Geneviève tournait nerveusement entre ses doigts un bout de papier : lordonnance pour un test ADN destiné à Juliette. Pourquoi ? Qui en avait besoin ? Ses parents biologiques lavaient-ils retrouvée ? Alors pourquoi ne pas être venus en personne, pourquoi ne pas avoir parlé ? Les questions saccumulaient, mais les réponses manquaient.
« Maman, tu mécoutes ? » Juliette lui toucha lépaule. « Je tappelle depuis un moment, et tu ne réponds pas. »
« Je réfléchissais. »
« Qui ta écrit ? »
« Oh, rien dimportant. » Geneviève glissa vivement la lettre dans la poche de son tablier.
« Jai cueilli un seau de groseilles. Elles sont sucrées. Jai aussi rempli le réservoir deau. Je taiderai plus tard pour le potager. On va à la rivière avec les filles, il fait si chaud. »
Perdue dans ses pensées, Geneviève répondit :
« Allez-y, mais faites attention. »
Juliette attrapa des petits pains encore chauds, emporta une serviette et partit en courant.
Geneviève avait besoin de calme. Elle sortit et sassit sur le perron. « Que faire ? Demain, cest lanniversaire de Juliette. Quel cadeau Je comprends pourquoi je nai pas dormi cette semaine. »
Une voiture roulait lentement dans la rue et sarrêta devant le portail. Une femme élégante, dun certain âge, en descendit.
« Bonjour, je cherche Eugénie Nicolle. »
Le cœur de Geneviève se serra. Elle sentit que cette femme et la lettre étaient liées.
« Cest moi. »
« Puis-je vous parler ? Je mappelle Marguerite Germaine. »
« Mais bien sûr, entrez. » Geneviève linvita à lintérieur.
La femme fit un signe au chauffeur, qui sortit une grande valise du coffre. Geneviève regarda, inquiète.
« Alexandre, vous êtes libre jusquà » La femme jeta un coup dœil à sa montre luxueuse. « trois heures. Je vous appellerai si besoin. »
« Allez vous rafraîchir à la rivière », proposa Geneviève, saffairant. « Suivez ce sentier, il mène directement à leau. Je vous prêterai une serviette. Garez la voiture sous les tilleuls, à lombre. »
Marguerite sassit tandis que le chauffeur partait.
« Voulez-vous du thé ? Avec des feuilles de cassis ? » Geneviève posa la bouilloire sur la cuisinière et se retourna. Marguerite regardait une grande photo de Juliette accrochée au mur, les yeux embués de larmes.
« Cest Marie. Je lai retrouvée. »
Les jambes de Geneviève flanchèrent. Elle sassit pour ne pas tomber.
« Cest Juliette ! Entendez-vous ? Juliette ! » Sa voix trembla avant quelle néclate en sanglots.
Marguerite sapprocha, lui caressa le dos.
« Je ne veux pas vous lenlever. Juste faire partie de sa vie. Calmez-vous. » Elle prit Geneviève dans ses bras. « Nous devons parler sérieusement. »
Assise en face delle, elle lui prit les mains.
« Racontez-moi comment elle est arrivée ici. Je sais quelques choses, mais pas tout. »
Geneviève plongea son regard dans celui de Marguerite des yeux tristes et profonds, chargés de douleur.
« Je lai trouvée en lisière de forêt, alors que je cherchais ma vache. Cela fera douze ans demain. Nous fêtons son anniversaire ce jour-là. Elle était trempée, couverte de boue, endormie dans un fossé, serrant un ours en peluche tout aussi sale. Jai dabord cru à un sac plastique. »
Geneviève jouait avec une mèche de ses cheveux.
« Elle était si faible quelle ne tenait pas debout. Je lai portée jusquici. Après un repas, elle sest endormie. »
Un frisson la parcourut à ce souvenir.
« Jai envoyé le fils du voisin prévenir linfirmière et la mairie pour quils alertent la police. Linfirmière est venue examiner la petite, mais elle sest accrochée à moi, les doigts blanchis. On lui donnait deux ans, en bonne santé mais épuisée. »
La bouilloire siffla doucement, mais aucune des deux femmes ny prêta attention.
« Le gendarme a dressé un procès-verbal. Aucune disparition denfant navait été signalée. Les voisins ont apporté des vêtements, des jouets. Mais elle ne lâchait jamais son ours. Je les ai lavés ensemble. »
Geneviève marqua une pause. Marguerite ne la pressait pas.
