La Petite Idiote.
Karina était la fille de la voisine du dessous et un vrai calvaire pour Théo, quinze ans. Cette gamine maigre aux yeux noirs était souvent déposée chez eux le soir.
Tante Élodie lélevait seule : elle joignait à peine les deux bouts, travaillait comme aide-soignante en roulement, courait faire des piqûres aux retraités, sautait sur toutes les occasions de gagner quelques sous. Elle essayait aussi de refaire sa vie, mais rien ne marchait. Une fois, elle avait cru tomber sur un type bien finalement, il était marié.
La voisine apparaissait toujours à limproviste sur le seuil, détournant le regard en chuchotant fiévreusement : « Marie, pour deux heures, je te rendrai la pareille, il est tard, tu comprends, elle ne peut pas rester seule » Karina, boudeuse, se tenait à côté, la tête basse.
Maman soupirait mais finissait par accepter, pour que la petite ne reste pas dans le noir, toute seule dans lappartement. Papa râlait après, bien sûr.
Cétait Théo qui payait pour la gentillesse de sa mère, parce que cétait lui quon chargeait de garder lintruse en lui mettant « un dessin animé ou autre ». Karina se tassait dans le canapé, regardait docilement des films daction pas très adaptés, se taisait, mains sur les genoux ce qui lénervait encore plus.
Une fois par semaine, tante Élodie lui glissait un billet froissé de dix euros et le suppliait daccompagner sa petite nouvellement en CP au moins jusquau coin de la rue, vu quils allaient à la même école.
Ce jour-là, Karina brillait comme un sou neuf, et avait même lâché quelques mots en chemin : elle avait dit quils fêtaient quelque chose aujourdhui, et quelle allait réciter un poème, *Les Flocons de Neige*. Théo avait ricané : avec sa cagoule ridicule, cette petite idiote ressemblait plutôt à un microbe en combinaison spatiale.
Après le premier cours, des groupes délèves se dirigeaient vers la cantine pour le petit-déjeuner. Théo, comme dhabitude, sapprêtait à prendre un sandwich au fromage. Et cest là quil eut la mauvaise idée de se retourner.
Les petits, dans leur coin, sagitaient bizarrement. Des enfants avaient encerclé Karina, qui portait une robe de fête. Certains riaient, montraient du doigt, dautres essayaient de lui tendre des mouchoirs. Théo sapprocha. Cétait pire que tout : sa tenue était trempée de yaourt à la fraise.
Terrifiée, la petite ne bougeait plus. Elle pleurait sans un bruit.
Soudain, un Julien surexcité lui sauta dessus :
« Théo, dépêche ! Léa veut te parler pour la soirée sa voix semblait venir de très loin allez, cest ELLE qui ta demandé ! Après, ce sera trop tard ! »
Léa Juste discuter avec elle, cétait le rêve de tous les mecs. Et là, elle linvitait ? Il fit un pas vers la sortie. Après tout, cétait pas son problème. Quils appellent tante Élodie, quils nettoient la robe, peu importe.
Au fond, Théo savait : personne ne soccuperait de Karina. On la pousserait dans le fond et voilà. Et elle se ferait toute petite invisible, silencieuse, comme dhabitude.
Il soupira, exactement comme sa mère, et marcha vers la table.
« Madame Lefèvre, lévénement est à quelle heure ?
Oh, Théo, dans une heure et demie Regarde-moi ça, elle devait réciter son poème, et maintenant Comment elle va monter sur scène comme ça ? »
Karina tremblait de partout. Elle était là, tachée et blême, comme si elle allait vomir. Théo lui arracha des mains un gobelet vide.
« Je la raccompagne chez elle, peut-être quelle a autre chose à se mettre.
Mon Théo, je ten serai reconnais toute ma vie, vas-y, je marrange avec Madame Dubois. »
Il savéra quil ny avait pas dautre robe. Théo inventoria mentalement tout son lexique dinsultes : il frotta les taches, sécha au sèche-cheveux, repassa les plis roses. Karina, maigrichonne en t-shirt et collants, sagitait autour de lui. Ils coururent pour revenir à temps, sa petite main emmitouflée dans une moufle serrée dans la sienne.
Ce jour-là, il ne parla pas à Léa, et sécha les cours il alla voir le spectacle des CP.
Karina débita son poème à toute vitesse. Et quand sa classe passa près de lui, elle séchappa du rang, se jeta contre lui et lança :
« Théo Sans toi, je serais morte aujourdhui. Pour de vrai. »
Quelle petite idiote







