Elle s’en sortira

**Elle sen sortira**

Alix a grandi dans un orphelinat, entourée dautres enfants comme elle et de surveillants. La vie nétait pas tendre avec elle, mais elle a appris à se défendre et à protéger les plus petits. Elle avait un sens aigu de la justice et ne supportait pas quon malmène les plus faibles. Parfois, elle en prenait aussi pour son grade, mais elle ne pleurait paselle savait quelle souffrait pour ce qui était juste.

À la base, elle sappelait Aliénor, mais à lorphelinat, on lavait raccourci en Alix. À peine eut-elle dix-huit ans quon la mit à la porte, livrée à elle-même dans la vraie vie. Heureusement, elle avait déjà une formation de cuisinière et travaillait depuis quelques mois comme commis dans un petit café. On lui avait donné une chambre en cité U, mais cétait à faire peur.

À cette époque, elle fréquentait déjà Théo, de trois ans son aîné, qui travaillait dans le même café quelle comme livreur pour un fourgon Renault. Très vite, ils emménagèrent ensemble dans son studio, un héritage de sa grand-mère.

« Aliénor, viens chez moi, cette chambre de cité U est sinistre, on ne peut même pas fermer la porte à clé correctement », lui avait-il proposé. Elle avait accepté sans hésiter.

Théo lui plaisait parce quil était plus mûr et sérieux. Un jour, ils parlèrent denfants, et il lâcha :

« Je ne supporte pas les mioches, cest rien que du bruit et des emmerdes. »

« Théo », murmura Aliénor, surprise, « mais si cétait le tien, ton propre enfant, comment peux-tu dire ça ? »

« Bon, laisse tomber, jai dit ce que jai dit, point final », rétorqua-t-il en secouant la main.

Ces mots lavaient blessée, mais elle se dit :

« De toute façon, si on se marie, les enfants finiront par arriver, et peut-être quil changera davis. »

Aliénor travaillait dur au café et pouvait même remplacer la chef, Valérie, quand celle-ci sabsentait sous prétexte de migraines. Tout le monde savait bien que la migraine de Valérie sappelait plutôt une bouteille de vin.

« Valérie, encore un faux pas et je te vire », menaçait le gérant, Maxime. Mais il savait quelle était une excellente cuisinière, et les clients ladoraient.

« Tu as une sacrée chef, Max ! » lui disaient souvent ses amis.

Valérie tenait bon, encaissant les réprimandes en silence. Elle voyait bien que sa jeune commise, Alix, se débrouillait déjà comme une pro, cuisinant avec cœur. Dailleurs, Maxime commençait aussi à la remarquer.

Un jour, Alix surprit une conversation entre Maxime et le responsable de salle :

« Je vais virer Valérie si elle joue encore les absentes. Aliénor est jeune, mais elle a du talent. Elle est sérieuse, pas capricieuse »

Le reste lui échappa.

« Oh là là, Maxime me suit à la loupe Mais pauvre Valérie, elle est gentille, cest juste son vice qui la tue », songea-t-elle, décidant de ne répéter ça à personne, pas même à Théo.

Le temps passa. Valérie finit par sécher une semaine entière. Aliénor cuisina à sa place, et aucun client ne sen aperçut. Quand Valérie revint, cétait une loquemains tremblantes, cernes noirs, regard fuyant.

Maxime entra dans la cuisine et lâcha :

« Valérie, dans mon bureau, maintenant. »

Il la licencia sur-le-champ, puis revint annoncer à léquipe :

« À partir daujourdhui, Aliénor est promue cheffe. Tu as du potentiel, jai confiance en toi. Bonne chance. »

« Merci », répondit-elle, un peu intimidée par la responsabilité.

Aliénor était ravieun vrai salaire, et elle si jeune, déjà cheffe ! Elle se promit :

« Je ferai tout pour mériter la confiance de Maxime. »

Le soir, Théo arriva avec une bouteille de champagne.

« Allez, on arrose ta promotion ! Félicitations, tu las mérité. »

Ils vivaient ensemble depuis longtemps, mais il navait jamais parlé mariage.

Les mois sécoulèrent. Maxime la félicitait parfoiselle avait vraiment un don pour la cuisine. Avec Théo, ça faisait presque trois ans. Il ne buvait pas, toujours au volant, jamais violent. Bien sûr, ils se disputaient, comme tout le monde, mais ça se réglait vite.

