Elle a besoin d’un hôpital», murmura la jeune femme frigorifiée sur l’autoroute, serrant son enfant dans ses bras

« Il faut quil aille à lhôpital », murmura la jeune femme grelottante au bord de la route, serrant un enfant contre elle.

Le matin était glacé, le ciel encore pâle, et la route scintillait sous une fine couche de givre, comme saupoudrée de sucre glace. Lair avait cette fraîcheur cristalline qui pique les joues et fait naître de petites étoiles de gel sur le bout du nez. Dans ces moments, le monde semble ralentir, comme suspendu dans un silence cotonneux.

Henri Lefèvre, chauffeur de bus, se sentait comme un poisson dans leau. Vingt ans derrière ce volant, chaque virage lui était familier. Il connaissait cette route comme sa poche, bien quelle ne fût quune banale départementale entre un petit village et la préfecture. Pour lui, cétait un peu chez lui. Les nids-de-poule ne lagacaient plus ; ils faisaient partie du paysage, tout comme les arrêts et les passagers, ces silhouettes anonymes qui peuplaient son quotidien.

Ce matin-là, le bus était presque vide. À larrière, deux étudiants, perdus dans leurs écrans, semblaient ignorer le paysage qui défilait. Plus loin, un vieil homme plongé dans son journal ajustait sans cesse ses lunettes, comme si les mots lui échappaient. À lavant, un jeune couple somnolait, enlacé sous des écharpes épaisses.

Le bus roulait doucement, berçant ses occupants. Henri observait la route, lesprit ailleurs, quand soudain, une silhouette lointaine capta son regard. Une femme. Elle ne faisait pas signe, ne bougeait pas. Elle attendait, immobile, comme une statue sous la lumière blanche de laube.

« Bizarre », marmonna Henri en ralentissant.

Quand il sarrêta près delle, il baissa la vitre :

« Quest-ce que vous faites là, par ce froid ? »

La femme tressaillit, surprise quon sadresse à elle. Elle sapprocha, les yeux baissés, la voix tremblante :

« Je Jattendais un lift. »

Henri sourit malgré lui. Un lift ? Par cette température ? Même les taxis refuseraient de venir ! Il allait repartir, mais quelque chose dans son regard larrêta.

« Il y a un bus, vous savez. Pourquoi vous infliger ça ? »

La femme, comme sourde à ses mots, murmura :

« Je dois aller à lhôpital Mon fils va mal. Cette nuit, ça sest aggravé, mais je nai pas les moyens pour un taxi, et le bus ne passe pas. »

Henri jeta un coup dœil à lenfant emmitouflé dans ses bras. Le petit garçon était livide, les paupières closes, la respiration faible. Une boule au ventre, Henri nhésita pas.

« Montez. Assez attendu. »

La femmeÉlodie, comme elle se présenta plus tardgrimpa avec précaution, protégeant son fils du moindre choc. Une fois assise près du chauffage, elle sentit enfin la chaleur lenvelopper, un répit après des heures dans le froid. Les passagers jetèrent des regards discrets, mais personne ne posa de questions. Certaines choses se comprennent sans mots.

Pendant le trajet, Élodie confessa quelle élevait seule son fils. Son mari était parti, sa famille loin. Elle vivait au village, sans médecin, sans pharmacie. La nuit, en cas durgence, cétait la croix et la bannière.

Henri écouta, hochant parfois la tête. Il se souvint dun hiver, des années plus tôt, où un inconnu lui avait sauvé la mise en conduisant sa femme malade à lhôpital. Le monde tournait ainsi : un jour, on recevait de laide ; un autre, on la donnait.

À larrivée, il gara le bus devant les urgences, ignorant les règles. « Allez-y, jattends », lança-t-il. Élodie le remercia dun regard ému avant de disparaître derrière les portes automatiques.

Deux heures plus tard, elle revint, le visage détendu. « Tout va bien, ils nous ont donné des médicaments », annonça-t-elle. Henri sourit, soulagé. Sur le chemin du retour, le petit garçonTimothéeosa enfin le regarder. Timide, il murmura même un « Merci, monsieur » en descendant.

Quelques mois plus tard, par un froid semblable, Henri retrouva Élodie à larrêt. Elle lui tendit un panier garni : œufs, lait, confiture. « Cest peu, mais cest de chez nous », dit-elle. Timothée, moins farouche cette fois, ajouta : « Merci encore. »

Henri accepta, touché. Le bus redémarra, et dans son rétroviseur, il vit la silhouette dÉlodie qui séloignait, main dans la main avec son fils.

Parfois, la vie vous rappelle que la bonté est une boucle. On donne un peu, on reçoit un peu. Et cest ainsi que le monde tient debout.

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Elle a besoin d’un hôpital», murmura la jeune femme frigorifiée sur l’autoroute, serrant son enfant dans ses bras
— Je vais appeler, murmura-t-il en reculant vers la porte.