Geneviève était une maîtresse. Le mariage ne lui avait pas souri. Elle était restée célibataire jusquà trente ans, puis avait fini par chercher un homme. Elle ignorait dabord que Laurent était marié, mais lui ne tarda pas à le lui avouer, dès quil comprit quelle sétait attachée à lui et en était tombée amoureuse.
Pourtant, jamais Geneviève ne fit de reproches à Laurent. Au contraire, elle ne cessait de se blâmer pour cette liaison et pour sa faiblesse. Elle se sentait diminuée, nayant pas trouvé un époux à temps, tandis que les années filaient.
À bien y regarder, elle nétait pourtant pas mal : pas une beauté, mais charmante, un peu enrobée, ce qui lui donnait sans doute un air plus mûr.
Cette relation avec Laurent ne menait nulle part. Rester sa maîtresse lui pesait, mais elle ne parvenait pas à le quitter. La peur de se retrouver seule létreignait.
Un jour, son cousin Jérôme lui rendit visite. De passage à Paris pour affaires, il sarrêta quelques heures chez elle, profitant de cette occasion pour la voir. Ils déjeunèrent à la cuisine, bavardant comme autrefois, évoquant souvenirs et quotidien. Geneviève lui parla de sa vie amoureuse, sans rien cacher, versant quelques larmes.
Juste alors, une voisine frappa à la porte, priant Geneviève de venir admirer ses achats. Elle sabsenta vingt minutes. Cest à ce moment quon sonna. Jérôme alla ouvrir, croyant que Geneviève revenait, dautant que la porte était restée déverrouillée Sur le seuil se tenait Laurent. Demblée, Jérôme comprit quil était lamant. Laurent, lui, resta interdit devant cet homme costaud en jogging et t-shirt, mâchant un sandwich au saucisson.
Geneviève est là ? parvint-il à demander.
Elle est dans la salle de bains, répondit Jérôme, trouvant la réplique aussitôt.
Excusez-moi, mais vous êtes ? insista Laurent, toujours sous le choc.
Son mari. En concubinage, pour linstant Et vous, quest-ce que vous lui voulez ? Jérôme se rapprocha, saisissant Laurent par le col. Serais-tu ce godelureau marié dont elle ma parlé ? Écoute bien : si je te revois ici, je te descends lescalier à coups de pied, compris ?
Laurent, libéré de son étreinte, dévala les marches en hâte.
Geneviève rentra peu après. Jérôme lui raconta la visite de son amant.
Quas-tu fait ? Qui ta demandé ça ? sanglota-t-elle. Il ne reviendra plus.
Elle seffondra sur le canapé, le visage caché dans ses mains.
Non, il ne reviendra pas, et cest tant mieux. Arrête de pleurnicher. Jai un homme parfait pour toi. Un veuf, dans notre village. Depuis la mort de sa femme, toutes lui courent après, mais il les repousse toutes. Il veut rester seul, semble-t-il. Écoute : après ma mission, je reviens te chercher. Sois prête. On ira au village ensemble. Je vous présenterai.
Comment ça ? sétonna Geneviève. Non, Jérôme, je ne peux pas. Un inconnu Et puis, débarquer comme ça Quelle honte. Non.
La honte, cest de coucher avec un homme marié, pas de rencontrer un célibataire. Personne ne te force à partager son lit. On y va, cest tout. Cest lanniversaire dÉlodie, ma femme.
Quelques jours plus tard, Geneviève et Jérôme arrivèrent au village. Élodie avait dressé la table dans le jardin, près du bain de vapeur. Des voisins, amis et un camarade de Jérôme le veuf Alexandre rejoignirent la fête. Les villageois connaissaient Geneviève depuis longtemps, mais elle rencontrait Alexandre pour la première fois.
Après cette soirée chaleureuse, Geneviève rentra à Paris. Elle songea quAlexandre était dune douceur et dune timidité rares. « Il doit encore souffrir de la perte de sa femme. Pauvre homme. Il en reste si peu, des cœurs comme le sien. »
Une semaine plus tard, un dimanche, on sonna à sa porte. Ne sattendant à personne, elle ouvrit et resta stupéfaite : Alexandre se tenait sur le seuil, un sac à la main.
Pardonnez-moi, Geneviève. Je passais par ici. Des courses au marché, vous savez Comme nous nous connaissons maintenant, jai pensé vous rendre visite, bredouilla-t-il, visiblement mal à laise.
Elle linvita à entrer. Son étonnement persistait, mais elle lui proposa un thé, devinant que sa venue nétait pas un hasard.
Alors, vous avez trouvé tout ce quil vous fallait ? demanda-t-elle.
Oui, mes achats sont dans la voiture. Mais ceci est pour vous. Il sortit du sac un petit bouquet de tulipes et le lui tendit.
Elle le prit, les yeux brillants. Ils burent leur thé en parlant de la pluie et du beau temps, des prix sur les étals. Quand les tasses furent vides, Alexandre la remercia et se leva pour partir. Dans lentrée, il enfilait lentement sa veste, chaussait ses bottines, distrait. Puis, presque sur le pas de la porte, il se retourna soudain :
Si je men vais sans rien dire, je ne me le pardonnerai pas. Geneviève, cette semaine, je nai pensé quà vous. Vraiment. Vous mavez troublé. Jai à peine attendu le week-end. Me voilà. Jai eu votre adresse auprès de Jérôme
Geneviève rougit, baissant les yeux.
Nous nous connaissons si peu murmura-t-elle.
Ce nest rien. Lessentiel, cest que je ne vous sois pas désagréable ? Puis-je vous tutoyer ? Je sais que je ne suis pas un cadeau. Et puis, jai une petite fille, huit ans. Elle est chez sa grand-mère.
Alexandre tremblait légèrement.
Une fille, cest merveilleux. Un vrai bonheur, dit Geneviève, rêveuse. Jai toujours voulu une fille.
Encouragé, Alexandre lui prit les mains, lattira à lui et lembrassa.
Quand leurs lèvres se séparèrent, il vit des larmes dans ses yeux.
Je te déplais ? demanda-t-il, inquiet.
Non, au contraire. Je ne my attendais pas Cétait doux, apaisant. Je ne vole plus personne
Dès lors, ils se virent chaque week-end. Deux mois plus tard, Geneviève et Alexandre se marièrent et sinstallèrent au village. Elle trouva un poste à la crèche. Un an après, elle mit au monde une petite fille. Ainsi grandirent deux fillettes dans leur foyer : toutes deux chéries, toutes deux aimées. Laffection et la tendance ne manquèrent pour aucune. Quant à Alexandre et Geneviève, le bonheur les rajeunissait, et leur amour, comme un vin vieilli, ne fit que se bonifier avec les années.
Lors des repas de famille, Jérôme clignait souvent de lœil à Geneviève :
Alors, Geneviève, ce mari que je tai déniché, hein ? Tu embellis de jour en jour. Et toi, Jérôme, répondait-elle en souriant, tu as lair dun homme qui a réussi sa vie.
Autour de la table, les enfants riaient, les verres sentrechoquaient, et le temps, si longtemps redouté, filait désormais sans bruit, doux et complice.







