Gardé une rancune secrète

**La rancune cachée**

Après le lycée, Élodie termina ses études dinfirmière et revint dans son petit village natal des Alpes. Elle rêvait depuis longtemps de travailler comme infirmière au dispensaire local, dautant plus quon venait dy installer du nouveau matériel. Et puis, il y avait Madeleine, lancienne infirmière, qui commençait à se faire vieille. Elle avait passé sa vie à soigner les villageois et fut ravie quand Élodie arriva pour la remplacer.

Oh, ma petite Élodie, enfin ! Jai tant dannées derrière moi, je devrais être à la retraite depuis longtemps. Je voulais partir plus tôt, mais ton père, Jean, ma suppliée dattendre que tu obtiennes ton diplôme. Je te transmets tout avec un grand soulagement et la conscience tranquille.

Bien sûr, tatie Mado, je commence dès aujourdhui. Reposez-vous, mais si jai besoin daide, je vous dérangerai. Je manque encore dexpérience.

Mais naturellement, ma chérie, je taiderai comme je peux.

Ainsi commença la vie dÉlodie comme infirmière du village. Les habitants venaient pour des bobos, prendre leur tension, ou simplement vérifier si elle sy connaissait vraiment. Mais après un an, ils lui firent confiance. Elle était attentive, compétente, et aidait tout le monde avec le sourire.

Cest alors que Thibault se mit à passer plus souvent au dispensaire. Un mal de dos, une entorse au genou, une coupure au doigt Toujours une excuse. Lassistante, Anne-Marie, une femme dun certain âge mais encore en activité, remarqua vite le manège.

Ce Thibault vient bien souvent se plaindre, disait-elle en riant. Elle avait vu depuis longtemps comment le jeune homme regardait Élodie et comment celle-ci lui rendait ses regards.

Lamour entre Thibault et Élodie senflamma. Ils ne se cachaient plus, se promenaient main dans la main, sennuyaient lun sans lautre. Bientôt, Thibault demanda Élodie en mariage, et elle accepta avec joie. Ce quelle ne remarqua pas, cétait que Mickaël, le beau tracteuriste du village, ne la quittait pas des yeux. Un jour, il tenta même de la raccompagner, mais elle le repoussa fermement.

Micka, tu nas pas entendu ? Je me marie avec Thibault, la noce est bientôt.

Si, si, tout le village en parle, répondit-il. Mais tu me plais aussi, et je suis plus beau que ton Thibault. En quoi suis-je moins bien ?

Laisse tomber, Micka. Jaime Thibault, et lui aussi maime. Il y a plein dautres filles, trouve-toi quelquun et sois heureux.

Élodie ne sut pas à quel point elle avait blessé lorgueil du beau Mickaël. Trop occupée par ses rêves damour, elle ne vit rien. Le mariage eut lieu, les parents des deux côtés firent les choses en grand, et tout le village festoya.

Un an plus tard, Élodie donna naissance à un petit Léo. Tous en étaient fous : les jeunes parents, les grands-parents, tout le monde. Élodie restait à la maison avec le bébé, tandis quAnne-Marie gérait le dispensaire. Si besoin, elle envoyait les patients à lhôpital ou appelait les urgences, mais parfois, elle téléphonait à Élodie pour un conseil.

Plongée dans la maternité et les tâches ménagères, Élodie ne remarqua pas que son mari séloignait. Quand elle sen rendit compte, il était trop tard. Un soir, Thibault rentra du travail et demanda dun air sombre :

Tu connais Mickaël depuis longtemps ?

Bien sûr, cest un gars du village Il est même venu une fois au dispensaire pour une blessure.

Directement à toi ?

Pas à moi, au dispensaire. Je nétais pas seule, Anne-Marie sen est occupée. Pourquoi cette question ? Tu es jaloux ? dit Élodie en souriant.

Le village dit que Léo nest pas de moi, mais de Mickaël, murmura Thibault en regardant son fils du coin de lœil.

Thibault, tu es tombé sur la tête ? Quel Mickaël ? De quoi tu parles ?

Tout le village en parle. Même ton père est allé voir Mickaël, et il a confirmé quil y avait eu quelque chose entre vous.

QUOI ? sexclama Élodie, abasourdie.

Elle se souvint alors que ses parents ne venaient plus les voir depuis un moment, sans quelle comprenne pourquoi. Elle sortait à peine de la maison.

Les rumeurs sur la « fille légère du mécanicien Jean » avaient été répandues par Mickaël lui-même, sans gêne aucune. Le village entier en était bouleversé.

Notre petite infirmière sest trouvé un amant et a fait un enfant qui nest pas de son mari ! disaient les commères à chaque coin de rue, et les hommes nétaient pas en reste.

Jean, mon fils va quitter ta fille indigne, annonça la belle-mère dÉlodie. Où a-t-on vu ça ? Un enfant qui nest pas de son mari

Arrête de mentir, défendit Jean.

Pourquoi je mentirais ? Va demander toi-même à Mickaël.

La colère monta en Jean. Il narrivait pas à croire que sa fille, si discrète et bien élevée, ait pu faire une telle chose. Il alla trouver Mickaël et lui demanda carrément :

Cest toi qui racontes que mon petit-fils nest pas de Thibault, mais de toi ?