« Pendant trois jours, elle na pas voulu quitter mes bras. Elle mangeait sans cesse. Linfirmière mavait prévenue : de petites quantités, souvent. Pendant un an, elle a caché des morceaux de pain partout. Je lai appelée Juliette parce que je lai trouvée en juillet. Elle a dabord appris à marcher, puis à courir. Elle dormait avec moi, hurlait dans son sommeil. Sans doute des cauchemars. Elle ne parlait pas. »
Geneviève reprit son souffle.
« Quand les services sociaux sont venus un mois plus tard, elle mappelait déjà maman. Ils nont pas pu larracher à moi. Ils ont laissé une convocation, sans date. Comment lenvoyer à lorphelinat ? Jy avais vécu. Je savais ce qui lattendait. »
Marguerite caressa doucement sa main. On devinait quelle voulait poser une question mais nosait pas.
« Jai voulu ladopter, mais on ma opposé mon célibat. Alors, par désespoir, jai proposé à un homme : «Marions-nous, cest pour les papiers.» Je lui ai tout expliqué. Nous avons signé un accord. Et voilà, jai eu un mari et une fille. La vie en a décidé autrement. Nous vivons heureux depuis. »
Apaisée, Geneviève demanda :
« Vous vouliez me demander quelque chose ? »
« Oui, ma chérie. Comment êtes-vous arrivée à lorphelinat ? »
« Mes parents sont morts dans une expédition. Ils étaient volcanologues. » Elle se leva pour la bouilloire, mais oublia en répondant.
« Javais huit ans. Jétais chez ma grand-mère à la campagne. On na pas voulu me confier à elle. Problèmes de santé. Aucun parent na été jugé apte. Certains avaient de petits revenus, dautres de mauvaises conditions. Comme si on craignait que quelque chose ne soit révélé. Une escroquerie, peut-être. Notre appartement parisien avait été vendu la veille de leur mort. Des amis ont cherché des réponses, en vain. »
Marguerite observa Geneviève. Un visage ouvert, bienveillant. « Je ne me suis pas trompée, cest une bonne personne », pensa-t-elle.
« On ma placée dans un orphelinat loin de Paris, mais près de ma grand-mère. Je méchappais souvent. On a menacé de menvoyer en hôpital psychiatrique. Puis le directeur de lécole, Jean-Philippe, a arrangé pour que je vive chez elle tout en restant officiellement à lorphelinat. Trois ans plus tard, une autorisation de tutelle est arrivée. Je lui suis reconnaissante. Il ma aussi aidée avec Juliette. »
Geneviève se reprit.
« Mais je vous ai promis du thé ! Jai aussi des petits pains, tout frais. »
« Jai apporté des gâteaux, des biscuits, des fruits », dit Marguerite en sortant de jolis paquets.
« Nous avons tout ici. Mais qui êtes-vous pour Juliette ? »
« Sa grand-mère. »
« Sa grand-mère ? » Geneviève se rassit. « Vous avez dit que vous ne la prendriez pas ? »
« Je ne la prendrai pas. Elle a assez souffert. Jai eu le temps de réfléchir. » Marguerite sortit des comprimés. « Un peu deau, sil vous plaît. »
Geneviève lui tendit un verre.
« Vous êtes malade ? »
« Oui. Plus gravement que je ne le voudrais. » Elle marqua une pause. « Vous voulez sans doute savoir comment je vous ai trouvée. Je me permets de vous tutoyer ? »
Geneviève hocha la tête.
« Jai engagé un détective privé. Tout menait ici. Il a rassemblé des informations sur vous. Après vous avoir rencontrée, je suis sûre de ma décision : laisser Marie ici. Je vais peut-être acheter une maison dans le village pour être près delle. »
Geneviève examina les photos que Marguerite sortit. Juliette, cétait bien elle.
« Comment lui dire ? »
« Nous avons de la visite ? Bonjour ! Quest-ce que tu veux me dire ? Et la bouilloire est en train de brûler ! »
Les femmes navaient pas entendu Juliette entrer. Marguerite pâlit et porta une main à son cœur.
« Juliette, cest ta grand-mère », dit Geneviève, incapable de trouver dautres mots.
« Ma grand-mère ? » La fillette regarda Marguerite avec méfiance, puis ses yeux silluminèrent. « Grand-mère ! Je savais que tu me retrouverais ! Cest toi qui mas offert mon ours ! »
Toutes les trois sétreignirent en pleurant. Beaucoup restait à faire, mais une chose était claire : Marguerite navait pas seulement retrouvé sa petite-fille.
Et sur la cuisinière, la bouilloire continuait de siffler
La vie nous réserve parfois des retrouvailles inattendues, et les liens du cœur transcendent toujours ceux du sang.







