La grand-mère, on n’en a pas besoin – ont décidé les petits-enfants lors du conseil de famille

Nous navons pas besoin de grand-mère décidèrent les petits-enfants lors du conseil de famille.

Vous êtes fous ? Trente mille euros pour cette épave ? Elle tient à peine debout ! Jean-Pierre Dumont claqua violemment le capot de la vieille Renault et lança un sale regard au vendeur.

Ce nest pas une épave, cest une pièce rare, répliqua calmement lhomme en caressant le volant usé. Plus personne ne fabrique ces modèles. Année 1978, sortie dusine. Tous les papiers sont en règle, entièrement révisée. Le moteur tourne comme une horloge.

Une horloge arrêtée, ricana Jean-Pierre en se tournant vers sa femme. Élodie, allons-nous-en. Je ne vais pas gaspiller notre argent pour cette ferraille.

Élodie Dumont soupira et sourit timidement au vendeur :

Désolée, mais mon mari a raison. Il nous faut une voiture pour la campagne, pour transporter nos affaires et nous y rendre. Pas ça…

Prenez-la, vous ne le regretterez pas, insista le vendeur en cherchant son regard. Pour vous, je fais un geste. Vingt-huit mille, et elle est à vous.

Non, merci, répondit fermement Élodie en prenant son mari par le bras. Nous continuerons nos recherches.

Ils marchèrent en silence entre les garages du lotissement. Jean-Pierre bouillait encore de colère, tandis queÉlodie songeait que leur quête du véhicule idéal traînait en longueur. Lété approchait, et il fallait bien organiser leurs trajets vers la maison de campagne. Depuis que leur vieille Peugeot avait été percutée par un conducteur ivre (heureusement, ils sen étaient sortis indemnes), ils devaient prendre le bus avec deux correspondances ou payer des voisins pour un covoiturage.

Et si on prenait un crédit pour une voiture neuve ? suggéra Élodie avec hésitation en sortant du lotissement.

Avec nos retraites ? grogna Jean-Pierre. Non, nous trouverons une occasion correcte. Il faut juste chercher davantage.

Mais lété arrive, et le potager nest même pas labouré, fit remarquer Élodie en remontant son écharpe. Le vent printanier était encore frais. Les enfants ont promis de nous aider, mais tu sais comment cest. Antoine est pris par son travail, Mathilde a les siens…

Justement, les enfants, sanima soudain Jean-Pierre. Et si on demandait à Marguerite ?

Maman Marguerite ? Ma mère ? Élodie le regarda, stupéfaite. Elle a soixante-dix-huit ans, où irait-elle ?

Quel rapport avec lâge ? balaya Jean-Pierre. Ta mère est plus solide que moi. Elle fait sa gymnastique tous les matins, va faire ses courses, boit son café avec ses amies. Et puis, elle a des économies, non ? Elle disait quelle mettait de côté pour les jours difficiles. Eh bien, ce jour est arrivé.

Jean ! sindigna Élodie. Comment peux-tu ? Cest son argent, elle a économisé toute sa vie. Elle voulait le laisser aux petits-enfants pour leurs études.

Justement, nous le prendrions pour eux, persista Jean-Pierre. Nous achèterions une voiture pour les emmener à la campagne. Lair pur, la nature, les fruits Cest aussi une forme déducation.

Élodie secoua la tête sans répondre. Lidée de demander de largent à sa mère lui déplaisait. Ils se voyaient déjà si peu ces derniers temps Marguerite vivait seule dans son vieil appartement de deux pièces en banlieue, et le trajet était pénible. Et maintenant, ils allaient se pointer avec une telle requête ? Non, ce nétait pas juste.

À la maison, les enfants et petits-enfants les attendaient Antoine avec sa femme Sophie et leur fils Théo, quatorze ans, et Mathilde avec son mari Nicolas et les jumeaux Clara et Hugo, qui venaient de fêter leurs douze ans. Tous étaient réunis pour le traditionnel déjeuner dominical, une habitude quÉlodie perpétuait depuis des années.

Alors, vous avez trouvé une voiture ? demanda Antoine en aidant sa mère à dresser la table.

Non, soupira Élodie. Tout est trop cher ou en trop mauvais état.

Et papa propose de demander de largent à mamie Marguerite, lâcha soudain Jean-Pierre en entrant dans la cuisine. Elle a des économies, après tout.

