— Donnez-moi une seconde chance, — gémit à nouveau la jeune fille en sortant un mouchoir de sa petite poche pour s’essuyer le nez rapidement.

12mai2025

Aujourdhui, je me suis retrouvé à nouveau confronté à la même scène qui me hante depuis trop longtemps. Dans le hall de lInstitut de Médecine de SaintÉtienne, la jeune ÉliseDurand, la petite nouvelle, a encore tiré un mouchoir blanc bordé dun fin liseré bleu et de petites fleurs aux coins. Elle la sorti de la poche de son pantalon, a essuyé son nez dun geste pressé, puis a demandé, les yeux pétillants : «Donnezmoi une seconde, sil vous plaît!»

Je lai observée, lesprit un peu amusé, et jai pensé que jétais bien trop sensible aux larmes dune fille. «Ce nest pas mon domaine, je ne supporte pas les sanglots,» me suisje dit intérieurement.

«Pas de chance, ma chère», aije rétorqué en plaisantant. «Peutêtre lan prochain; en attendant, accepteriezvous de travailler comme infirmière auxiliaire à lhôpital? Le travail est sale, dur, mais cela vous donnera un aperçu de ce que nous faisons réellement». Jai fait le tour du cour détudiants, en décrivant le grandblanc du laboratoire, les instruments éclatants, les couloirs aseptisés où les patients attendent, leurs regards implorants. Jai même plaisanté sur ses taches de rousseur, en disant que le soleil laimait tant.

Une soudaine hilarité ma envahi, à la fois à cause de ses rousseurs dorées et du fait que ma femme fêtait son anniversaire ce weekend, que nous allions à la campagne où les truites et les brochets nagent dans le petit étang, où les abeilles bourdonnent dans les ruches pendant que je leur parle comme à de vieux camarades.

Élise a levé les yeux, un peu surprise, et a murmuré : «Le professeur il rit?» Jai cherché les mots, mexcusant de mon ton. «MadameDurand, vous êtes vraiment ravissante.» Jai tenté de détendre latmosphère en proposant un cornet de glace. Elle a haussé les épaules, ma demandé quel parfum je voulais, et jai sorti de ma poche quelques billets de 20, en les froissant. «Allez, achetezen deux, pour vous et pour moi, je vous attends sur le banc,» aije dit en faisant un geste vers le stand.

Elle a acquiescé, a demandé quel parfum je préférais, et jai insisté pour quelle se dépêche, sinon le banc resterait vide. Jai observé, amusé, ses petites jambes maigres qui se précipitaient vers la glace. «Quel enfant!» aije plaisanté en secouant la tête.

Assis sur le même banc, jai sorti un mouchoir de mon costume. Le sien était petit et délicat, le mien était grand, à carreaux bleuvert, vraiment hideux. En le passant dans mon cou, je me suis senti dégoûté dêtre en sueur, fatigué et vieilli. Jai ressenti un malaise à lidée dêtre grand à côté dune fille pleine de rousseurs, mais ce nétait pas un désir de flirt, loin de là. Jéprouvais surtout de la pitié pour le temps qui séchappait, tandis que les jeunes comme Élise semblaient encore avoir toute une vie devant elles.

Élise, confuse, ma demandé pourquoi je lobservais ainsi. Elle ma tendu le cornets de glace à la vanille. «Vous en avez pris deux?», aije demandé en haussant les épaules, lair furieux. Elle a repris son souffle, a acheté un deuxième cornet, et sest assise à côté de mon sac de notes.

«Mangez,» aije ordonné, avant de la quitter pour mes obligations : ma femme mattendait à la maison, les bagages à préparer, les sacs à charger. Elle a essuyé son coin de bouche dun doigt, a haussé les épaules. La glace était sucrée, presque trop grasse, et elle nen voulait quà la boire.

Je lai interpellée, linterrogeant sur son adresse. Elle ma répondu quelle logeait chez sa tante, quelle partait bientôt, que son appartement nétait pas «étanche». Ma curiosité était piquée. «Où habitezvous?», aije demandé en terminant mon cornet. Elle ma supplié de lui donner une autre chance, dorganiser un deuxième examen. Jai rétorqué dune voix sèche : «Ce nest pas possible, vous ne pouvez pas confondre le foie avec lappendice!»

Elle a protesté, les yeux brillants, et a tenté de me prendre par le bras. Jai refusé, lui conseillant de ne pas sembourber davantage. Finalement, je suis reparti, la laissant sur le banc, son petit sac de voyage caché derrière un buisson, comme un jouet trop petit pour être réel.

«Tout est fini,» a murmuré Élise, les larmes aux yeux, tandis quelle se souvenait de son rêve dentrer à la faculté de médecine de SaintÉtienne, dun petit village où les maisons à colombages et les cloches de coqs décorent les toits. Aucun habitant ne croyait quune fille si petite, aussi vive quune sauterelle, puisse un jour porter le blanc du chirurgien.

Les étudiants de lhôpital couraient sans regarder autour, les outils rouillés et les fenêtres obstruées par des rideaux de lin, le directeur de lhôpital, le DrNicolasFoucault, un homme au visage rougeâtre, aux veines bleues sous le nez, au teint gonflé, aux lèvres sèches, refusait dadmettre les nouveaux venus. Élise, pourtant, voulait le confronter, mais elle a échoué aux épreuves de biologie et de génétique. Elle nétait pas destinée à réussir.

Pendant que je regardais les listes dinscriptions, la secrétaire Nadège a sorti son mouchoir blanc à bordure bleue, le même que javais vu plus tôt. Elle lavait acheté au marché, préférant les fleurs jaunes aux fleurs bleues. Jai demandé dun ton sec : «Où est la fiche dÉlise?». Elle a rougi, a cherché dans son sac, a sorti une pomme, a mâché nerveusement. «Je ne la trouve pas,» a-t-elle bafouillé. Jai réprimandé le manque de sérieux, insistant sur le fait que je cherchais «la petite rougeur», Élise Durand, une candidate de première classe.

Quand jai finalement aperçu son nom inscrit en haut de la liste, mon cœur sest serré. «DurandÉliseClaire», était écrit. Elle était enfin admise. Jai souri en pensant à la petite fille qui, un jour, reviendrait en infirmière, prête à changer les choses, à corriger les lacunes du DrFoucault, à rendre lhôpital plus propre, plus humain.

Ce soir, en rentrant chez moi, ma femme ma offert un gâteau au chocolat, et nous avons ri ensemble. Jai compris que chaque petite Étudiante, chaque Élise, porte en elle la flamme dun futur meilleur. Jai aussi réalisé que je ne peux plus me cacher derrière le cynisme ou le désenchantement.

Leçon du jour: on ne doit jamais sousestimer le pouvoir dune jeune femme déterminée. Même quand le système semble immuable, il suffit dun geste de gentillesse même un simple cornet de glace pour allumer létincelle du changement.

AndréLeclerc, professeur de pathologie.

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— Donnez-moi une seconde chance, — gémit à nouveau la jeune fille en sortant un mouchoir de sa petite poche pour s’essuyer le nez rapidement.
Regrettant son départ, il revient vers sa femme