Pitié, ma chère, ayez compassion de moi… Je n’ai pas mangé de pain depuis trois jours, et il ne me reste plus un sou,» supplia la vieille femme devant la marchande du marché.

La vieille femme s’approcha du comptoir, ses mains tremblantes serrant un sac rempli de bouteilles vides. Le vent glacial de janvier sifflait dans les ruelles étroites de Montmartre, comme pour railler les passants pressés qui ne la regardaient même pas. Ses yeux, noyés de larmes, cherchaient un peu de compassion chez la boulangère.

« Pitié, ma chère… Je n’ai pas mangé de pain depuis trois jours, murmura-t-elle d’une voix brisée. Je n’ai plus un seul sou… Pas même pour une miette. »

La boulangère, derrière sa vitrine, haussa les épaules. Ses ongles vernis de rouge tapotèrent impatiemment le comptoir.

« Ça nest pas mon problème, répondit-elle d’un ton sec. Ici, on vend du pain, on néchange pas des bouteilles. Vous voyez bien le panneau : le dépôt de consigne ferme à midi. Revenez demain. »

La vieille femme baissa la tête. Elle ne savait pas. Elle navait jamais fait la manche avant. Autrefois, elle était professeureune femme digne, fière, avec des diplômes et des élèves qui ladmiraient. Maintenant, elle mendiait pour une croûte.

Un homme en manteau noir sapprocha, perdu dans ses pensées. La boulangère sillumina aussitôt.

« Bonjour, Monsieur Lefèvre ! Votre pain aux noix est arrivé ce matin. Et les croissants sont frais, à labricot. Ceux à la cerise datent dhier, mais ils sont encore bons. »

L’homme, distrait, commanda sans y penser. Il sortit un portefeuille épais, paya sans regarder. Puis son regard tomba sur la vieille femme. Quelque chose en elle lui rappelait… une broche en forme de fleur, accrochée à son manteau usé. Une vague nostalgie lui traversa lesprit, mais il partit sans comprendre.

Chez lui, à Neuilly-sur-Seine, sa femme Amélie lattendait, épuisée.

« Julien, le collège a appelé… Anton sest encore battu. »

Il soupira. « Je dois signer un contrat demain. Des millions en jeu. »

« Tu nes jamais là, murmura-t-elle. Les enfants grandissent sans toi. »

Il promit de soccuper dAnton, mais la journée fila, puis la soirée. Quand il rentra, les enfants dormaient. Amélie lui tendit un croissant.

« Celui-là est à labricot. Les enfants nont pas aimé le pain aux noix. »

Soudain, il revit la vieille femme. La broche. Et puiscomme un éclairil se souvint.

« Madame Fournier ?! »

Son ancienne institutrice. Celle qui lui avait appris les maths, qui lavait nourri quand sa mère navait rien à lui donner. Elle lui faisait balayer la cour, puis linvitait à partager son déjeuner. Du pain frais, du fromage… un goût denfance perdue.

Le lendemain, il la retrouva dans un modeste studio du 18e arrondissement.

« Bonjour, Madame Fournier. Je suis Julien Lefèvre. Vous… vous souvenez de moi ? »

Elle sourit faiblement. « Je tai reconnu devant la boulangerie. Jai cru que tu avais honte. »

Il secoua la tête, lui tendit des fleursdes lys et des roses.

« Venez vivre avec nous. Nous avons une grande maison. Des enfants qui ont besoin de vous. »

Elle hésita, puis accepta.

Chez les Lefèvre, tout changea. Anton cessa de se battre. Les devoirs furent faits sans cris. Amélie, enceinte, trouva en elle une confidente. Et quand la petite Claire naquit, Madame Fournier prépara une tarte aux pommes« pas aussi bonne quau four à bois, disait-elle, mais presque. »

Julien regarda sa famille, réunie autour de la table. Et il comprit : ce nétait pas lui qui lavait sauvée. Cétait elle qui les avait tous sauvés.

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Pitié, ma chère, ayez compassion de moi… Je n’ai pas mangé de pain depuis trois jours, et il ne me reste plus un sou,» supplia la vieille femme devant la marchande du marché.
Je t’ai mis au monde pour moi