**Une Lien Particulier**
Je savais que jallais en prendre plein la figure, pas par un caïd du quartier, mais par ma propre mère.
Je marchais vers la maison en sifflotant, mais mon cœur se serrait. Jallais en baver, cétait sûr.
Tante Marie, lamie de maman, mavait vu avec une cigarette. Jaurais pu mentir, dire quon me lavait juste donnée à tenir, mais Tante Marie mavait vu la cigarette à la bouche. Quest-ce que jallais dire à maman ? Quon me lavait fourrée dans la bouche et quon mavait dit « Fume » comme on dit « Tiens » ?
Je nai pas laissé paraître que javais vu tante Marie. Elle, au moins, na pas crié, ne ma pas giflé, juste ma regardé fixement avant de continuer son chemin.
Mais je ne suis pas dupe. Je sais que tante Marie a déjà rapporté à maman, qui mattend avec une ceinture. Je faisais déjà mon troisième tour autour de limmeuble quand jai vu mamie.
Ah, voilà lartillerie lourde. Coup bas. Maintenant, mamie va sénerver, pleurer, raconter comment elle, institutrice méritante de la République, avait élevé des centaines denfants mais avait échoué avec son unique petit-fils.
Comme elle avait honte Comme grand-père devait se retourner dans sa tombe, et arrière-grand-père, et tous les ancêtres.
Petit, ça me terrifiait quand mamie parlait des ancêtres. Jimaginais la terre trembler sous leurs mouvements. Puis jai compris. Une fois, quand mamie a reparlé deux, jai rétorqué que cétait bien quils bougent, ça évitait les escarres, comme la grand-mère de Théo
Mamie sest prise la tête, maman a éclaté de rire, oubliant de me donner la fessée, et a reçu une serviette en pleine figure de la part de mamie.
Je regarde mamie approcher.
« Quest-ce que tu fais là ? Pourquoi tu nes pas à la maison ? » Ses yeux papillonnent, comme si cétait elle quon avait surprise avec une clope. « Tas encore disputé avec ta mère ? »
« Non Je ne suis même pas rentré. »
« Comment ça ? Où étais-tu alors ? »
« À lécole, puis au foot, et après je rentrais. »
« Ah oui ? » Ça y est, pensais-je. Elle va me faire souffler, puis linterrogatoire commencera. « Cest quoi ça ? Pourquoi tes mains sont rouges ? Où sont tes gants ? Hein ? »
« Je les ai oubliés, mamie. »
« Comment ça, oubliés ? Ta mère ne surveille rien ? Montre-moi tes jambes. »
Elle a relevé mon jean, gémissant.
« Cest quoi ça ? »
« Quoi, mamie ? » Jai eu peur.
« Pourquoi tes chevilles sont rouges ? Où sont tes collants ? Et ton écharpe ? »
Jai eu honte. Puis jai vu, depuis larche, Marco, le caïd du quartier, avec son bonnet rouge. Merci, mamie, qui ta demandé quoi que ce soit ?
Peut-être quelle comment dire perd la tête ? Elle était toujours raisonnable, et là
« Mamie cinq fois cinq ? »
« Vingt-cinq, » a-t-elle répondu, surprise.
« Quelle est la somme des carrés des côtés de lhypoténuse ? »
« La somme des carrés des côtés adjacents Victor ? Tas pas appris tes leçons ? Elle na même pas vérifié ? Ça ne va pas se passer comme ça. Viens. »
Mamie était de mon côté ? Jallais éviter les remontrances ? Peut-être que jétais dans un univers parallèle, ou que des robots avaient pris le contrôle
« Mamie, de quel côté est ma cicatrice de lappendicite ? »
« À droite. Quelle cicatrice ? On ne ta jamais opéré. »
Non, cétait bien elle.
Elle ma tiré par la main jusquà lappartement. Maman était là, en robe, avec des boucles doreilles, des escarpins Pourquoi si élégante ?
« Victor » Elle ma serré contre elle. « Va te laver les mains, on va dîner. Maman, tu restes ? »
« Pourquoi cet enfant traîne dans la rue ? Il ne veut pas rentrer, hein ? Tu as réussi, ma fille, à labandonner pour Où sont ses gants ? Ses collants ? Il fait un froid de canard ! Bien sûr, tu ten fiches »
« Maman, arrête. Tu dînes avec nous ? »
« Non ! Je ne remettrai plus les pieds ici, compris ? Et tu sais quoi ? Victor, mon chéri, fais tes affaires, tu viens chez moi. »
« Pourquoi, mamie ? »
« Pour vivre, mon cœur. Viens. »
Je navais aucune envie dêtre harcelé par elle.
