Depuis son plus jeune âge, Aurélie savait quelle était belle, car tout le monde le lui répétait.
«Notre fille est vraiment jolie, elle se distingue par sa beauté extraordinaire parmi les autres,» disait sa mère avec fierté à ses collègues et connaissances.
Et en effet, personne ne pouvait le nier. Seule la voisine restait sceptique :
«Tous les enfants sont mignons, mais en grandissant, ils changent Enfin, pas tous, bien sûr, mais cest fréquent.»
Aurélie grandit, et à lâge de seize ans, elle était devenue une jeune femme élancée et gracieuse. Capricieuse et hautaine, elle savait que ses désirs étaient des ordres, surtout pour les garçons, qui la suivaient du regard avec convoitise.
Après le lycée, elle échoua à entrer à luniversité. Malgré ses rêves détudes supérieures, elle dut se contenter dun BTS en gestion.
«Ma chérie,» lui dit sa mère, «laisse-moi te trouver un poste dans le laboratoire de notre usine. Ce nest pas difficile, tu nauras pas à porter de charges lourdes, et puis, tu es trop délicate pour un travail pénible.»
«Et mon diplôme de gestion ?»
«Oh, qui travaille encore dans son domaine de formation ? Et puis, le commerce, ce nest pas pour toi,» trancha sa mère, qui, comme son père, avait passé toute sa vie à lusine.
Aurélie devint donc laborantine. Avec les années, elle devint encore plus belle et sûre delle. Elle tomba amoureuse de Vincent, un ingénieur dun atelier voisin. Leur relation fut passionnée et brûlante. Après quelques mois, Vincent lui demanda sa main.
«Avant quon ne te vole à moi, veux-tu mépouser ?» lui demanda-t-il en lui tendant une bague.
«Oui,» répondit-elle, rayonnante.
Le mariage eut lieu, comme à lépoque, dans la cantine de lusine. Modeste, mais animé, avec beaucoup dinvités.
Peu après, Aurélie annonça à Vincent quelle était enceinte.
«Je suis si heureux, ma chérie,» murmura-t-il en lembrassant.
Ils eurent une petite fille, aussi jolie quAurélie, et tout le monde était comblé.
Les années passèrent. Leur fille grandit, alla à lécole maternelle, tandis quAurélie et Vincent travaillaient. Mais après son congé maternité, Aurélie changea. Pas physiquement, mais dans son caractère. Elle se prit pour une reine et rabaissait Vincent de plus en plus. Lui, en revanche, soccupait de leur fille, Élodie. Il laccompagnait à lécole, lui lisait des histoires le soir, la bordait.
Aurélie, elle, rentrait tard, prétextant le travail, bien que Vincent sache quil ny avait aucun surcroît dactivité au labo. Il nosait rien dire, de peur des scènes quelle faisait. Il ne voulait pas quÉlodie entende leurs disputes.
«Vincent, on a vu ta femme avec lingénieur en chef au restaurant,» lui chuchotaient des collègues.
«Pourquoi tes-tu marié avec une belle femme ?» lui demandaient ses amis. «Tu sais bien quun beau gâteau, on ne le mange pas seul»
On lui disait ouvertement quAurélie plaisait aux hommes, et pas nimporte lesquels des gens influents, bien loin de son statut de simple ingénieur. À cette époque, Aurélie fréquentait Antoine, un haut fonctionnaire du ministère. Il la gâtait avec des bijoux et des cadeaux luxueux.
Vincent devint un mari soumis et effacé. Il gérait tout dans la maison, soccupait dÉlodie, tandis quAurélie se contentait de donner des ordres. Il ne pensait même pas au divorce, par peur de blesser leur fille.
Puis vint la crise. Le poste dAntoine fut menacé, comme beaucoup dautres à cette époque.
«Aurélie, si on te pose des questions sur moi, ne dis rien,» lui glissa-t-il un jour. «Je sens que nous ne nous reverrons pas.»
