Maman ne partira pas ! C’est toi qui finiras à la rue !» hurla son mari, oubliant à qui appartenait vraiment l’appartement.

**Journal intime 15 juillet**

*»Maman ne partira pas ! Cest toi qui finiras à la rue !»* a hurlé son mari, oubliant qui possédait vraiment lappartement.

Jeanne restait près de la fenêtre. La chaleur de juillet écrasait la ville. Dans la cour, des enfants couraient entre les arbres, cherchant lombre.

*»Jeanne, où est ma chemise ?»* a-t-il crié depuis la chambre. *»La rayée !»*

*»Elle est dans le placard,»* ai-je répondu sans me retourner. *»Sur létagère du haut.»*

Étienne est apparu dans lencadrement de la porte, en train de boutonner sa chemise retrouvée. Grand, costaud, avec les mains calleuses dun serrurier. Autrefois, ces mains mavaient semblé rassurantes.

*»Écoute,»* a-t-il commencé en ajustant son col. *»Ma mère vient aujourdhui. Nettoie mieux, la dernière fois elle a passé la soirée à se plaindre de la poussière.»*

Jeanne sest lentement tournée vers lui. Une irritation familière lui serrait la poitrine.

*»Ta mère trouve toujours à redire,»* ai-je murmuré. *»La dernière fois, la soupe était trop claire, et avant ça, les steaks trop salés.»*

*»Alors fais mieux,»* a-t-il haussé les épaules, comme sil parlait de la pluie et du beau temps. *»Elle a de lexpérience, elle donne des conseils, et toi, tu ténerves.»*

Jai serré les poings. Cet appartement nappartenait quà moi. Je lavais eu avant même de le connaître, meublé à mon goût, investi toutes mes économies dans les rénovations. Et maintenant, Édith arrivait à chaque visite, déplaçait tout et donnait des leçons sur où chaque chose devait être.

*»Étienne, nous vivons chez moi,»* ai-je rappelé. *»Tu pourrais en tenir compte, non ?»*

Mon mari sest figé, une main déjà sur la poignée.

*»Quest-ce que tu insinues ?»* Sa voix sest assombrie. *»Que je nai pas ma place ici ?»*

*»Je dis que ta mère se comporte comme si elle était chez elle,»* ai-je avancé. *»Et toi, tu la laisses faire.»*

*»Ma mère veut notre bien !»* sest-il exclamé en se tournant vers moi. *»Celui de sa famille ! Dailleurs, elle a même donné son propre appartement à son fils cadet !»*

Jai sourit amèrement. Cette histoire d*»aider les jeunes mariés»* commençait à lasser.

*»Ta mère a offert un deux-pièces à Julien il y a deux ans,»* ai-je repris lentement. *»Et alors ? Ça lui donne le droit de donner des ordres chez moi ?»*

*»Chez nous !»* a-t-il aboyé. *»Nous sommes mariés !»*

*»Avec ton salaire de deux mille euros, nous louerions un coin de banlieue,»* les mots mont échappé avant que je ne puisse les retenir.

Son visage sest fermé. Il sest approché, imposant, écrasant.

*»Alors maintenant, tu me le reproches ?»* Sa voix tremblait de colère. *»Parce que je ne gagne pas assez ?»*

*»Je ne te reproche rien,»* ai-je redressé le menton. *»Je te rappelle juste la réalité. Ta mère loue parce quelle a donné son appartement à Julien. Et pourtant, elle nous dicte comment vivre.»*

*»Julien en avait vraiment besoin !»* sest-il défendu en regardant par la fenêtre. *»Jeune couple, ils veulent des enfants !»*

*»Des enfants,»* ai-je répété. *»Toujours des enfants.»*

Il sest retourné dun coup. Une flamme familière a brillé dans ses yeux.

*»Et quoi, ce nest pas le moment ? Ça fait cinq ans que nous sommes mariés et tu remets toujours ça à plus tard. Une vraie femme devrait avoir des enfants !»*

*»Avec quoi, Étienne ?»* ai-je ouvert les mains. *»Ton salaire ? Tu sais combien coûtent les couches ? Les vêtements ? Les médicaments ?»*

*»On se débrouillera,»* a-t-il balayé dun geste. *»Les autres y arrivent bien !»*

*»Les autres,»* ai-je secoué la tête. *»Et moi, je resterai en congé maternité sans un sou pendant que tu te tueras à lusine pour des cacahuètes ?»*

Dehors, les oiseaux chantaient dans les feuilles. Étienne est resté silencieux, regardant au loin. Jai vu sa mâchoire se contracter.

*»Tu sais quoi,»* a-t-il fini par dire en se retournant. *»Assez de disputes. Ma mère a des problèmes.»*

*»Quels problèmes maintenant ?»* ai-je quitté la fenêtre.

