Irina et Grégoire ont divorcé lorsque leur fille Anya a eu deux ans. Grégoire ne supportait tout simplement plus la vie avec sa femme.

**Journal de Grégoire 12 novembre**

Élodie et moi avons divorcé lorsque notre petite fille, Chloé, a eu deux ans. Je ne supportais plus la vie avec elle. Toujours mécontente, toujours en colère. Un jour, elle se plaignait que je ne gagnais pas assez, le lendemain que je ne passais pas assez de temps à la maison et que je ne laidais pas avec notre enfant.

Jai tout essayé pour lui faire plaisir. En vain. Beaucoup disaient quÉlodie souffrait de dépression post-partum. Quelle aurait dû consulter un médecin, prendre des médicaments.

Mais jen doutais. Elle navait jamais été un ange, même avant la naissance de Chloé. Depuis, cétait comme si elle avait perdu la raison.

Je ne me souvenais plus de la dernière fois où je lavais vue sourire. Même avec notre fille, son visage trahissait une irritation constante, au point que javais envie de prendre Chloé dans mes bras et de la cacher quelque part.

Pourtant, jai osé lui suggérer de voir un psychologue. Sa réaction fut un torrent de hargne.

Tu me prends pour une folle ?! Une hystérique, cest ça ?! Avec toi, qui ne serais-je pas devenue comme ça ?!

Après ça, je nen pouvais plus. Jai annoncé le divorce. Par pure méchanceté, Élodie a emmené Chloé et a déménagé dans une autre ville. Sans demander de pension, sans laisser dadresse.

Jai cherché ma fille un temps, puis jai abandonné. Je laimais, jaurais voulu rester son père. Mais lidée de devoir affronter Élodie, dendurer ses reproches, ma fait capituler.

Pendant ce temps, Élodie baignait dans sa rancœur. Elle maccusait de tout, persuadée que je lavais quittée pour une autre. Jamais elle naurait admis que le problème venait delle.

Peu à peu, cette amertume sest reportée sur Chloé.

Elle ne la jamais frappée, jamais maltraitée physiquement. Mais la petite a grandi entourée dune négativité que peu connaissent.

Jamais de fête chez elles. Chloé a découvert lexistence des anniversaires à la maternelle.

Maman, tu sais quoi ? Aujourdhui, cétait lanniversaire de Mathis ! Tout le monde la félicité, et il a eu un cadeau ! Moi aussi, jaurai ça ?

Non. Cest idiot. Tu nas rien fait pour mériter ça. Cest moi qui tai mise au monde, cest à moi quon devrait fêter ça ! Et ne me pose plus ce genre de questions. Cest du gaspillage.

Ils ne célébraient pas non plus le Nouvel An. Heureusement, le Père Noël passait à lécole, offrant à Chloé son seul moment de joie. Le 31 décembre, elles mangeaient un repas ordinaire avant daller se coucher, comme tous les soirs.

Élodie détestait les rires. Sans doute parce quelle avait oublié comment rire. Quand Chloé regardait un dessin animé et éclatait de rire, sa mère la rabrouait.

Pourquoi tu ricanes comme ça ? Il ny a rien de drôle !

Et Chloé a appris que sourire, cétait mal. Rire, cétait mal. Il fallait être sérieuse et triste, comme maman.

Élodie avait-elle des problèmes mentaux ? Difficile à dire. Elle refusait catégoriquement de consulter, trouvant ça stupide. Pour elle, la vie nétait pas faite pour samuser. Ceux qui semblaient heureux nétaient que des imbéciles superficiels.

Chloé a goûté son premier bonbon à lécole, lors dun anniversaire. Cétait délicieux !

La nuit, elle rêvait quun jour, elle sachèterait un sac entier de bonbons. Cette pensée la réchauffait, et un sourire interdit se dessinait sur ses lèvres.

On ignore ce quelle serait devenue si elle était restée avec sa mère. Chaque année, Élodie devenait plus aigrie. Même les voisins lévitaient. Les vieilles dames se signaient en la voyant, murmurant que le diable habitait en elle.