Il avait raison. Antoine fut arrêté, et Aurélie fut convoquée pour interrogatoire. Elle supplia, pleura, jura quelle ignorait tout.
Finalement, faute de preuves, elle fut relâchée, mais sa réputation était ternie. Elle rentra chez elle comme si elle avait nagé dans des eaux troubles. Elle avait tout perdu. Ses économies avaient fondu, Vincent avait vendu la moitié de leurs biens pour la soutenir. Elle fut licenciée, et Vincent, bien quil ne demandât pas le divorce, la traita désormais en étrangère.
Il pensa un jour à partir, mais la peur de traumatiser Élodie le retint.
Quand Aurélie devina ses pensées, elle avala sa fierté :
«Vincent, ne me quitte pas. Pardonne-moi, je ne recommencerai plus.»
Il resta, mais ne la toucha plus.
«Tu as couché avec dautres.»
«Je lai fait pour notre famille,» répondit-elle.
Puis elle se perdit à nouveau, trouvant un jeune assistant, Théo, avec qui elle se cachait dans des hôtels. Largent rentra à flots. Entre elle et Vincent, cétait désormais une coexistence froide, sans divorce.
Quand il osa évoquer Théo, elle rétorqua :
«Si tu mavais accordé de lattention, je naurais pas eu besoin dun ‘assistant’.»
«Tu me dégoûtes,» répondit-il.
Le temps passa. Élodie fit des études, se maria et partit sinstaller en Alsace. À lapproche du Nouvel An, Aurélie partit en Chine, tandis que Vincent fêta loccasion avec des amis en Belgique. À leur retour, il la dévisagea, stupéfait.
«Aurélie, quest-ce que ? Tu as rajeuni !»
Elle était effectivement méconnaissable plus une trace de son léger embonpoint, une silhouette élancée comme autrefois.
«Combien ça ta coûté ?»
Elle éclata dun rire nerveux, puis répondit gravement :
«Très cher. Jai tout donné. Absolument tout.» Elle tendit ses mains vides de bagues, vida son sac. «Cest grâce à des traitements chinois massages, acupuncture qui coûtent une fortune.»
Elle refusait de vieillir, surtout avec Théo à ses côtés. À Vincent, elle lança :
«Toi, tu es vieux. Moi, regarde.»
«Mais nous avons le même âge !»
Elle rit encore, le laissant amer.
Mais largent commença à manquer. Les traitements étaient trop onéreux, les affaires moins florissantes. Puis Vincent eut une crise cardiaque. Hospitalisé, il revint affaibli, incapable de travailler.
«Mon Dieu, est-ce que je ressemblerai à ça ?» murmura Aurélie en le regardant, puis en se contemplant dans le miroir.
Quand il lui demandait de rester près de lui, elle haussait les épaules :
«Je nai pas le temps. Le temps, cest de largent.»
Un jour, en arrivant à sa boutique, elle trouva Théo avec une liasse de documents.
«Lis ça.»
«Quest-ce que cest ? Je nai pas le temps pour des paperasses.»
«Ce ne sont pas des paperasses. Désormais, cest moi le propriétaire. Tu peux partir.»
Chez lavocat, on lui expliqua que tout était légal y compris ses propres signatures.
«Vous auriez dû lire les documents ou me consulter.»
«Vos honoraires sont trop élevés,» ricana-t-elle.
«Alors ne vous plaignez pas.»
Elle partit, humiliée. Mais chez elle, une idée germa :
«Jai besoin dargent. Beaucoup dargent.»
«Il ne nous reste rien,» soupira Vincent.
«Et lappartement ?»
«Pas ça !»
«On le vendra, on achètera quelque chose en banlieue.»
«Et moi ?»
«Je tachèterai un ordinateur. Tu te contenteras dune vie virtuelle.»
Elle éclata de rire.
Aurélie était persuadée quelle renaîtrait de ses cendres, comme le phénix. Elle se relèverait. Elle retrouverait sa richesse.







