– C’est de votre faute si je n’ai pas de famille – hurla ma nièce en s’appropriant l’appartement

Cest de votre faute si je nai pas de famille ! cria la nièce en partant avec fracas.

Tante Nadège, est-ce que vous avez déjà regretté de ne pas avoir eu denfants ? demanda soudain Alix en reposant sa tasse de thé à moitié vide.

Nadège tressaillit. Sa nièce était venue lui rendre visite après des mois dabsence, et voilà quelle lui posait cette question en plein milieu dune conversation banale sur le travail et la météo.

Quest-ce qui te prend, Alix ? répondit-elle prudemment en ajustant la nappe en dentelle. La vie est ce quelle est. Tout le monde na pas besoin dêtre mère.

Mais ça doit être triste, non ? De vivre seule Alix la dévisageait comme pour scruter chaque ride sur son visage.

Nadège eut un rire gêné. Dehors, une pluie doctobre tombait doucement, tandis que lappartement était chaud et accueillant. Elle faisait toujours en sorte que tout soit impeccable quand sa famille venait même si, à vrai dire, il ne lui restait plus grand monde : juste Alix, la fille de son frère disparu.

Pourquoi cette question, dailleurs ? Tout va bien avec Mathieu ? tenta-t-elle, espérant détourner la conversation. Ils étaient ensemble depuis trois ans, et Nadège priait pour un mariage bientôt.

On a rompu, lâcha Alix en se tournant vers la fenêtre. Il y a un mois.

Oh, ma puce ! Pourquoi tu nas rien dit ? Jaurais pu

Quest-ce que vous auriez fait ? Alix se retourna brusquement. Me plaindre ? Me consoler ? Me dire quil y a dautres poissons dans la mer ?

Sa voix était chargée dune colère que Nadège ne lui connaissait pas. Alix avait toujours été une enfant réservée, puis une étudiante discrète, et enfin une comptable talentueuse dans une grande entreprise. Nadège était si fière delle.

Alix, quest-ce qui se passe ? Tu nes pas toi-même aujourdhui.

Pas moi-même ? Elle se leva et fit les cent pas dans la pièce. Et comment je devrais être ? Toujours souriante, à prétendre que tout va bien ? À faire comme si javais trente-deux ans et toujours aucune vie sentimentale ?

Nadège la suivit des yeux, la regardant sapprocher de la commode où trônaient les photos de famille. Alix en saisit une où elles figuraient ensemble : une petite fille et sa tante, bien plus jeune à lépoque.

Javais sept ans quand mes parents sont morts dans cet accident, murmura-t-elle sans se retourner. Vous vous souvenez, quand je suis venue vivre ici ?

Bien sûr, ma chérie. On a traversé ça ensemble. Nadège se leva pour la rejoindre, mais Alix sécarta.

Ensemble ? À lépoque, je ne comprenais rien. Je croyais que cétait provisoire. Que mes parents reviendraient, et que je rentrerais chez moi.

Alix, pourquoi reparler de ça maintenant ? On en a déjà discuté

On na jamais discuté de rien ! rétorqua-t-elle en se retournant. Vous avez tout décidé pour moi ! Que je vivrais avec vous, que cétait mieux comme ça !

Nadège sentit une boule damertume lui serrer la gorge. Est-ce quelle avait oublié à quel point ça avait été difficile ? À vingt-huit ans, son mari venait de la quitter, sa carrière seffondrait, et voilà quelle se retrouvait avec une enfant à charge.

Alix, jétais jeune, moi aussi. Jai pu faire des erreurs, mais jai fait de mon mieux

Votre mieux ? Elle éclata dun rire amer. Vous savez ce que ça a donné ? Vous mavez enfermée dans cet appartement ! Pas dactivités, pas damis, rien !

Alix, ce nest pas vrai ! Tu avais des amis à lécole

Quels amis ? Vous ne cessiez de me répéter : «Pourquoi tembarrasser de relations inutiles ? Pourquoi sortir ? On est bien à la maison.» «À quoi bon le théâtre ? Tu perds ton temps.» «Les cours de danse ? De largent jeté par les fenêtres !»

Nadège saffala sur une chaise. Elle avait pourtant cru bien faire, la protéger des influences néfastes, des mauvaises fréquentations.

Je voulais te préserver

Me préserver ? Alix reposa la photo. De quoi ? De la vie ? Des autres ? Dapprendre à exister en société ?

Ne dis pas ça, Alix. Tu es devenue une femme bien, tu as fait des études

Oui, des études ! Mais je ne sais pas parler aux gens ! Je ne sais pas flirter, être légère, spontanée ! Vous avez fait de moi votre reflet : une femme renfermée, qui a peur de tout !

Les mots frappaient plus fort quune gifle. Nadège se considérait comme prudente, pas lâche.

Je comprends que tu sois blessée par cette rupture avec Mathieu

Ce nest pas Mathieu le problème ! sexclama Alix. Mathieu, cest le quatrième ! Le quatrième avec qui ça ne marche pas ! Et vous savez pourquoi ? Parce que je ne sais pas mouvrir ! Au moindre problème, je me replie, comme vous me lavez appris !

Nadège resta silencieuse, la gorge nouée.

Et vous savez ce quil ma dit quand il est parti ? continua Alix. «Tu es comme un zombie. Tu existes, mais tu ne vis pas. Boulot, maison, télé. Aucune passion, aucun désir. Même le sexe, tu ten moques, du moment quon te fiche la paix.»

Alix ! soffusqua Nadège. Ces sujets la mettaient toujours mal à laise.

Quoi, Alix ? La vérité vous dérange ? Eh bien, moi, cest ma vie qui me dérange ! Elle sappuya contre la vitre froide. Toutes mes amies sont mariées. Elles ont des enfants. Et moi, je passe mes soirées seule à me demander ce qui cloche chez moi.

Mais il ny a rien qui cloche, ma chérie

Si ! Elle se retourna. Et voilà ce que jai compris : je suis exactement comme vous. Je répète votre vie.

Ma vie ?

Oui ! Vous non plus, vous navez jamais été heureuse ! Même avec oncle Laurent, vous nosiez jamais ouvrir la bouche ! Il faisait ce quil voulait, et vous subissiez en silence !

Nadège serra les poings. Ces mots lui rappelaient douloureusement son mariage raté. Laurent était un tyran, mais comment Alix pouvait-elle sen souvenir ? Elle était si petite

Ne juge pas ce que tu ne connais pas, murmura-t-elle.

Je le connais très bien ! Jétais là ! Jentendais ses cris, vos larmes la nuit ! Et quand il est parti avec sa secrétaire, vous navez même pas lutté !

Pourquoi me battre ? Si quelquun veut partir

Exactement ! Vous avez capitulé ! Et vous mavez appris la même chose : baisser la tête, ne pas résister, ne pas exiger mieux !

Alix recommença à arpenter la pièce, comme un animal en cage.

Et maintenant, jai compris : je suis comme vous. Je crains les hommes, les relations, labandon. Et devinez quoi ? On me quitte ! Parce quune femme comme moi, cest ennuyeux !

Alix, écoute

Non, cest vous qui allez écouter ! Elle sarrêta net. Vous mavez volé mon enfance ! Ma jeunesse ! Vous avez fait de moi une autre femme brisée, comme vous !

Jai essayé

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