Toute cette haine a fini par la ronger. On lui a diagnostiqué un cancer. Méfiante envers les médecins, elle na accepté lhôpital quen ambulance, quand il était trop tard.

Une voisine a recueilli Chloé. Avant de partir, Élodie lui a donné mon nom et la ville où je vivais. Preuve quelle tenait tout de même à sa fille.

Elle nest jamais revenue. On na pas tout de suite dit à Chloé que sa mère était morte. La petite était déjà terrifiée, trop effrayée pour poser des questions.

Les services sociaux mont retrouvé grâce aux informations de la voisine.

Jétais remarié depuis six mois. Quand ils mont appelé, jai dit à ma femme que je ne pouvais pas abandonner ma fille. Et que je lavais toujours cherchée.

Cécile, ma femme, était une femme bonne. Elle savait combien javais souffert de cette séparation. Elle ma encouragé à partir chercher Chloé.

Bien sûr, la petite ne se souvenait pas de moi. Elle avait peur, persuadée que la vie avec moi serait pire quavec sa mère.

Quand je suis arrivé, Chloé était toujours chez la voisine. Les services sociaux avaient préféré éviter un placement en foyer pour ne pas la traumatiser davantage.

Sur le chemin, jai acheté une peluche géante, un chat, et des bonbons.

En entrant, Chloé sest recroquevillée. Mais son regard sest illuminé en apercevant le jouet. Puis les friandises.

Ça a suffi à la conquérir. Pour elle, ceux qui offraient des bonbons ne pouvaient pas être méchants. Le Père Noël en distribuait à lécole. Personne dautre ne lui en avait jamais donné.

Pendant que Chloé faisait connaissance avec sa nouvelle peluche, la voisine ma parlé dÉlodie.

On ne doit pas parler mal des morts, mais elle était particulière. Ne saluait personne, ne souriait jamais. Insultait ceux qui lui déplaisaient. Et cette pauvre petite était si craintive, si effacée.

Mon cœur sest serré en imaginant ce quavait enduré ma fille. Je me suis haï de ne pas être venu la sauver plus tôt. Jaurais dû me battre, les retrouver. Mais la peur daffronter Élodie ma paralysé. À cause de ma lâcheté, Chloé a souffert.

Une fois les formalités réglées et lenterrement passé, Chloé est partie avec moi vers une nouvelle vie.

Ton anniversaire approche, lui ai-je dit avec un sourire pour la mettre à laise. Quest-ce que tu aimerais comme cadeau ?

Elle ma regardé, stupéfaite. Je nai pas compris pourquoi.

Je ne sais pas. Maman ne ma jamais fait de cadeaux. On ne fêtait pas les anniversaires.

Comment ça ? ai-je demandé, choqué.

Elle disait que cétait bête. Que je ne méritais pas quon me félicite.

Ce nest pas vrai Tout le monde a le droit dêtre heureux le jour de son anniversaire, ai-je répondu, la gorge nouée.

Alors est-ce que je pourrais avoir un sac de bonbons ? a-t-elle murmuré. Jadore les bonbons.

Jai hoché la tête, incapable de parler.

Plus tard, quand Cécile a rencontré Chloé, nous lavons couchée. Dans la pénombre de sa nouvelle chambre, Chloé serrait fort son chat en peluche, les yeux grands ouverts. Cécile lui a chanté une berceuse douce, puis jai éteint la lumière en murmurant que tout irait bien désormais. Avant de fermer la porte, je lai entendue souffler dans le noir, presque pour elle-même : « Je crois que je suis heureuse. » Mon cœur a fléchi. Dehors, la lune brillait, calme et claire, comme un promesse tenue.

Оцените статью
Irina et Grégoire ont divorcé lorsque leur fille Anya a eu deux ans. Grégoire ne supportait tout simplement plus la vie avec sa femme.
J’ai invité toute la famille à dîner et j’ai servi à chacun une belle assiette vide ornée d’un motif. Seule ma petite-fille a reçu un plat bien rempli.