« Maman, Victor reste ici, dans sa chambre, avec sa famille. »
« Quelle famille ? Tu as tout sacrifié Victor, prépare-toi. »
« Maman, si tu ne te calmes pas, je je vais devoir »
« Quoi ? Me jeter dehors ? »
« Oui ! »
« Ah, la vache Après tout ce que jai fait pour toi ! »
Maman la poussée dehors. Jai entendu mamie crier quelle appellerait la police, quon lui rende son petit-fils
Maman ma entraîné dans le salon. Un homme inconnu mobservait.
« Victor je ne mentirai pas. Cest ton père. »
Mamie hurlait derrière la porte. Lhomme sest levé, grand, mince, avec mes yeux.
« Bonjour mon fils. »
Jai reculé.
« Mais vous maviez dit quil était mort »
« Antoinette » a-t-il murmuré.
« Cest mamie qui a menti. Elle disait que cétait mieux pour toi. »
On a sonné à la porte. La police.
« Antoinette, je devrais peut-être partir ? »
« Non, assez de mensonges. Victor, on texpliquera. »
Maman a ouvert. Mamie, le policier et les voisins sont entrés.
« Votre mère a signalé un problème »
« Tout va bien. Mon mari est rentré du Nord. Notre fils. »
« Mais votre mère »
« Cest un voyou ! Arrêtez-le ! Victor, viens ici ! »
« Maman, arrête ton cinéma. »
Le policier a vérifié ses papiers. Pas de casier.
« Je travaille dans le Nord depuis des années. »
Mamie continuait ses cris. Maman a refermé la porte.
Mon père ? Jai vécu onze ans sans lui. Mamie mavait dit quil était mort, un repris de justice.
En fait, ils mont menti.
« Victor » Maman a compris trop tard. Jai attrapé ma veste et mes chaussures et jai couru.
Je courais en pleurant. Qui croire ?
« Victor ! » criait maman.
« Hé, petit ! » Cétait Marco. « Tas lair perdu. »
Je ne répondais pas.
« Il fait froid, tu vas tomber malade. Viens chez moi. »
Chez Marco, cétait simple. Des posters de rockeurs, une guitare.
« Tu veux du thé ? »
Jai hoché la tête.
« Tu veux manger ? Des pâtes aux anchois ? »
Je navais jamais goûté ça. Cétait délicieux.
On a bu du thé dans des verres à motif de train.
« Au fait, je mappelle Valère. Valère Simonet. »
« Pourquoi on tappelle Marco ? »
« Aucune idée. Ça a collé. »
Il a joué de la guitare. « Tes un artiste. Cest qui, sur les posters ? »
« Tes sérieux ? Tas jamais entendu parler de Téléphone ? Ni des Stones ? »
On a chanté ensemble.
« Tu devrais rentrer. Tes parents doivent sinquiéter. »
Je lui ai tout raconté.
« Tes bête. Cest génial davoir un père. Moi, je nen ai pas. »
« Il est où ? »
« Aucune idée. Ma mère dit quil est pilote. Elle ment. Elle ma élevé seule. »
Valère avait raison. Je suis rentré. Tout le monde mattendait.
Ils mont expliqué. Comment mamie avait menti à papa, comment il était parti travailler, comment maman avait cru quil lavait abandonnée.
« Pourquoi ? » ai-je demandé à mamie.
« Je voulais ton bonheur. »
« Et le sien ? »
« Pardonne-moi »
Plus tard, pour mon anniversaire, jai invité Valère. Il ma offert un poster de Téléphone. Maman a laissé faire.
Jai pardonné à tout le monde. Comme lavait dit Valère, cétait leurs problèmes dadultes.
Mamie a pris Valère sous son aile. Elle lui faisait des gâteaux, du pot-au-feu. Il a même eu des bonnes notes en maths.
On est restés amis pour la vie, comme des frères.
Quand on se retrouve à la campagne, on chante sous la guitare, on mange des pâtes aux anchois comme si cétait un festin
Et mon père ? Je laime. Il a dautres enfants maintenant, mais entre nous, cest différent.
Un lien particulier.