Pourquoi jinventerais ? Cest la vérité. Ta fille se jetait à mon cou, elle fuyait son mari pour moi, elle voulait même le quitter. Mais à quoi bon une fille comme ça ? répondit Mickaël avec insolence.

Jean en resta sidéré. Il voulut aller voir Élodie, mais se ravisa. Pendant plusieurs jours, elle ignora tout des ragots, jusquà ce que Thibault ne rentre du travail, prenne ses affaires et parte chez ses parents.

Mon Dieu, quai-je fait ? Jaime mon mari Mais elle ne put le retenir.

Depuis, Élodie restait chez elle avec Léo, regardant par la fenêtre. Le ciel senflammait au-dessus du village. Son petit garçon dormait paisiblement dans son lit. Il allait bientôt avoir un an, et elle songeait à reprendre le travail.

Eh, mon petit Léo, on na plus personne, murmura-t-elle, les larmes aux yeux.

Elle se sentait seule, trahie, ne sachant comment se défendre. Elle navait pourtant rien fait. Comment prouver à tous, à son mari, à sa famille, quelle navait jamais menti ? Son cœur se serrait de chagrin et de rancœur.

Seule sa meilleure amie, Lucie, venait la voir, lui apportant des courses.

Thibault a eu tort de croire ces rumeurs. Et Mickaël eh bien, Mickaël, je laime depuis toujours, tu le sais, soupira-t-elle. Il prétend que tu te jetais à son cou. Je ny crois pas, mais qui mécoute ?

Lucie, pourquoi ma-t-il fait ça ?

Je crois, Élodie, quil taimait vraiment. Il ta souvent fait des avances, et tu las toujours repoussé. La rancune la poussé à agir ainsi. Maintenant que Thibault ta quittée, il pense que la voie est libre. Ah, si seulement il me regardait comme ça

Mais jai un mari, Lucie. Pourquoi voudrais-je de Mickaël ? Pourtant, depuis que Thibault est parti, il ne ma même pas adressé la parole. Tout le monde ma tourné le dos : ma belle-mère, même mes parents, sans parler de mon mari. Et je te jure, il ny a jamais rien eu entre Mickaël et moi.

Je te crois, Élodie. Mais il faut que tu lui parles Jai essayé, mais il ma envoyée promener.

Élodie savait quelle devait affronter Mickaël, mais comment ? Que diraient les gens ? Et sil inventait encore quelque chose ?

Lopportunité se présenta deux jours plus tard. Lucie arriva en courant.

Prépare-toi, vite ! Il faut aider quelquun, il va mal. Jai appelé les urgences, mais avec la pluie, les routes sont impraticables

Mais qui ? Je ne peux pas laisser Léo seul.

Demandons à la voisine, mémé Marguerite. Je men occupe, toi prends les médicaments nécessaires.

Lucie revint rapidement avec la vieille dame.

Élodie, tu es la seule qui puisse aider, insista-t-elle. Tatie Anne-Marie est partie en ville hier, elle ne reviendra que ce soir.

Elles arrivèrent devant la maison de Mickaël.

Je ny vais pas, sarrêta Élodie.

Sil te plaît, aide-le, sanglota Lucie. Sil meurt, je ne men remettrai jamais

Je laiderai sil avoue devant tout le monde quil a menti sur moi.

Oui, oui, on lui demandera.

Élodie soigna Mickaël, qui souffrait dune intoxication alcoolique. Elle lui fit un lavage destomac et posa une perfusion. Les urgences ne vinrent jamais, la route étant trop mauvaise. Quand Mickaël alla mieux, elle les appela pour les prévenir.

Deux jours plus tard, Mickaël était requinqué. Lucie le supplia de tout avouer.

Je ne voulais pas que ça aille si loin, avoua-t-il, honteux. Je naime pas quon me rejette.

Eh bien, Mickaël, jai cru en toi jusquau bout. Va dire la vérité, tu as brisé la vie dÉlodie.

Et, désespérée, elle le quitta.

Peu après, une nouvelle se répandit : Mickaël partait définitivement pour la ville. Il rassembla les villageois près de la mairie, là où passait le bus.

Pardonnez-moi, bonnes gens. Jaimais Élodie, mais elle ma toujours repoussé. Par rage, par dépit, jai inventé des mensonges sur elle Cest moi qui ai répandu ces rumeurs. Et pourtant, elle ma sauvé la vie. Je croyais quune fois Thibault parti, je pourrais lépouser et élever son petit Léo. Jétais fou. Il ny a jamais rien eu entre nous.

Cest alors quarriva Jean, le père dÉlodie.

Toi aussi, Jean, pardonne-moi. Jai sali ta fille. Je ne peux plus regarder personne en face, cest pourquoi je quitte le village pour toujours.

Seule Lucie pleurait, mais il ne la regarda même pas.

Quel salaud, quel monstre, sindigna surtout la belle-mère dÉlodie.

Les rumeurs séteignirent, tout fut oublié. Les parents dÉlodie vinrent sexcuser, la belle-mère aussi, presque à genoux. Et puis Thibault rentra du travail.

Longtemps, Élodie garda limpression davoir été trahie. Elle se méfiait encore de son mari. Mais elle reprit finalement le travail, retrouva son sourire, soigna les villageois, qui laimaient et la respectaient.

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