À mamie Marguerite ? sétonna Mathilde, qui coupait le pain. Elle accepterait ?

Je ne sais pas, avoua Élodie. Je ne lui ai pas encore demandé. Et je ne suis pas sûre que ce soit bien.

Pourquoi pas ? sinstalla Jean-Pierre à table. À qui dautre les laisserait-elle ? À nous, à ses petits-enfants.

Elle a toujours dit quelle voulait payer leurs études, rappela Élodie. Que cet argent leur serait utile.

Et nous achèterions une voiture pour eux, répéta Jean-Pierre. Pour les emmener à la campagne. Cest aussi une façon dapprendre la biologie en vrai, pas dans les livres.

Tout le monde rit, et la conversation bifurqua. Mais après le repas, lorsque les petits-enfants se retirèrent avec leurs écrans, Jean-Pierre revint à la charge.

Élodie, je suis sérieux, dit-il en laidant à débarrasser. Il faut en parler avec ta mère. Après tout, cest largent de la famille, il doit servir à tous.

Élodie hésita :

Je ne sais pas, Jean. Maman a toujours été indépendante. Elle naime pas quon lui dicte comment gérer ses affaires.

Qui parle de lui dicter quoi que ce soit ? rétorqua Jean-Pierre. Nous discuterons, nous expliquerons la situation. Elle comprendra que ce nest pas pour des frivolités, mais pour un vrai besoin.

Le soir, alors que tous étaient réunis dans le salon, Jean-Pierre annonça brusquement :

Et si nous invitions mamie Marguerite à vivre avec nous ?

Les regards se tournèrent vers lui, surpris.

Avec nous ? répéta Élodie. Jean, nous manquons déjà de place. Où dormirait-elle ?

On pourrait aménager le débarras en chambre, suggéra Jean-Pierre. Ou installer un canapé-lit au salon. Elle ne serait plus seule dans son appartement, et nous serions plus tranquilles. À son âge…

Et son appartement ? demanda prudemment Antoine.

Nous pourrions le louer, senthousiasma Jean-Pierre. Un deux-pièces, même en banlieue, ça rapporte au moins mille deux cents euros par mois. De quoi acheter la voiture, financer la campagne, et bien plus.

Élodie fronça les sourcils :

Jean, nous parlons de ma mère, pas dune source de revenus. Elle a vécu toute sa vie là-bas, avec ses souvenirs, ses affaires. Comment imagines-tu ça ?

Voyons, balaya Jean-Pierre. À son âge, les souvenirs… Ce dont elle a besoin, cest de soins, dattention. Et nous pouvons lui offrir ça.

Élodie allait protester lorsque Théo, levant les yeux de son téléphone, intervint :

Mamie Marguerite, elle est au courant de vos projets ?

Pas encore, répondit Jean-Pierre. Nous réfléchissons à comment lui proposer.

Et si elle refuse ? demanda Clara, la plus jeune des jumeaux.

Nous la convaincrons, assura Jean-Pierre. Nous lui expliquerons que cest mieux pour tout le monde.

Pour tout le monde ou pour vous ? lança sèchement Hugo, dhabitude si réservé.

Hugo ! le réprimanda sa mère. Ne sois pas insolent avec ton grand-père.

Je ne suis pas insolent, répondit calmement le garçon. Je veux juste comprendre : est-ce que mamie Marguerite a vraiment besoin de ça, ou est-ce nous ?

Un silence gêné sinstalla. Jean-Pierre se racla la gorge :

Bien sûr que nous pensons dabord à elle. Elle est seule, et ici, elle aurait sa famille autour delle.

Vous lui avez demandé si elle se sentait seule ? poursuivit Hugo. On ne la voit presque jamais. Juste aux anniversaires et aux fêtes.

Tout le monde est occupé, soupira Élodie. Ce nest pas simple de se déplacer.

Exactement, enchaîna Jean-Pierre. Mais si elle vit ici, nous la verrons tous les jours.

Les petits-enfants échangèrent un regard, et Élodie comprit quils ne partageaient pas lenthousiasme de leur grand-père. Marguerite était stricte, exigeante, une grand-mère à lancienne qui considérait comme son devoir déduquer et de sermonner. Elle méprisait les écrans, ne comprenait pas les réseaux sociaux, et râlait sans cesse contre les jeunes « toujours scotchés à leurs portables ».

