**Journal de Julien 12 octobre**
Je regardais Lucie avec une jalousie sourde. On allait la sortir de lorphelée. Ses nouveaux parents étaient en train de signer les papiers, et bientôt, elle aurait une famille. Elle me racontait leurs promenades : le zoo où je nétais jamais allé, le théâtre de marionnettes où elle avait vu une vraie sorcière, et la confiture dabricots avec les noyaux.
Javais cinq ans. Depuis toujours, je vivais à lorphelée. Des enfants arrivaient, puis disparaissaient. Quand Théo était parti, javais demandé à madame Lefèvre :
« Où est Théo ? »
« Il est rentré chez lui, dans sa famille », avait-elle répondu.
« Cest quoi, une famille ? »
« Un endroit où lon tattend toujours, où lon taime », mavait-elle dit.
« Et ma famille, elle est où ? »
Elle navait rien dit, juste soupiré en me regardant avec tristesse.
Depuis ce jour, je navais plus jamais posé de questions sur la famille. Javais compris que cétait quelque chose dimportant, de précieux.
Quand Lucie était revenue après deux jours dabsence, habillée dune jolie robe, les cheveux coiffés et une nouvelle poupée à la main, javais commencé à pleurer. Personne ne mavait jamais choisi. Je me disais que personne ne me voulait.
Cest alors que madame Lefèvre était entrée, un pull et un pantalon à la main.
« Julien, habille-toi, on va avoir de la visite. »
« Pour moi ? Qui vient ? »
« Ils veulent te rencontrer. »
Je me suis habillé, assis sur le banc, jattendais. Madame Lefèvre ma pris par la main et ma conduit dans la salle des visiteurs. Un homme et une femme étaient là. Lhomme était grand, avec une barbe et des moustaches. La femme était petite, mince, et si belle que je lai trouvée pareille à une rose. Elle sentait les fleurs. Elle avait de grands yeux et des cils épais.
« Bonjour, je mappelle Amélie, et toi ? »
« Julien. Et vous, vous êtes qui ? »
« On voudrait être tes amis. Et puis, on a besoin de ton aide », a-t-elle ajouté.
« Quelle aide ? » ai-je demandé en regardant lhomme.
Il sest approché, sest accroupi :
« Salut, je mappelle Hugo. On nous a dit que tu dessinais très bien. Tu pourrais nous faire un robot ? »
« Oui, bien sûr. Quel genre de robot vous voulez ? Jen dessine plein. »
Hugo a pris un sac, en a sorti un carnet de dessin, des crayons, et un énorme robot. Il était neuf, brillant, les détails scintillaient sous le soleil de la fenêtre. Jen ai eu le souffle coupé.
« Wahou ! », ai-je dit. « Cest Optimus Prime ! Vous saviez que cest le chef des Transformers ? »
« Il te plaît ? » a demandé Hugo.
« Beaucoup. »
« Tu peux le garder, dessiner pour nous après ? En attendant, on aimerait discuter, comme des amis. »
Jai passé une heure entière avec eux. Ils mont demandé ce que jaimais, ce que je détestais. Je leur ai parlé de mes jouets, de mon lit, de mes chaussures qui me glaçaient les pieds lhiver.
Amélie ne lâchait pas ma main. Hugo me caressait la tête.
Madame Lefèvre est entrée.
« Julien, cest lheure. »
Hugo ma serré la main. « On revient dans une semaine. Tu auras fini le dessin ? »
« Oui, mais vous reviendrez vraiment ? »
« Bien sûr », a-t-elle dit en membrassant si fort que jai cru craquer. Ses yeux étaient humides.
« Pourquoi tu pleures ? »
« Ce nest rien, mon chéri, une poussière dans lœil. »
Madame Lefèvre ma mené au réfectoire. Jai mangé vite et je suis rentré dans ma chambre pour observer le robot. Ses bras et ses jambes bougeaient. Sa tête tournait.
Jai sorti le carnet et jai commencé à dessiner. Les grands sont entrés en coup de vent.
« Ouah ! Donne-moi ça ! »
Mathieu a attrapé le robot, la lancé en lair.
« Rends-le ! Il nest pas à moi ! »
« Bien sûr que si, ici tout est à tout le monde. »
Je me suis jeté sur lui. On sest battus. Un craquement. Il ne me restait plus quune jambe du robot dans la main.
Jai pleuré. Mathieu a balancé le reste du robot sur mon visage. Du sang a coulé de mon nez. Madame Lefèvre ma emmené aux toilettes, ma lavé.
« Julien, tu nas pas honte ? Les jouets sont à tout le monde. Maintenant, il est cassé. »
« Il nétait pas à moi ! Ils me lavaient donné pour le dessiner. »
Elle a souri. « Dessine, alors. »
Comment faire ? Il était en morceaux. Jai posé le robot contre le mur, ajusté la jambe, maintenu avec une boîte. Jai dessiné.
Quand on nous a appelés pour dormir, javais fini un dessin. Le lendemain, deux autres. Puis dautres encore. Le carnet était plein.
« Madame Lefèvre, la semaine est passée ? Quand est-ce quils reviennent ? »
Elle a eu un regard triste. « Julien, la semaine est passée. Je ne pense pas quils reviennent. »
Jai pleuré. Cétait de ma faute. Javais cassé le robot. Jai à peine dormi.
Le lendemain, madame Lefèvre est entrée en souriant.
« Habille-toi, on tattend. »
« Qui ? »
« Viens voir. »
Jai ouvert la porte. Hugo et Amélie étaient là.
« Salut, on vient te chercher. »
« Où ça ? »
« Tu parlais du zoo. Tu veux y aller ? »
« Oui, mais » Jai pleuré.
Ils se sont approchés, inquiét







