À qui donc penses-tu être nécessaire ?
Lucien, je ten supplie, laisse-moi partir Nous avons tenté de bâtir une famille, mais cela na pas marché. Pourquoi nous faire souffrir davantage ? Ne serait-il pas plus simple de divorcer ?
Ah, bien sûr ! ricana son mari, les lèvres tordues. Tu rêves. Je ne te laisserai pas partir. Tu es ma femme, je suis ton mari, et nous formons une famille. Ta vie est si terrible ? Ou bien serait-ce que tu ne maimes plus ? Peut-être as-tu trouvé quelquun dautre ? Réponds quand je te parle !
***
Élodie était assise au bord du canapé, les doigts crispés sur le bord dune couverture. Après une nouvelle dispute avec son mari, elle aurait voulu sévaporer, disparaître à jamais de sa vie. Elle aurait pu demander le divorce, bien sûr Mais elle nosait pas. Ces deux années de mariage lui semblaient désormais un cauchemar, particulièrement les six derniers mois, où Lucien sétait mué en un petit tyran domestique, trouvant chaque jour de nouvelles raisons de la critiquer.
Ce matin, tout avait commencé par une situation en apparence anodine. Élodie sétait commandé une nouvelle crème pour le visage.
Tu gaspilles encore notre argent pour des futilités ? avait-elle entendu derrière elle en rentrant avec le colis.
Elle avait tenté de sexpliquer, mais Lucien nécoutait pas.
Tu penses seulement à toi, nest-ce pas ? Une crème, vraiment ! Tu ferais mieux daider mes parents, au lieu de te gaver de produits inutiles.
Lucien, pourquoi réagir ainsi ? Je travaille, jai mon propre argent. Et jaide toujours tes parents, tu le sais bien.
Des miettes ! Ils ont besoin dune vraie aide, tu comprends ? Tu nes quune égoïste, Élodie. Tout tourne autour de toi. Tout ce que tu gagnes, tu lengloutis dans tes potions et tes chiffons !
Sa voix senflait, ses yeux lançaient des éclairs. Élodie ny tint plus et fondit en larmes. Comme dhabitude, Lucien claqua la porte, la laissant seule avec ses sanglots et son impuissance. Il faisait toujours ainsi : il la poussait à bout, puis sen allait.
Elle se souvenait pourtant de leurs débuts. Lucien lui avait semblé parfait. Attentionné, tendre, aimant. Mais peu à peu, quelque chose avait changé. Ou peut-être navait-elle jamais vraiment vu son vrai visage ?
Le soir, Lucien revint. Élodie était à la cuisine, buvant une tasse de thé.
Tu as encore pleurniché ? demanda-t-il sans la regarder.
Non Tu mas blessée, cest tout.
Moi ? Cest ta faute. Tu devrais réfléchir avant dagir.
Quai-je fait de mal ? murmura-t-elle.
Tout ! Tu ne fais aucun effort. Moi, je travaille, je me fatigue, et toi ? Tu pianotes sur ton clavier la moitié de la journée, et lautre moitié, tu te prélasses ici !
Je travaille aussi, autant que toi, objecta-t-elle, mais elle le regretta aussitôt.
Ton travail ? Des clopinettes ! Cest moi qui fais vivre cette famille. Tu devrais men être reconnaissante. Et en deux ans de mariage, pas une fois tu ne mas remercié ! Pourtant, je le mérite.
Je tapprécie, Lucien Mais cela ne justifie pas tes mots.
Et comment devrais-je te parler ? Tu es toujours mécontente. Et tes larmes perpétuelles mexaspèrent ! Tu veux me faire passer pour un monstre ?
Lucien Cest toi qui es sans cesse insatisfait. Jai peur de parler, dacheter quoi que ce soit, même de me reposer. Je nose même pas mallonger après le déjeuner ! Si tu lapprenais, tu hurlerais aussitôt. Je nen peux plus, je ne me contrôle plus
Oh, assez ! Tu te prends toujours pour une martyre. Ça me donne envie de vomir !
Le dégoût dans sa voix lui fit mal physiquement.
Je ne comprends pas, chuchota-t-elle. Pourquoi es-tu ainsi avec moi ?
Fais les choses correctement, ne ménerve pas, et tout ira bien.
Élodie le regarda. Dans ses yeux, plus aucune tendresse, plus aucun amour. Seulement de lirritation.
Si nous en parlions ? suggéra-t-elle. Avec un conseiller conjugal, peut-être ?
Un psy ? Cest toi qui en as besoin. Tu es malade, trancha-t-il. Tu inventes des problèmes là où il ny en a pas.
Ces mots scellèrent sa décision. Elle devait partir. Lucien mangea rapidement et alla regarder la télévision, tandis quelle sortit un vieux carnet et commença à préparer son évasion. Il fallait tout organiser avec soin.