*»Elle ne peut plus louer,»* a-t-il frotté sa nuque. *»Sa retraite ne suffit plus et la propriétaire a doublé le loyer.»*

Jai hoché la tête. Édith se plaignait depuis des mois du coût de la location. Il était logique quelle aille vivre chez son fils cadetdans ce deux-pièces quelle lui avait offert.

*»Je vois,»* ai-je dit. *»Alors Julien et sa famille devront lui faire de la place.»*

Étienne sest raidi. Son regard sest durci.

*»Maman vivra ici,»* a-t-il déclaré. *»Temporairement, le temps quelle trouve autre chose.»*

Je me suis tenue immobile. Ses mots ont résonné comme venant de loin.

*»Ici ?»* ai-je répété. *»Dans notre appartement ?»*

*»Oui, ici !»* a-t-il élevé la voix. *»Quel est le problème ? Il y a de la place.»*

*»Étienne, où va-t-elle dormir ? Dans le salon ?»*

*»Quest-ce qui ne va pas avec ça ?»* a-t-il croisé les bras. *»Ma mère a tout sacrifié pour ses enfants, et toi, tu fais ta radine !»*

Je me suis reculée contre le mur. À lintérieur, lindignation bouillonnait.

*»Pourquoi pas chez Julien ?»* ai-je demandé doucement. *»Il a lappartement que ta mère lui a donné.»*

*»Ils ont un enfant !»* a-t-il rugi. *»Ils ont besoin despace ! On nest pas une famille, nous aussi ?»*

*»Nous sommes une famille, mais cet appartement est à moi,»* ai-je rappelé.

Le visage de mon mari a viré au pourpre. Il sest approché.

*»Égoïste ! Tu ne penses quà toi ! Une épouse normale soutiendrait son mari dans un moment difficile !»*

Je me suis collée contre le mur. Il était trop près, étouffant de présence.

*»Tu ne veux pas denfants, alors aide au moins la famille comme ça !»* a-t-il continué. *»Ma mère a tout sacrifié pour nous !»*

*»Étienne, écoute»* ai-je tenté, mais il ma coupée.

*»Peut-être que tu nas pas besoin de famille, alors dis-le clairement !»*

Jai baissé la tête. Étienne savait appuyer là où ça faisait mal. La culpabilité ma submergée.

*»Daccord,»* ai-je chuchoté. *»Elle peut rester un temps.»*

Une semaine plus tard, Édith a emménagé dans notre salon. Trois valises à la main, elle a immédiatement tout réorganisé. La télé près de la fenêtre, le canapé contre le mur, mes plantes reléguées au balcon.

*»Il faut plus de lumière ici,»* a expliqué ma belle-mère en déplaçant les meubles. *»Et ces pots ne font que ramasser la poussière.»*

Jai regardé en silence mon salon se transformer en chambre dinvité. Étienne aidait sa mère, portant les objets lourds.

*»Maman, tu seras bien ici ?»* a-t-il demandé gentiment.

*»Je me débrouillerai,»* a soupiré Édith. *»Même sil ny a pas beaucoup de place.»*

Trois mois ont passé. Je suis devenue une ombre dans ma propre maison. Je marchais sur la pointe des pieds, craignant de déranger. Je mexcusais pour chaque bruit, chaque mouvement.

Édith a tout pris en main. Elle a jeté ma lessive, remplacée par la sienne. Interdit lachat de mon saucisson préféré.

*»Celui-là est trop cher, prends le normal,»* ordonnait-elle au supermarché. *»Pourquoi gaspiller de largent ?»*

Le matin, je nettoyais sous son œil vigilant. Un jour, en sortant les poubelles, quelque chose de familier a attiré mon regard. Je me suis penchée et jai figé.

Un album photo denfance. Celui avec les images de maternelle et décole. Mon seul souvenir de cette époque.

Les mains tremblantes, je lai sorti, taché de marc de café.

*»Édith,»* ai-je appelé en entrant dans le salon. *»Pourquoi ça était dans la poubelle ?»*

Ma belle-mère na même pas levé les yeux de la télé.

*»Oh, ça ? Je lai jeté. Des vieilleries, ça prend de la place.»*

*»Ce sont mes photos denfance !»* Ma voix avait tremblé.

*»Des trucs inutiles,»* a-t-elle balayé. *»Pourquoi garder ça ?»*

Quelque chose a craqué en moi. Trois mois dhumiliation, de silence et de honte ont explosé.

*»Dehors !»* ai-je hurlé. *»Sortez de mon appartement tout de suite !»*

Ma belle-mère a bondi du canapé, les yeux enflammés.

