en arrêtant la vidéo après quelques secondes. «Voilà ce quil fait pendant que je travaille!»

Elle se rappelle dune vieille amie, Lucie Boulanger, qui aime les histoires de conspirations.
«Pensestu quil soit un agent secret?», demandetelle.
«Tu penses que mon phoque est un espion?», réplique Lucie en riant, faisant référence à son oncle marin. «Les phoques restent au repos, les agents bougent!»

Lucie suggère alors de chercher une femme, «cest la solution», ditelle en sirotant un verre de vin. Elle propose à Marie de publier la vidéo en ligne.

«Pourquoi le feraisje?», sinterroge Marie.
«Parce que tout le monde publie tout», répond Lucie, citant un footballeur qui a tout dévoilé.

Après de longs débats, les deux amies décident de regarder la vidéo jusquau bout, ce qui savère judicieux. Le final est inattendu: une voix féminine apparaît, laissant son numéro de téléphone sur un papier. «Si vous voulez en parler, appelez», liton.

Marie compose immédiatement, convenant dun rendezvous dans un café parisien. Lucie se joint à elle, prétendant être son avocate et promettant de la protéger des décisions impulsives.

Au café, la scène se déroule comme dans un film:
«Nous aimons Léon, laissezle partir, sil vous plaît!», clame une jeune femme dun âge proche de Marie.
«Pourquoi ditesvous que je le retiens?», demande Marie, surprise.
«Parce que Léon a tout largent!», répliquetelle, créant la confusion.

Marie, froide, répond: «Vous avez été mal informée, prenezle, cela ne me dérange pas!»
«On peut le prendre tout de suite?», sétonne lavocate.
«Oui, Léon a dit que ma femme était une «mégabête», ajoute la grandmère à travers le téléphone.

Les amies se séparent, laissant la maîtresse désemparée. Léon, endormi après un bon repas de soupe aux champignons, de bœuf aux pruneaux et de compote, se réveille et entend Marie:
«Tu pars!»
«Je ne sais même pas faire les courses!», proteste Léon, pensant quon lenvoie au magasin.
«Allez, faisle toimême!», répond Marie.

La pièce est chaleureuse, le petit sapin décoré de ses propres mains brille dans le coin, la télévision diffuse des films classiques après le Nouvel An. LÉpiphanie approche, la température chute, le thermomètre descend.

Marie prépare les crêpes à la confiture pour le goûter du soir.
«Je ne tenvoie pas au magasin!», insistetelle.
«Où?» demande Léon.
«Là où tu montreras ce que tu sais faire de mieux!»
«Chez maman?», proposetil, sachant que la maison de sa mère est le seul endroit où il aime aller.
«Chez la grandmère!», répliquetelle sèchement.
«Quel?», sétonne Léon, ses deux grandsmères étant déjà au paradis.
«Celle qui fait ces acrobaties!», ajoutetelle en allumant la télévision.

Léon se fige, lintérieur ressemble à celui dAlice, et il se rend compte quelle a glissé dans sa poche la clé USB avec un mouchoir en tissu.
«Allez, dis quelque chose dintelligent!», le pousse Marie. «Ce nest pas toi, ils ont engagé un acteur qui te ressemble, tu es sous hypnose ou drogue!»

Elle rappelle le procureur qui sest battu comme un lion, mais qui nétait ni elle ni son cheval.
Léon reste muet: il nest pas un imbécile, il nenvisage pas de quitter Marie, surtout pas vers la petite commune de SaintDenis.

Marie, lassée, sort la clé USB de lordinateur: «Bonus de lentreprise!Prendsle, montrele à maman, Stallone!»
Léon part, sans que Marie sen soucie. Le sapin scintille, la télévision grésille, le vieux canapé reste vide.

Cest la fin, en français, tout arrive à son terme logique. La bellemère appelle, suppliant la conscience de Marie: «Tu as ce bon garçon, pourquoi le renvoyer?»

Léon ne revient pas à la colocation; il retourne dans le studio de sa mère. Nourrir un homme en repos, qui mange comme un loup, devient difficile: «Reprendsle, Marie!»

Après avoir bloqué tous les numéros, Marie dépose finalement sa demande de divorce. Cest réellement la fin. Elle se demande à quoi sattendaient les autres: à des crêpes à la confiture, mais pas à ce drame.

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Pas de joie sans lutte