**Journal dun Homme**
Mon fils est arrivé avec sa fiancée pour la présenter. Elle a souri et déclaré : « Libérez la chambre, belle-mère, vous nêtes plus la maîtresse ici. »
Jai ouvert la porte et jai vu Thomas accompagné dune jeune femme. Grande, éclatante, avec un maquillage impeccable. Un sourire éclatant, travaillé. Vingt-cinq ans, pas plus.
« Maman, voici Camille. Camille, ma mère Élodie Moreau. »
Jai tendu la main. Camille la serrée fermement, presque avec provocation.
« Enchantée, ai-je dit. Entrez, jétais justement en train de »
« Libérez la chambre, belle-mère. Vous nêtes plus la maîtresse ici. »
Les mots ont frappé comme des pierres.
Je suis restée figée, la main tendue, le sourire gelé.
Thomas a ri, mal à laise, trop fort.
« Camille, voyons ! Cest une blague, maman. Elle a un humour particulier. »
Camille ne riait pas. Elle inspectait lentrée mon tapis, mon portemanteau, mes photos aux murs. Dun regard évaluateur. Comme un agent immobilier jaugeant un bien.
« Je plaisante, bien sûr, a-t-elle finalement dit, mais sa voix était plate. Élodie, nous avons pensé pourrions-nous rester ici ? Deux mois, trois maximum. Le temps de trouver un logement. Les cautions sont exorbitantes, et mes fonds arriveront dans un mois. »
Je suis restée près de la porte.
Trente ans de pratique comme psychologue. Des centaines de patients. Je sais lire les gens. Je reconnais les mensonges, les manipulations, la douleur cachée derrière lagression.
Mais là, je ne voyais quune chose : mon fils la regardait avec des yeux éperdus.
« Bien sûr, ai-je entendu ma voix répondre. Bien sûr, vous pouvez rester. »
La première semaine, je me suis répété : adaptation. Stress. Nouvel environnement.
Camille a étalé ses affaires dans la chambre dhôte. Puis dans la cuisine. Puis dans la salle de bains.
Mes crèmes ont disparu de létagère. Remplacées par ses pots, ses flacons. Lespace sest empli dodeurs étrangères âcres, sucrées, envahissantes.
Dans la cuisine, elle a réorganisé les placards.
« Cest plus pratique », a-t-elle expliqué, sans demander.
Mes tasses celles collectionnées pendant des années ont atterri en hauteur. Hors de portée. Un matin, je nai plus trouvé mon thé vert. Il avait été remplacé par du boldo, quelle disait détoxifiant. Jai ouvert le tiroir de mon bureau : mes papiers étaient classés, mes carnets scellés dun élastique trop serré.
Je me suis assise à la table de la cuisine, une tasse fumante entre les mains la sienne, pas la mienne et jai regardé Thomas rire aux éclats, penché vers elle comme sil puisait sa lumière à ses lèvres.
Le soir, dans le silence de ma chambre, jai sorti mon vieux cahier à couverture noire. Jai écrit : *Aujourdhui, jai quitté la maison sans partir. Je suis restée à table, dans mon fauteuil, au milieu des miens. Mais plus personne ne me voit.*
Et depuis, je ne dis plus un mot. Je regarde. Jattends. Je respire lentement, comme on survit.