Je propose quon demande dabord son avis à mamie Marguerite, suggéra Mathilde en observant ses enfants. Peut-être quelle ne voudra pas déménager. Elle est habituée là-bas, avec ses voisines, ses amies…

Bien sûr, nous lui demanderons, approuva Élodie. Jirai la voir demain.

Je taccompagne, dit aussitôt Jean-Pierre. À deux, nous la convaincrons plus vite.

Le lendemain, ils se rendirent chez Marguerite. La vieille dame les accueillit avec joie elle avait préparé la table, sorti la confiture, cuit le gâteau aux pommes préféré de son gendre.

Comment vas-tu, maman ? demanda Élodie en laidant en cuisine. Tu te débrouilles ?

Pourquoi ne me débrouillerais-je pas ? répondit Marguerite avec entrain. Gymnastique le matin, courses, café avec les copines. La vie suit son cours.

Cest justement de ça que nous voulions parler, commença Jean-Pierre à table. De votre vie, Marguerite.

Quest-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle, méfiante.

Rien, se dépêcha de dire Élodie. Nous pensions peut-être que tu te sentirais moins seule chez nous ? On taménagerait une chambre…

Déménager ? Chez vous ? Marguerite fixa sa fille, interloquée. Doù vient cette soudaine sollicitude ?

Voyons, intervint Jean-Pierre. À votre âge, on ne sait jamais. Chez nous, vous auriez la famille autour de vous.

Marguerite resta silencieuse, scrutant son gendre. Puis elle reporta son attention sur Élodie :

Et mon appartement ?

On pourrait le louer, dit Jean-Pierre avec désinvolture. Un revenu supplémentaire ne fait jamais de mal. Surtout maintenant, avec la voiture à acheter.

Ah, fit Marguerite. Donc, vous voulez largent de la location ?

Ce nest pas que ça, sempressa de rectifier Élodie en lançant un regard noir à son mari. Nous nous inquiétons pour toi.

Et cest pour ça que vous ne mavez pas rendu visite depuis quatre mois ? ricana doucement Marguerite.

Tout le monde est occupé, se justifia Jean-Pierre. Mais si vous vivez avec nous, ce problème disparaîtra.

Je vois, dit Marguerite en reposant sa fourchette. Et les petits-enfants, quen pensent-ils ?

Ils… sont ravis, mentit Jean-Pierre sans regarder sa femme. Ils ont hâte que mamie Marguerite vienne.

Marguerite eut un petit rire :

Ça métonnerait. Ce sont des ados, ils ont leurs propres vies. Et ma sévérité ne plaît pas à tout le monde.

Mais si, ils sont impatients, insista Jean-Pierre.

Marguerite se leva :

Écoutez, mes chers, je vais y réfléchir. Donnez-moi une semaine, daccord ?

Bien sûr, maman, dit Élodie, soulagée que la conversation nait pas dégénéré.

De retour chez eux, une surprise les attendait. Les petits-enfants, réunis dans leur chambre, semblaient discuter avec animation. En entendant leurs grands-parents, ils entrèrent au salon, lair grave.

Nous avons tenu un conseil de famille, déclara solennellement Théo, laîné.

Quel conseil ? sétonna Jean-Pierre.

Un conseil des petits-enfants, précisa Clara. À propos de mamie Marguerite.

Élodie se raidit :

Et quelle est votre décision ?

Nous navons pas besoin de grand-mère, dit clairement Hugo. Enfin, pas quelle vive ici.

Jean-Pierre et Élodie échangèrent un regard stupéfait.

Pourquoi donc ? soffusqua Jean-Pierre.

Parce que ce nest pas juste, expliqua Théo. Mamie Marguerite a toujours vécu dans son appartement. Ses affaires, ses souvenirs sont là-bas. Elle y est bien. Et vous voulez len arracher juste pour largent de la location.

Ce nest pas que largent, commença Jean-Pierre, mais Clara linterrompit :

Papi, on nest plus des enfants. On comprend. Vous voulez largent pour la voiture et la campagne. Et mamie Marguerite serait comme… une prisonnière ici.

Quelle absurdité ! sindigna Jean-Pierre. Une prisonnière ? Elle serait chez sa famille !