***
Le lendemain, Élodie quitta la maison plus tôt que dhabitude. Elle sarrêta dans un café pour réfléchir. Commandant un expresso, elle ouvrit son carnet et écrivit :
« Première étape : trouver un travail à temps partiel. Il me faut plus dargent. Deuxième étape : louer un petit appartement ou une chambre. Troisième étape : rassembler mes affaires. Quatrième »
Élodie ?
Elle leva les yeux et reconnut une ancienne camarade de classe, Amélie.
Amélie ! Quelle surprise !
Cela fait si longtemps, sourit celle-ci. Tu travailles ici ?
Non, je suis venue réfléchir, répondit-elle évasivement.
Quelque chose ne va pas ? Tu as lair mal en point. Tu es malade ?
Cela lui faisait des années quelle navait pas entendu de paroles réconfortantes. Elle se plaignait rarement à ses parents, ne voulant pas les inquiéter, et Lucien lavait isolée de ses amies. La gorge serrée, Élodie éclata en sanglots :
Amélie, tout va mal. Mon mari me harcèle, me rabaisse constamment. Je nen peux plus. Je crains quil ne devienne violent. Il me menace parfois pendant nos disputes
Amélie lécouta sans linterrompre.
Je veux le quitter, reprit Élodie. Je le veux vraiment, Amélie ! Mais jai peur. Je ne sais pas où commencer. Comment vivre après ?
Fuis, Élodie ! Ne tinquiète pas, je ne te laisserai pas tomber. Je taiderai autant que possible.
Vraiment ?
Bien sûr ! Dabord, tu ne seras pas seule. Viens chez moi, le temps de te retourner. Tu te souviens de mon adresse ? Ensuite, naie pas peur de demander de laide. Il existe des consultations gratuites pour les femmes maltraitées.
Je ne le savais pas, avoua Élodie.
Maintenant, tu le sais. Et surtout, crois en toi. Tu es forte. Tu y arriveras.
Elles se revirent après le travail. Après deux heures de conversation, Élodie se sentit transformée.
***
Ce soir-là, en rentrant, elle trouva Lucien qui lattendait, assis dans son fauteuil devant la télévision.
Où étais-tu ? demanda-t-il sans se retourner.
Je me promenais.
Tu te promènes souvent, ces derniers temps. Tu as un amant ?
Un froid lui traversa la poitrine.
Comment oses-tu dire cela ?
Pourquoi pas ? Cela ne métonnerait pas. Tu es bien capable de ça.
Lucien, assez, dit-elle, épuisée. Je ne veux plus entendre ces choses.
Et que veux-tu entendre ? Des compliments ? Tu peux rêver.
Elle inspira profondément, sefforçant de rester calme.
Lucien, nous devons parler.
De quoi ? De tes infidélités ?
Non. De notre mariage.
Et que veux-tu dire ?
Je veux divorcer.
Il la dévisagea, incrédule.
Quas-tu dit ?
Je veux divorcer. Je ne peux plus vivre ainsi. Tu me rabaisses sans cesse. Je suis malheureuse avec toi.
Tu es folle ! Divorcer ? Sans moi, tu nes rien ! Tu devrais me remercier de tavoir épousée.
Je ne dois rien à personne. Je veux être heureuse.
Heureuse ? Tu crois que tu le seras sans moi ? Tu te trompes. Personne ne voudra de toi. Comprends-tu ?
Élodie ne répondit pas. Elle ne voulait plus discuter. Sa décision était prise.
Je pars demain, annonça-t-elle calmement.
Où iras-tu ? hurla-t-il. Où vivras-tu ? Tu nas pas un sou !
Cela ne te regarde pas. Je me débrouillerai.
Je ne te laisserai pas faire ! rugit Lucien. Je te retrouverai et tu regretteras dêtre née ! Ingrate ! Je tai tout donné, et voilà comment tu me remercies !
Elle ne répliqua pas. Elle tourna les talons et se dirigea vers la chambre. Il était temps de faire ses valises.
Lucien passa la nuit dans le salon. Élodie, elle, ne dormit pas. Allongée dans le noir, elle fixait le plafond, assaillie par mille pensées. Elle avait peur de lavenir, peur de la solitude, peur de ne jamais trouver le bonheur. Mais plus que tout, elle avait peur de rester avec Lucien.
Au petit matin, elle se leva, se lava et shabilla. En entrant dans la cuisine, elle le trouva attablé, buvant son café.
Tu ne partiras pas, déclara-t-il. Nessaie même pas de fuir pendant mon travail !
Ma décision est prise.
Je ne te laisserai pas faire !
Assez, Lucien
Tu ne comprends donc pas ce que je te dis ?
Il se leva et sapprocha delle. Elle sentit la peur lenvahir.
Ne mapproche pas, supplia-t-elle. Lucien, recule !
Il la poussa contre le mur. Sa tête heurta la surface dure, et elle seffondra au sol. Lhomme quelle avait autrefois aimé leva le poing. Elle ferma les yeux, se préparant au pire







