Un bruit retentit dans la pièce voisine. Renversant une casserole, Augustine se précipita. Un garçonnet regardait, effaré, le vase brisé à ses pieds.
«Quas-tu fait ?» hurla-t-elle en lui donnant une claque avec un torchon mouillé.
«Mamie, je vais nettoyer !» se précipita-t-il vers les éclats.
«Je vais tapprendre à nettoyer !» Le torchon sabattit à nouveau sur son dos. «Assieds-toi sur le lit et ne bouge plus !»
Elle ramassa les morceaux, retourna à la cuisine. Une flaque deau sur le sol, des pommes de terre éparpilléesheureusement crues. Elle les lava, les remit au four, puis sassit, les larmes aux yeux, maudissant sa fille en silence.
«Pourquoi, pourquoi les autres ont-elles des familles normales ? Et moi ? Pas de mari, et ma fille non plus. Si seulement ça pouvait rester ainsi. Mais non, la voilà partie à la gare, ramenant un nouveau mari, un gardien de prison, sur ma tête. Un homme bien, paraît-il. Trois ans de correspondance. De lamour, sans même lavoir vu. Et maintenant, il va vivre ici. Comme si nourrir ma fille et son fils ne suffisait pas, il faudra le nourrir aussi. Mais je vais le faire fuir, doux comme un agneau.»
«Mamie, je peux sortir ?»
«Va, va ! Mais habille-toi bien. Et ne va pas près de la rivière, la débâcle peut commencer dun jour à lautre.»
«Daccord, Mamie !»
Un bruit de voiture. Augustine regarda par la fenêtre. Lhomme avait le visage marqué de cicatrices. «Quelle idiote elle fait ! Un gardien de prison, et en plus, une vraie terreur.»
La porte souvrit. Ils entrèrent.
Fabienne avait amené son prétendant.
«Justement, jallais le voir,» ricana le gendarme. «Je vérifierai son certificat de libération. Et je verrai quel homme est ton gendre.»
«Va ! Ils sont justement à table. Mais il nest pas mon gendre, et ne le sera jamais.»
Augustine partit chercher son petit-fils. Inutile de le chercher longtempsle voilà qui courait avec les gamins du village. Mais elle navait pas envie de rentrer. Elle bavarda un moment avec les voisines. À contrecoeur, il fallait bien retourner à la maison.
Elle contempla les bûches énormes. Comment les fendre ? Elle entra dans le hangar, prit une hache, et commença à tailler des éclats du plus petit rondin. Elle leva à nouveau le bras, mais une main forte arrêta sa course.
«Tante Augustine, laissez-moi essayer !»
«Essaie !» dit-elle en le toisant.
Lhomme passa un doigt sur le tranchant et secoua la tête.
«Vous avez une pierre à aiguiser ?»
«Va dans lappentis. Cétait latelier de mon mari.»
Quentin entra et ses yeux sécarquillèrent. Que doutils ! Il alluma la meule. Elle fonctionnait. Il aiguisa la hache, puis prit le merlin posé à côté.
Dehors, il fendit les bûches en deux, puis les réduisit en bûchettes. Avant le soir, tout était rangé dans le hangar.
Sa belle-mère sortit, hocha la tête. Un sourire fugace traversa son visage.
«Tante Augustine,» dit-il, «il y a des troncs près de la clôture.»
«Non ! Ils ne serviront plus.»
«Venez chez moi, jen ai une pareille. Peut-être quavec deux, on en fera une.»
Ils allèrent voir le vieux Marcel. Sa tronçonneuse était hors dusage, mais le pignon et la chaîne étaient encore bons.
«Prenez tout !» sourit-il. «Si elle marche, vous me scierez mes troncs.»
Un voisin sapprocha.
«Écoute ! Fends-les pour moi et range-les dans le hangar.» Il lui tendit deux billets de cinquante euros.
Quentin fit le travail. De retour, il posa largent sur la table.
«Tante Augustine, prenez ça.»
Elle hocha la tête, un sourire satisfait aux lèvres. Dans le village, on payait rarement en argent.
Le lendemain, Quentin sattaqua au motoculteur. Le temps de labourer les jardins. Il triait les pièces dans la cour quand un gamin arriva en courant, les yeux écarquillés.
«On glissait sur les glaçons, et voilà que Théo sest fait emporter ! Il ne peut pas sauter !»
Augustine et Fabienne sortirent en trombe, coururent vers la rivière.
Le glaçon, avec lenfant debout, dérivait lentement vers le milieu du courant. En aval, dénormes plaques de glace approchaientun embâcle avait cédé plus haut.
Fabienne hurla.
Mais Quentin plongea déjà dans leau glacée. Il nagea jusquau glaçon, sy hissa. Une énorme plaque fonçait sur eux.
«Écoute, Théo,» dit Quentin en se penchant. «Tu es un vrai homme. Quand la glace arrivera, il faudra sauter dessus, sinon elle nous écrasera. On naura quune seconde. Prêt ? Donne-moi ta main ! Saute !»
Il projeta lenfant sur la glace, sauta à son tour, se blessant la jambe. Le pantalon rougit. Théo regarda, terrifié, ses mains écorchées.
Le courant les emporta vers linconnu.
Du rivage, on les vit séloigner.
«Ils sont perdus !» cria quelquun.
«Pas forcément,» dit le gendarme. «La rivière tourne plus loin. Quentin a lair malin.»
Yves courut vers sa 4L garée près de la berge.
Quentin serra lenfant pour le réchauffer.
«On a passé la première épreuve. La suivante sera pire. Le glaçon va heurter la rive là-bas. Recule avec moi.»
Le choc fut violent. Ils atterrirent sur les galets.
«En vie !» Quentin releva Théo.
«Ça fait mal»
«Rien de grave,» sourit lhomme. «Tu guériras avant ton mariage.»
«Mais ça saigne !»
«Tiens bon. Il faut rejoindre la route.»
Quelques minutes plus tard, la 4L apparut.
«En vie, à ce que je vois,» dit Yves.
«Pas très en forme. Montez ! Direction lhôpital.»
À la maison, Fabienne pleurait. Augustine ne quittait pas la fenêtre. Le téléphone sonna.
«Cest le gendarme !» cria Fabienne.
«Théo est là, tout bandé,» dit Yves. «Je lui passe lappareil.»
«Maman ?»
«Mon chéri, ça va ?»
«Oui, maman ! Je suis un homme, non ?»
«Tout va bien,» reprit Yves.
Augustine arracha le téléphone.
«Yves, et Quentin ?»
«Ils le recousent. Le voilà.»
«Tante Augustine, tout va bien,» dit Quentin.
«Je vous ramène,» ajouta Yves.
Augustine soupira.
«Debout ! Ils vont rentrer affamés. Elle mit la soupe à réchauffer, dressa la table, ajouta un couvert. Puis, debout devant la fenêtre, elle attendit, le cœur plus léger, les yeux fixés sur le chemin qui menait à la maison.