Une famille qui ne pourrait même pas lui offrir une vraie chambre, remarqua Hugo. Juste un débarras transformé. Elle a soixante-dix-huit ans, quand même.

Et puis, ajouta Théo, vous ne nous avez même pas demandé si nous voulions quelle vive ici. Cest aussi notre maison.

Élodie était perplexe :

Je croyais que vous seriez contents. Cest votre grand-mère…

La grand-mère qui râle parce quon passe trop de temps sur nos portables ? demanda Clara avec scepticisme. Qui dit que les dessins animés, cest pour les bébés ?

Elle vient dune autre époque, tenta dexpliquer Élodie.

Justement, acquiesça Théo. Et alors, on va se disputer sans arrêt ? Ce serait lenfer.

Jean-Pierre saffaissa dans son fauteuil :

Donc, vous préférez quelle reste seule ? Quon continue à la voir à peine ?

Non, répondit fermement Hugo. Nous pensons quon devrait lui rendre visite plus souvent. Toute la famille, à tour de rôle. Le samedi, Clara et moi, le dimanche, Théo…

Et on peut linviter le week-end, ajouta Clara. Mais pas pour toujours. Pour quelle puisse rentrer chez elle, retrouver ses habitudes.

Élodie regarda ses petits-enfants, impressionnée. Quand avaient-ils pris tant de maturité ?

Et la voiture ? demanda Jean-Pierre, désemparé. Il nous faut cet argent…

Papi, dit doucement Théo, mamie Marguerite a économisé toute sa vie pour les coups durs. Pour ses soins, pour aider ses petits-enfants si besoin. Et vous voulez tout dépenser pour une voiture. Est-ce vraiment juste ?

Jean-Pierre toussota, gêné :

Je pensais que ce serait bien pour tout le monde…

Le bien de tous, cest quand chacun est heureux, dit Clara. Et mamie Marguerite serait malheureuse dans un débarras, loin de ses amies.

Un silence suivit. Élodie contempla ses petits-enfants avec fierté. Ils avaient été plus sages que les adultes.

Bon, dit-elle enfin, vous avez raison. Je vais appeler maman pour lui dire que nous renonçons. Et que nous viendrons plus souvent.

Pour la voiture, ajouta Théo, nous avons réfléchi. On pourrait prendre un crédit, et nous aider à le rembourser. Jai économisé en travaillant lété dernier…

Non, non, refusa Jean-Pierre. Cest à nous de nous débrouiller. Peut-être partager une voiture avec les voisins…

Cette nuit-là, Élodie eut du mal à dormir. Elle songeait à sa mère, seule dans son appartement. À leurs trop rares rencontres. À leur proposition égoïste. Et à la sagesse de ses petits-enfants, qui avaient vu plus clair queux.

Le matin, elle appela Marguerite :

Maman, nous avons changé davis. Mais nous voulons te voir plus souvent. Et tinviter chez nous. Ça te va ?

Ça me va, répondit Marguerite, un sourire dans la voix. Je ne comptais pas déménager, de toute façon. Mais voir plus les petits-enfants, cest parfait.

Alors, on vient samedi, toute la famille, annonça Élodie, soulagée.

Très bien, dit Marguerite. Et, Élodie… pour la voiture. Jy ai repensé. Jai quelques économies. Je pourrais vous aider ? Pas comme un prêt, mais un cadeau. On est famille, après tout.

Merci, maman, répondit Élodie, émue. Mais nous nous débrouillerons. Garde ton argent.

Quel autre « coup dur » à mon âge ? rit Marguerite. Non, les jours sombres, cest derrière moi. Maintenant, je veux des jours lumineux. Surtout si les petits-enfants viennent plus souvent.

Élodie raccrocha en souriant. Les enfants avaient raison. Ils navaient pas besoin de grand-mère comme dune source dargent ou dune charge. Ils avaient besoin delle comme grand-mère avec sa sagesse, ses manies, son caractère. Quelle soit ronchon, quelle ne comprenne pas les nouvelles technologies, elle était leur mamie, aimée et respectée. Et sa place était là où elle se sentait bien libre, chez elle, entourée sans être étouffée.

Quant à la voiture ils finiraient par la trouver. Après tout, le bonheur nétait pas dans une automobile, mais dans une famille unie, honnête et solidaire.

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