*»Comment oses-tu parler ainsi à tes aînés !»* a-t-elle glapi. *»Tu devrais connaître ta place !»*

Étienne, ébouriffé, a surgi de la chambre. Entendant les cris, il a immédiatement pris le parti de sa mère.

*»Maman ne partira pas !»* a-t-il rugi. *»Cest toi qui finiras à la rue !»*

Mais en moi, quelque chose sétait brisé définitivement. Mon cri sest éteint dans ma gorge. Je les ai regardés, lui et sa mère, avec un calme glacial. La rage a cédé place à une clarté froide.

*»Lappartement est à mon nom,»* ai-je dit doucement mais fermement. *»Cest moi qui décide qui vit ici.»*

*»Comment oses-tu !»* Étienne sest avancé, le visage rouge de fureur. *»Je suis ton mari !»*

*»Ex-mari,»* ai-je corrigé en me dirigeant vers le placard.

Jai sorti un grand sac de sport et jy ai fourré les affaires de ma belle-mèrerobes, jupes, peignoirssans ménagement.

*»Tu as perdu la tête !»* hurlait Étienne. *»Arrête tout de suite !»*

Je nai pas répondu. Jai arraché les pantoufles sous le canapé, les ai jetées dans le sac. La vieille femme courait, essayant de récupérer ses affaires.

*»Ma fille, calme-toi !»* Sa voix tremblait dindignation. *»Nous sommes famille !»*

*»Famille ?»* me suis-je retournée. *»La famille ne jette pas les souvenirs denfance à la poubelle !»*

Ma belle-mère a reculé. Étienne a tenté de saisir le sac, mais jai esquivé.

*»Maman a tout sacrifié pour ses enfants !»* a-t-il crié. *»Et toi, tu la jettes comme un chien !»*

*»Pendant cinq ans, jai enduré vos absurdités,»* ai-je fermé le sac gonflé. *»Pendant trois mois, jai vécu comme un fantôme chez moi !»*

Je suis allée dans la chambre prendre les affaires de mon maripulls, chemises, jeanstout dans un autre sac. Étienne ma suivie, attrapant mon bras.

*»Réfléchis ! Où est-ce quon va aller ?»*

*»Ce nest pas mon problème,»* me suis-je dégagée. *»Allez chez Julien.»*

*»Il ny a pas de place chez Julien !»* sest lamentée ma belle-mère depuis le salon. *»Il y a un enfant !»*

*»Et ici, il y a moi !»* ai-je répliqué en portant les deux sacs.

Je les ai posés près de la porte. Je suis revenue pour les chaussures, les produits de beauté, les babioles.

*»Tu vas devenir folle de solitude !»* a vociféré Étienne en enfilant sa veste. *»Tu reviendras nous supplier de revenir !»*

Je me suis tenue silencieusement devant la porte ouverte. Ma belle-mère reniflait, fourrant ses dernières affaires dans un sac.

*»Ma fille, réfléchis encore,»* a-t-elle supplié. *»Où est-ce quon va vivre maintenant ?»*

*»Là où vous viviez avant moi,»* ai-je répondu.

Étienne a attrapé son sac, est sorti en tempête. Sur le palier, il sest retourné, le visage tordu de rage.

Édith est sortie en dernier, traînant ses affaires. Elle ma regardée une dernière fois depuis lescalier.

*»Ingrate !»* a-t-elle crié. *»On ne voulait que ton bien !»*

Jai fermé la porte. Tourné la clé deux fois, mis la chaîne. Cris, pas précipités, portes dascenseur ont résonné dans la cage descalier.

Puis le silence.

Je suis restée adossée contre la porte, écoutant ma propre respiration. Pour la première fois depuis des mois, pas de télé assourdissante, pas de canapé qui gémit sous un poids lourd.

Je suis revenue dans le salon. Ai remis le canapé à sa place, tourné la télé, replacé mes plantes sur le rebord.

Puis je me suis assise, ai pris lalbum sauvé entre mes mains. Ai feuilleté les pagescérémonies scolaires, un anniversaire avec cinq bougies, la photo de fin de maternelle.

Et soudain, jai ri. Doucement dabord, puis plus fort. Le rire sest transformé en sanglots de soulagement, puis en rire à nouveau. Jai ri jusquà ce que les larmes coulent, serrant lalbum contre moi.

La maison était à nouveau mienne. Rien quà moi.

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Maman ne partira pas ! C’est toi qui finiras à la rue !» hurla son mari, oubliant à qui appartenait vraiment l’appartement.
Annie Sat in the Armchair, Staring at a Lipstick. It Wasn’t Hers… She Never Wore Lipstick. And Definitely Not Such a Vivid Shade of Red.