**La rancune cachée**
Après ses études, Élodie revint dans son village natal, diplômée d’une école d’infirmière. Elle avait toujours rêvé dexercer au dispensaire local, dautant plus que celui-ci venait dêtre rénové et équipé de matériel moderne. Et puis, il y avait Marie-Claude, lancienne infirmière, qui vieillissait. Elle avait passé sa vie à soigner les villageois et fut ravie de passer le relais à Élodie.
« Enfin, ma petite, jai tant attendu. Je suis à la retraite depuis des années, mais ton père, Jean, ma demandé de tenir jusquà ce que tu obtiennes ton diplôme. Je te confie tout avec soulagement et la conscience tranquille.
Oui, tante Marie, je commence dès aujourdhui. Reposez-vous, mais si jai besoin de conseils, je viendrai vous voir, je manque encore dexpérience.
Bien sûr, ma chérie, je taiderai autant que possible. »
Ainsi commencèrent les journées dÉlodie. Les villageois venaient pour des bobos, vérifier leur tension ou simplement tester ses compétences. Mais après un an, ils lui firent confiance. Consciencieuse et attentive, elle gagna leur respect.
Puis, Antoine se mit à fréquenter souvent le dispensaire, se plaignant tantôt du dos, tantôt dun genou, ou dune coupure au doigt. À ses côtés, il y avait toujours Jeanne, laide-soignante, âgée mais toujours en poste.
« Tiens, Antoine revient souvent avec des maux étranges, remarqua Jeanne en riant. Elle avait bien vu comment le jeune homme regardait Élodie, et bientôt, le regard dÉlodie en retour.
Lamour entre eux sembrasa. Ils se promenaient main dans la main, ne se cachaient plus. Antoine demanda Élodie en mariage, et elle accepta avec joie. Elle ne remarqua pas que Mathieu, le beau tractoriste, ne la quittait pas des yeux. Un jour, il tenta de la raccompagner, mais elle le repoussa fermement.
« Mathieu, tu sais bien que je vais me marier avec Antoine.
Bien sûr que je le sais, tout le village en parle, répondit-il. Mais moi aussi, tu me plais, et je suis plus beau que ton Antoine. Pourquoi pas moi ?
Laisse tomber, Mathieu, jaime Antoine, et lui aussi maime. Il y a dautres filles, trouve-toi quelquun et sois heureux. »
Elle ignora à quel point elle avait blessé Mathieu. Trop occupée par son amour pour Antoine, elle ne vit pas sa rancune grandir. Le mariage eut lieu, célébré par tout le village.
Un an plus tard, Élodie donna naissance à un petit Louis. Tous ladoraient : ses parents, grands-parents. Élodie restait à la maison, confiant le dispensaire à Jeanne, qui gérait seule, appelant les urgences si nécessaire.
Plongée dans la maternité, Élodie ne vit pas son mari séloigner. Quand elle comprit, il était trop tard. Un soir, Antoine rentra, sombre :
« Tu connais Mathieu depuis longtemps ?
Bien sûr, cest un villageois Il est même venu au dispensaire une fois pour une blessure.
Cest toi qui las soigné ?
Non, cétait Jeanne. Pourquoi cette question ? Tu es jaloux ? sourit-elle.
Le village dit que Louis nest pas de moi, mais de Mathieu, murmura Antoine en regardant son fils.
Antoine, tu as perdu la tête ? Quel Mathieu ? De quoi tu parles ?
Tout le village en parle. Même ton père est allé voir Mathieu, et il a confirmé quil y avait eu quelque chose entre vous.
QUOI ? »
Élodie, abasourdie, réalisa que ses parents ne venaient plus les voir. Elle navait pas remarqué leur colère, trop occupée.
Les rumeurs sur la « fille débauchée » se répandirent, alimentées par Mathieu. Le village entier jasa. Même ses beaux-parents la rejetèrent.
Seule sa meilleure amie, Sophie, lui rendait visite, lui apportant des provisions.
« Antoine a eu tort de croire ces mensonges. Et Mathieu ah, Mathieu, je laime depuis toujours, tu le sais. Il dit que tu tes jetée à son cou. Moi, je ne le crois pas, mais qui mécoute ?
Pourquoi il fait ça, Sophie ?
Parce quil taime, Élodie. Il ta souvent courtisée, et tu las toujours repoussé. Alors il sest vengé. Maintenant quAntoine ta quittée, il pense que la voie est libre. »
Élodie comprit quelle devait affronter Mathieu. Loccasion se présenta quand Sophie accourut, paniquée :
« Viens vite ! Quelquun a besoin daide, jai appelé les secours, mais ils ne viendront peut-être pas Les routes sont inondées.
Mais qui ? Je ne peux pas laisser Louis !
Demandons à la voisine, Marie, de le garder. Dépêche-toi ! »
Elles arrivèrent chez Mathieu. Élodie hésita, mais Sophie pleura :
« Sil te plaît, aide-le Je ne survivrai pas sil meurt.
Je laiderai sil avoue ses mensonges.
Oui, oui, on le forcera. »
Mathieu avait bu trop, empoisonné. Elle le soigna, lui fit une perfusion. Les secours ne vinrent jamais.
Deux jours plus tard, rétabli, Mathieu avoua tout à Sophie :
« Je ne voulais pas que ça aille si loin. Je ne supportais pas quelle me rejette.
Va le dire au village, Mathieu. Tu as brisé sa vie. »
Et il le fit. Debout devant la mairie, sac à dos prêt pour partir, il cria :
« Pardonnez-moi, bonnes gens ! Jai menti. Élodie ma toujours repoussé. Jai inventé ces histoires par colère. Elle ma sauvé la vie, et moi, je lai salie. Je pensais quAntoine partirait, et que je pourrais lépouser Jai perdu la raison. »
Son père, Jean, arriva alors.
« Pardonne-moi, Jean, jai déshonoré ta fille. Je ne peux plus rester ici.
Salaud ! cria la belle-mère dÉlodie.
Les rumeurs séteignirent. Ses parents revinrent, demandèrent pardon. Antoine aussi revint.
Pendant des mois, Élodie garda cette blessure. Elle doutait encore de son mari. Mais elle reprit le travail, retrouva le sourire. Le village laimait et la respectait.
**La leçon** : La calomnie est une flèche empoisonnée. Une fois lancée, elle laisse des traces, même si la vérité triomphe. Le vrai pardon exige du temps, et la confiance, une fois brisée, est lente à renaître.







