**Journal intime 15 mai 2023**
*»Surprise, ma chérie, nous emménageons chez ma mère,»* a annoncé mon mari dès mon retour de la maternité.
*»Tu es fou ? Quel Pavel ? Nous avions convenu de lappeler Michel !»*
Élodie fixait son mari, les yeux écarquillés sous le coup de la stupeur. Sa chemise dhôpital, trop large pour son corps amaigri, accentuait sa fragilité. Sa voix, encore faible après laccouchement, tremblait dindignation. Théo, adossé à la fenêtre de la chambre, serrait un gobelet de thé froid, évitant son regard.
*»Élo, comprends-moi Maman y tient tellement. Cest en lhonneur de son père. Pour elle, cest primordial.»*
*»Et pour moi, ce nest rien ? Nous avons passé neuf mois à choisir ce prénom ! Nous avons cherché, discuté, ri Et maintenant, ta mère décide à notre place ?»*
*»Elle sera dévastée si nous ne lappelons pas Paul. Elle parle de respect, de tradition»*
*»Le respect, cest de se souvenir des morts, pas dimposer leur nom à un enfant qui devra le porter toute sa vie !»* Les larmes montaient, brûlantes. *»Tu mavais promis, Théo.»*
Il sapprocha, tentant une étreinte quelle esquiva. Le mot *»maison»* résonna faux. Hier encore, elle rêvait de rentrer dans leur petit appartement parisien, dy déposer leur fils dans le berceau quils avaient assemblé ensemble. Maintenant, ce rêve seffritait.
Le lendemain, entre les fleurs et les félicitations des infirmières, Théo se montra attentionné portant les affaires, ouvrant la portière. Élodie serrait contre elle leur fils, respirant son odeur douce de lait. Le bonheur, malgré tout.
Puis la voiture dépassa leur rue.
*»Où vas-tu ? Nous sommes passés.»*
*»Nous ne rentrons pas chez nous,»* répondit-il, trop enjoué. *»Surprise !»*
Son cœur se glaça. Elle reconnut ce vieil immeuble du 15e arrondissement chez sa belle-mère, Marguerite.
*»Quelle surprise ? Théo, quest-ce qui se passe ?»*
Il coupa le moteur. Le silence, troublé seulement par la respiration paisible du bébé.
*»Surprise, ma chérie. Nous vivrons désormais avec maman. Elle pourra taider avec le bébé. Et économiser un peu, pendant ton congé maternité.»*
Élodie suffoqua. Cet homme lui était soudain étranger. Il venait de piétiner leurs projets sans même la consulter.
*»Tu tu as tout décidé sans moi ? Alors que je tiens notre enfant dans mes bras ?»*
*»Élo, cest pour notre bien ! Maman nous offre sa plus grande chambre, elle a tout préparé !»*
La porte de limmeuble souvrit. Marguerite, rayonnante, se précipita vers la voiture.
*»Enfin, mes chéris ! Paul, mon petit Paul !»*
*»Notre Paul.»* Ces mots la frappèrent comme une gifle. Tout séclairait : le prénom, le déménagement Une manœuvre orchestrée.
Lappartement sentait le naphtalène et les remèdes dantan. Leur chambre, encombrée de meubles lourds, abritait un berceau solitaire.
*»Installez-vous ! Jai libéré deux étagères pour vous. Et demain, Théo récupérera le reste de vos affaires.»*
*»Quelles affaires ?»* demanda Élodie, la voix éteinte.
*»Eh bien, celles de votre appartement ! Nous le louerons, chaque euro compte !»*
Théo évitait son regard. *»Supportez, ne créez pas de scène,»* semblait-il implorer.
Elle se tut. Mais ce soir-là, alors que Marguerite critiquait sa façon de baigner Michel *»Pas de cette infusion, voyons ! De leau de permanganate, comme on faisait avant !»* , elle comprit : cétait une guerre. Une guerre pour son enfant.
Elle prit Michel, enveloppé dans une serviette, et quitta la salle de bains.
Ce soir-là, elle fit ses valises.
*»Nous partons,»* annonça-t-elle à Théo.
*»Où ? Il est presque minuit !»*
*»Nimporte où. Chez ma mère. En location. Mais plus ici.»*
Théo hésita, déchiré entre elle et Marguerite, qui hurlait : *»Ingrats ! Après tout ce que jai fait !»*
Finalement, il choisit. *»Maman, pardonne-nous. Nous partons.»*
Chez sa mère, Élodie retrouva la paix. Personne ne lui volait son rôle de mère. Michel, apaisé, dormait mieux.
Un mois plus tard, alors quils réintégraient leur appartement malgré les frais , Théo sexcusa : *»Jai cru bien faire. Javais peur de ne pas être à la hauteur.»*
Elle lui sourit. *»Maintenant, nous construirons notre vie. Ensemble.»*
Marguerite ne leur pardonna jamais. Mais Élodie savait quelle avait défendu lessentiel : leur famille. Leur histoire imparfaite, mais la leur.







