**Journal Intime 15 Mars**
Un tintement a retenti dans la pièce dà côté. Renversant sa casserole, Augustine sy précipita. Le garçon fixait, éperdu, le vase brisé.
Quest-ce que tu as fait ? hurla-t-elle en lui assénant une serviette mouillée.
Mémé, je vais ramasser ! se précipita-t-il vers les éclats.
Je vais tapprendre, moi ! La serviette sabattit de nouveau sur son dos. Assieds-toi sur le lit et ne bouge plus !
Elle nettoya, retourna à la cuisine. Une flaque par terre, des pommes de terre éparpillées heureusement crues. Elle les ramassa, les lava, les remit au four. Puis sassit en pleurant, maudissant sa fille intérieurement :
Pourquoi, pourquoi les autres ont des familles normales ? Et moi ? Pas de mari, et ma fille non plus. Pourvu que ça sarrête là. Mais non, elle est partie à la gare de Lyon ramener un nouveau mari, un gardien de prison. Tu parles dun parti ! Trois ans de lettres damour sans même lavoir vu. Et maintenant, il va vivre ici. Comme si nourrir ma fille et son gamin ne suffisait pas Je vais le faire déguerpir, celui-là.
Mémé, je peux aller dehors ?
Va, mais habille-toi bien. Et ne tapproche pas de la rivière, la débâcle peut commencer dun jour à lautre.
Daccord, mémé !
Ils devaient arriver. Augustine regarda par la fenêtre. De là, on distinguait un visage criblé de cicatrices. Quest-ce quelle sest encore trouvé, cette idiote ? Un gardien de prison en plus dêtre hideux
La porte souvrit. Ils entrèrent.
Fabienne avait ramené son prétendant.
Ah, parfait, justement pour lui, ricana le gendarme. Je vérifierai son certificat de libération. Et je verrai quel homme est ton gendre.
Va ! Ils sont en train de déjeuner. Mais il nest pas mon gendre, et ne le sera jamais.
Augustine partit chercher son petit-fils. Pas besoin de le chercher longtemps : il courait avec les gamins du village. Elle navait pas envie de rentrer, alors elle bavarda avec les voisines. À contrecoeur, elle finit par regagner la maison.
Elle contempla les bûches énormes. Comment les fendre ? Elle attrapa la hache dans le hangar et commença à tailler le plus petit rondin. Au moment de frapper, une main vigoureuse intercepta loutil.
Tante Augustine, laissez-moi essayer !
Essaie ! fit-elle en le toisant.
Il passa un doigt sur le tranchant, hocha la tête :
Vous avez une pierre à aiguiser ?
Va dans latelier, cest là que mon mari travaillait.
Hariton entra et ses yeux sécartillèrent. Des outils, des pièces Il alluma la meule. Elle fonctionnait ! Il aiguisa la hache, prit le merlin posé à côté.
Dehors, il fendit les bûches en deux, puis les réduisit en bûchettes. À la nuit tombée, tout était rangé dans le hangar.
Sa belle-mère sortit, hocha la tête. Une esquisse de sourire effleura ses lèvres.
Tante Augustine, murmura-t-il, il y a des troncs près de la clôture.
Inutiles. Ils ne marcheront plus.
Venez chez moi, jen ai une pareille. Peut-être quavec deux, on en fera une.
Ils allèrent voir le vieux Anatole. Sa trôneuse était hors dusage, mais le pignon et la chaîne tenaient bon.
Prenez tout ! sourit-il. Si ça marche, vous me scierez mes troncs.
Un voisin intervint :
Écoute ! Fends-moi ça et range-le dans le hangar ! Il lui tendit deux billets de cinquante euros.
Hariton sexécuta, retourna à la maison et posa largent sur la table.
Tante Augustine, prenez ça.
Elle secoua la tête, mais un sourire satisfait perça. Ici, on troque plus quon ne paie.
Le lendemain, Hariton sattaqua au motoculteur. Les jardins avaient besoin dêtre labourés. Il triait des pièces dans la cour quand un gamin affolé déboula en criant :
On glissait sur les glaçons, et Yann sest fait emporter ! Il ne peut pas sauter !
Augustine et Fabienne jaillirent, courant vers la rivière.
Le glaçon, avec lenfant dessus, dégringolait vers le milieu du courant. En aval, dénormes plaques de glace samoncelaient : un embâcle avait cédé quelque part.
Fabienne hurla.
Mais Hariton plongea déjà dans leau glacée. Il atteignit le glaçon, sy hissa. Une masse de glace fonçait sur eux.
Écoute, Yann, chuchota-t-il. Tu es un vrai petit homme.
Quand cette glace arrivera, on saute dessus. Sinon, elle nous écrasera.
On naura quune seconde. Prêt ? Donne-moi la main ! Saute !
Il projeta lenfant sur la plaque, sauta à son tour et se blessa la jambe. Le pantalon rougit. Le gamin contemplait ses mains écorchées, tremblant.
Le courant les emporta.
Sur la berge, les villageois regardaient, horrifiés.
Ils sont perdus !
Le gendarme réfléchit à voix haute :
Peut-être pas La rivière tourne brusquement là-bas. Et Hariton nest pas stupide.
Il courut vers sa Renault Kangoo garée près de leau.
Hariton serrait lenfant, tentant de le réchauffer :
On a passé la première épreuve. La prochaine, cest ce rocher. Le glaçon va sy fracasser. Éloignons-nous du bord.
Le choc fut violent. Ils glissèrent sur la glace et atterrirent sur les galets.
En vie ! Hariton releva le garçon.
Jai mal au bras et à la jambe.
Des broutilles ! sourit lhomme. Ça guérira.
Mais ça saigne !
Tais-toi. Tu es un homme, non ?
Ils rejoignirent la route. La Kangoo apparut, le gendarme en sortit :
En vie, à ce que je vois.
Vous avez mauvaise mine. Montez ! On va à lhôpital.
Fabienne sanglotait sur son lit. Augustine ne quittait pas la fenêtre. Le téléphone vibra. Fabienne le saisit : « Gendarmerie » saffichait.
Quoi ? Quest-ce quils ont ? cria-t-elle.
Yann est là, bandé comme une momie. Je lui passe lappareil.
Maman
Mon chéri, tu vas bien ?
Oui, maman ! Je suis un homme, non ?
Le gendarme reprit :
Vous voyez, Fabienne, tout va bien.
Augustine lui arracha le téléphone :
Julien, et mon gendre ?
On le recoud. Attendez, le voilà.
Hariton ?
Tout va bien.
Le gendarme ajouta :
Tante Augustine, je vous ramène les hommes.
Elle soupira, soulagée, et fit signe à sa fille :
Arrête de geindre. La porte de la maison souvrit en grinçant sous la brise du soir. Hariton entra, appuyé sur une canne, suivi de Yann qui marchait fièrement, le bras en écharpe. Augustine posa deux bols de soupe fumante sur la table, sans un mot. Dehors, la neige recommençait à tomber, douce et silencieuse. Fabienne essuya ses larmes, puis sourit enfin.







