**Journal dun fils 15 novembre**
« Je ne vivrai pas avec une grand-mère qui nest même pas la mienne. » Ces mots, je les ai lancés droit dans les yeux de ma mère, assise en face de moi, les doigts crispés sur le bord de la nappe.
« Maman, dis-le-lui toi-même ! Jen ai marre de me justifier ! » La voix dHélène tremblait légèrement. Elle fixait la table, incapable de me regarder.
« Justifier quoi ? » Jai posé ma tasse de thé avec un claquement sec. « Cest simple : jemménage la semaine prochaine. Jai trouvé un appart, payé la caution. »
« Mon chéri, mais comment allons-nous » a-t-elle commencé, mais je lai interrompue dun geste.
« Maman, jai vingt-sept ans. Il est temps que je vive ma vie, non ? »
Un toussotement étouffé a résonné depuis la chambre voisine, suivi dun objet tombant et dun grognement.
« Tu vois ? » Hélène a soupiré. « Elle a encore fait tomber quelque chose. Je dois y aller. »
« Non. » Jai posé une main sur son épaule. « Ce nest pas ton rôle. Tu nes pas son aide-soignante. »
« Igor, elle est âgée »
« Arrête, maman. » Ma voix sest durcie. « Elle na jamais été ta famille. Jamais. La mère de papa, qui na pas eu un mot gentil pour toi en trente ans. »
Elle a grimacé comme si je lavais giflée. Cétait vrai : depuis le mariage de mes parents, Anne-Marie navait jamais accepté ma mère. « Ton Hélène », disait-elle aux voisines, comme si cétait une erreur de parcours. Quand je suis né, elle a même déclaré quelle mélèverait elle-même, ma mère étant « trop naïve ».
« Tu te souviens comment elle tappelait ? » ai-je insisté. « *Cette Hélène*. Pas même ton prénom, juste *celle-là*. Et quand papa est mort »
« Tais-toi, » a murmuré maman. « Pas maintenant. »
Mais je nai pas lâché. Trois ans avaient passé, et cette blessure était toujours ouverte. Après lenterrement, Anne-Marie nous avait clairement signifié que lappartement revenait à *elle* pas à nous. « Vous devriez chercher ailleurs », avait-elle craché.
« Et qui la ramassée quand elle a fait son AVC ? » ai-je demandé. « Qui a appelé les pompiers ? Qui a dormi sur une chaise dhôpital ? »
Hélène sest levée, emportant les tasses.
« Ça suffit. »
« Non ! Tu vois bien ce quelle fait. Elle fait exprès de faire du bruit la nuit, de lâcher des casseroles, de mettre la télé à fond. Et ces sous-entendus sur la nourriture, les médicaments »
« Hélène ! » La voix grinçante dAnne-Marie a retenti. « Tu viens ? »
Maman sest dirigée vers la chambre, mais je lai retenue.
« Pourquoi ? Quelle se lève si elle a besoin de quelque chose. »
« Elle est malade »
« Malade ? Elle est plus solide que nous deux ! Elle a juste pris lhabitude de commander. Papa la gâtée toute sa vie, et toi, tu as pris le relais. »
« Hélène ! » Lappel était plus agressif.
Maman sest dégagée. Dans la chambre, Anne-Marie était alitée, le regard hautain. Un journal gisait par terre.
« Ramasse ça. »
« Vos lunettes sont là ? »
« Bien sûr ! Tu me prends pour une aveugle ? » Elle les a enfilées avec mépris. « Et apporte-moi du thé. Chaud, cette fois. Pas cette eau tiède dhier. »
Silencieuse, maman a ramassé le journal et est partie préparer le thé. Je lai suivie, le visage fermé.
« Tu cours encore à ses ordres ? »
« Laisse tomber, » a-t-elle soupiré.
« Maman, écoute-moi bien. » Je me suis rapproché. « Jemménage. Et tu viens avec moi. »
Elle a figé, la bouilloire en suspens.
« Quoi ? »
« Jai un deux-pièces. Assez pour nous deux. Plus de scènes, plus de reproches. »
« Et elle ? »
« Elle fera comme elle pourra. On récolte ce quon sème. »
« Igor, je ne peux pas Elle sera seule. »
« Parfait ! Elle comprendra ce que ça coûte, de perdre ton aide. »
Maman a posé la bouilloire, les mains tremblantes. Je voyais le conflit en elle : culpabilité contre soulagement.
« Tu te souviens de ce quelle ta dit après lenterrement ? » ai-je murmuré. « *Maintenant, vous pouvez faire vos valises. Lappart est à moi.* Tu ten souviens ? »
Elle a hoché la tête. Moi aussi. Ces mots étaient gravés. Nous étions à peine rentrés du cimetière, encore en noir, quand Anne-Marie avait annoncé froidement quil était temps pour nous de partir.
« Et qui lui a tenu tête ce jour-là ? Qui a dit quon ne partirait pas ? »
« Cest moi, » a admis maman.
« Trois ans, maman. Trois ans à la servir. À cuisiner, laver, lemmener chez le médecin. Et elle ? Un seul merci ? »
Aucun. Rien que des critiques. La soupe trop salée, le linge mal repassé. Et puis ces allusions aux voisins : *Je vis avec des étrangers qui attendent ma mort.*
« Hélène ! Où est mon thé ? »
« Jarrive ! » a-t-elle répondu machinalement.
Je lui ai barré la route.
« Non. Assieds-toi. On a besoin de parler. »
Elle a résisté, mais a fini par sasseoir. Jai pris ses mains.
« Maman, je ne vivrai pas avec une grand-mère qui te méprise. Et toi non plus. Tu nas que cinquante-deux ans. Pourquoi gâcher ta vie ? »
« Elle nest pas *étrangère*, Igor. Cest ta grand-mère. »
« Ma grand-mère ? » Jai ri. « Elle ma toujours détesté. *Tu tiens de ta mère*, quelle disait. Et quand jai eu mon diplôme ? *De largent perdu.* »
Maman sest tue. Elle se souvenait.
« Hélène ! » La voix était furieuse.
Je suis entré dans la chambre.
« Maman est occupée. Si vous voulez du thé, levez-vous. »
« Comment oses-tu ? » a-t-elle hurlé. « Appelle ta mère ! »
« Non. Et dailleurs, dans une semaine, on déménage. »
« Quoi ? »
« Maman et moi. Vous resterez ici. Seule. Comme vous lavez toujours voulu. »
Un silence. Puis un sanglot théâtral.
« Ne tombe pas dans le panneau, » ai-je dit à maman. « Cest du cinéma. »
Mais elle hésitait encore.
« Et si cest vrai ? Si elle souffre ? »
« Vraiment ? » Jai serré les dents. « Où étaient ses larmes quand elle nous jetait dehors ? »
Finalement, Anne-Marie est arrivée en traînant les pieds.
« Alors ? Vous abandonnez une vieille femme ? »
« On part. Cest tout. »
Elle a joué la carte de la faiblesse, bien sûr. *Je suis malade Jai besoin daide*
Mais maman, ce soir-là, a trouvé son courage.
« Vous nous avez traités comme des étrangers. Maintenant, vous en subirez les conséquences. »
**Leçon du jour :**
On ne doit pas sacrifier sa vie pour ceux qui nont jamais su nous aimer. Parfois, la famille, cest juste un mot. Le respect, lui, se mérite.