Pourtant, il ne parlait jamais de mariage. Elle y songeait :

« On vit ensemble depuis si longtemps Et rien. Peut-être que si jétais enceinte, il se déciderait ? Une vraie famille »

Elle se souvenait de cette discussion où il avait dit détester les enfants. Depuis, plus un mot là-dessus. Elle comprenaitelle venait à peine de sinstaller, avait un bon travail.

Un jour, elle comprit quelle attendait un enfant. Le médecin confirma, la mit sous surveillance. Elle était heureuse.

« Je nai personne à moi Mais lui, ce sera mon petit être aimé », murmura-t-elle en caressant son ventre encore plat.

Théo rentra du travail, la vit rayonnante :

« Quest-ce qui te met dans cet état ? »

« Une bonne nouvelle. Jai vu le médecin On va avoir un bébé. »

Son visage se figea. Les yeux rivés au sol, il dit dune voix terriblement calme :

« Je nen veux pas. Soit tu ten débarrasses, soit tu dégages. Je tai prévenue : les enfants, cest non. À toi de voir. »

Il nélevait jamais la voix, mais son ton glaça Aliénor. Il navait jamais caché son aversion pour la paternité. Elle avait espéré quil changerait davis. Mais il ajouta, dur :

« Tu viens de lorphelinat Où tu iras, enceinte ? Réfléchis bien et fais ce quil faut. »

Le lendemain, après son service, Aliénor rentra, fit ses valises et partit pour la cité U. Sa chambre lattendait, porte écaillée, numéro 35 écrit au marqueur. Elle poussa la portepas verrouillée.

Les gonds grinçèrent. Lodeur de poussière et dhumidité laccueillit. Le plafond seffritait, une tache sombre dans un coin, des mouches mortes sur lappui de fenêtre.

« Pas folichon », pensa-t-elle.

Un lit métallique, un matelas douteux, une couverture tachée. Une table bancale, une chaise branlante, une armoire déglinguée.

Elle posa son sacquelques vêtements, des livres, de la vaisselle. Sa main glissa sur son ventre encore plat.

« On va sen sortir », chuchota-t-elle.

Un voisin ivre hurla derrière le mur, claqua sa porte. Elle tressaillit.

« Bienvenue à la maison, Alix. »

La cuisine commune était minableplaque sale, frigo antique, cafards en liberté. De retour dans sa chambre, elle verrouilla la porte. La tristesse létreignit, mais soudain, elle se sentit libre.

« Tu iras où ? » avait dit Théo.

Eh bien, voilà. Ici. Sa liberté. Le début dune nouvelle vie. À deux.

Elle sapprocha de la fenêtre, sale. Elle la laverait, et le soleil y danserait.

« On va sen sortir. Parce quon na pas le choix. Parce que je lai voulu. Je ne ferai pas ce quon ma fait. Jai un travail, un peu dargent Je ferai de cette pièce un chez-moi. »

Elle attaqua le ménage. Bientôt, la chambre était propre, lair frais entrait par la fenêtre.

« Bon, une pause. Je vais acheter une couverture, des draps, du savon. Et surtout une nouvelle serrure. »

Peu à peu, sa vie sorganisa. Le père Lucien, le bricoleur de la résidence, installa la serrure. Il était gentil, toujours de bonne humeur.

Au café, un nouveau serveur, Timothée, la remarqua. Tout le monde savait quelle partirait bientôt en congé maternité. Un soir, il laccompagna chez elle, elle linvita par politesse. Il accepta.

Ce soir-là, elle comprit quil sintéressait à elle. Elle eut peurenceinte, elle ne voulait rien compliquer.

Mais Timothée insista. Un jour, il avoua :

« Aliénor, épouse-moi. Toi, seule. Moi, seul. Enfin, jai ma grand-mère au village. Je taime. Et ton bébé aussi. »

« Mais Timothée »

« Ne dis rien. Ce sera mon enfant. Jen veux plein, des enfants. »

Elle le compara à Théoquel contraste. Timothée était chaleureux, attentionné. Elle dit oui.

Quand vint le jour, il lemmena à la maternité, attendit. À la sortie, il avait repeint, installé un berceau, une poussette.

Quand elle entra dans la chambre, elle ne la reconnut pas. Des ballons partout.

Ils sen sortiraient.

Оцените статью
Elle s’en sortira
La Femme Pratique : Une Approche Éclairée de la Vie Moderne